Selahattin Demirtas : "La Turquie ne lutte pas suffisamment contre l'Etat islamique"
A quelques jours des élections législatives anticipées en Turquie, le chef de file du parti pro-kurde HDP, ennemi juré du président Erdoğan, a accordé une interview à France 2.
Les estrades sur lesquelles Selahattin Demirtas paradait avant l'été devant des milliers de partisans semblent loin. A quelques jours des élections législatives anticipées en Turquie, dimanche 1er novembre, le chef de file du parti pro-kurde HDP, ennemi juré du président Recep Tayyip Erdoğan, est contraint de mener une campagne discrète.
Depuis l'attentat meurtrier d'Ankara le 10 octobre, qui visait l'un des meetings du HDP, et dans lequel 102 militants de gauche et de la cause kurde ont été tués, le parti a annulé tous ses rassemblements de masse, remplacés par de petites rencontres en lieux clos, préalablement inspectés par des chiens renifleurs. Bête noire des jihadistes et du gouvernement, Selahattin Demirtas, qui espère obtenir une centaine de députés à l'issue des élections, a accordé, mercredi 28 octobre, une interview à France 2.
Depuis les attentats d'Ankara, vous ne tenez plus aucun meeting public. Vous sentez-vous en sécurité en Turquie ?
Selahattin Demirtas : Nous ne voulons pas faire courir de risques à nos électeurs. Il est aujourd'hui dangereux de se rassembler dans les lieux publics, les places bondées. Il y a un problème de sécurité. Le gouvernement ne prend pas les mesures nécessaires. On fait donc campagne dans de petits lieux fermés.
Vous êtes décrit comme un homme moderne. On vous compare aux leaders de Syriza en Grèce et de Podemos en Espagne. Êtes-vous flatté ?
En Europe et au Moyen-Orient émergent de nouvelles forces politiques. La population confie ses espoirs et mise sur ces partis de gauche. En Turquie aussi, cet espoir grandit. Notre parti, le HDP, est de plus en plus soutenu par le peuple. Les avancées de Syriza et Podemos sont historiques. Nous avons quelques ressemblances avec ces partis, et nous en sommes heureux.
Vous défendez les femmes et les minorités, notamment les homosexuels. Ne craignez-vous pas la réaction d'une partie de la société dans cette Turquie à majorité musulmane et conservatrice ?
La plupart des gens ici sont musulmans, bien sûr. Parmi nos électeurs, il y a d'ailleurs une majorité de musulmans. Mais nous pensons que notre religion ne cultive pas les différences. Être musulman ne veut pas dire être ennemi avec les autres. Les minorités ne sont pas une menace. Ce n'est pas écrit dans le Coran. Il n'y a rien de tout cela dans l'islam. Notre prophète n'accepte pas les discriminations.
Les différentes populations, les différentes croyances, les différents modes de vie sont la réalité d'une société démocratique. Et si nous voulons vivre en paix, si nous voulons nous aussi être respectés, nous devons apprendre à être respectueux des autres. Nous aspirons à cet idéal du "vivre ensemble".
Que reprochez-vous au président Erdogan dans sa gestion du conflit syrien ?
Malgré sa présence dans la coalition internationale, nous pensons que la Turquie ne lutte pas suffisamment contre le groupe Etat islamique (EI), même si Erdogan et le gouvernement montrent un peu plus d'engagement ces derniers temps. Les forces de la coalition internationale soutiennent les groupes kurdes qui combattent au sol les jihadistes, mais la Turquie, elle, combat ces mêmes Kurdes et particulièrement le Parti de l'union démocratique (PYD), qualifié de groupe terroriste. Mais les seuls terroristes sont les membres de l'EI. Erdogan se trompe sur ce sujet. Sa politique est mauvaise, car en combattant les Kurdes, il renforce malheureusement l'Etat islamique.
Quelle solution proposez-vous ?
Si nous faisons partie du gouvernement, nous militerons pour que le contrôle des frontières soit renforcé. Aujourd'hui, celles-ci sont poreuses. Depuis la Turquie, les groupes radicaux peuvent se rendre en Syrie très facilement, parce qu'ils bénéficient d'un soutien logistique et armé très important.
On dit de votre parti qu'il est la vitrine politique du PKK, qui est considéré par l'Europe et les Etats-Unis comme une organisation terroriste… Votre frère combat d'ailleurs dans les rangs du PKK, n'est-ce pas ?
Oui, je sais, c'est mon frère, il a un an de plus que moi. Je suis fier de lui. Il est en train de mener une grande lutte contre le groupe Etat islamique. Avant moi, c'est lui qui présidait le HDP, mais il a été poursuivi par la justice à de nombreuses reprises, et il a quitté la Turquie pour se rendre à Erbil, en Irak, où il combat les terroristes. Je suis fier de lui.
Approuvez-vous son engagement ?
Je le soutiens, bien sûr. Ce qu'il fait est dix fois mieux que soutenir les jihadistes. Si vous m'aviez montré la photo de mon frère parmi les membres de l'EI, là, j'aurais ressenti de la honte.
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