Coup d'Etat manqué en Turquie : le bilan chiffré de la purge menée par Erdogan
Quelque 50 000 personnes ont été suspendues, interpellées ou inculpées après la tentative de putsch contre le président turc.
Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, avait prévenu, après le coup d'Etat manqué du 15 juillet : "Nous allons continuer d’éliminer le virus de toutes les institutions étatiques". Le "virus" ? Fettulah Gülen, ennemi juré d'Erdogan accusé d'avoir orchestré le putsch depuis les Etats-Unis, et ses partisans. Et le remède au "virus" est radical : une purge d'environ 50 000 soldats, juges, policiers, universitaires, qui ont été suspendus, interpellés ou inculpés.
Le Premier ministre turc assure que chacun est sanctionné dans le cadre de la loi. Mais les arrestations se font sur la base de listes, et inutile d'espérer voir un avocat. Les chancelleries occidentales ont beau hausser le ton, Recep Tayyip Erdogan, en pleine résurrection, est bien décidé à éradiquer ses opposants. Les chiffres évoluent rapidement. Francetv info dresse un premier bilan, cinq jours après le putsch avorté.
50 000 "purgés"
Les autorités ont à ce jour suspendu ou placé en détention provisoire au moins 50 000 soldats, policiers, juges, fonctionnaires et enseignants. 9 322 militaires, magistrats et policiers sont visés par des procédures pénales.
Devant l'étendue de la purge, le secrétaire d'Etat américain, John Kerry, a appelé "le gouvernement de Turquie à respecter les institutions démocratiques de la nation et l'Etat de droit".
Un général sur quatre inculpé
Une partie de l'armée ayant participé au putsch, il n'est pas étonnant que les forces de sécurité soient au centre de la purge. Au moins 118 généraux et amiraux ont été placés en garde à vue. Parmi eux, 99 généraux ont été inculpés sur les 360 que compte l'armée. Au moins 6 000 militaires ont été arrêtés, dont deux pilotes ayant participé en novembre 2015 à l'opération pour abattre un bombardier russe à la frontière syrienne.
Les policiers ne sont pas épargnés. Plus de 9 000 fonctionnaires du ministère de l'Intérieur ont été limogés. En majorité des policiers, selon RFI.
Près de 3 000 magistrats en garde à vue
Immédiatement après le putsch manqué, des demandes de placement en garde à vue ont été émises contre 2 854 juges et procureurs.
Selon l'Union syndicale des magistrats (USM) français, "nombre de magistrats ont été emprisonnés avec leur famille". L'USM ajoute "qu'aucun droit de se défendre ne leur a même été reconnu". Le Financial Times relève que l'arrestation de ces magistrats inquiète sur la séparation des pouvoirs en Turquie. Figurent notamment parmi les personnes arrêtées deux juges de la Cour constitutionnelle, l'une des seules institutions capables de tenir tête à Recep Tayyip Erdogan. Ces deux juges s'étaient illustrés en étant critiques du président turc.
24 médias sans licence et 34 journalistes sans carte de presse
Le Haut-conseil turc de la radio et de la télévision a retiré leur licence aux chaînes de télévision et de radio proches de Fethullah Gülen, le prédicateur exilé aux Etats-Unis. Selon l'agence de presse Anadolu, cette décision concerne au total 24 chaînes de télévision et radios. De plus, 34 journalistes considérés se sont aussi vu retirer leur carte de presse.
Selon Reporters sans frontières (RSF), le 18 juillet, "plus d’une dizaine de sites d’information soupçonnés de 'porter atteinte à la sécurité nationale ou à l’ordre public', ont été bloqués". Selon l'ONG, ce blocage n'est pas conforme au droit turc.
Erdogan est régulièrement sous le feu des critiques pour ses attaques contre la presse. Depuis son arrivée au pouvoir il y a 13 ans, la Turquie a dégringolé à la 151e position sur 180 dans le classement mondial de RSF. Le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) rapporte que de nombreux journalistes redoutent l'existence d'une "liste noire" de journalistes turcs que les services de sécurité s'apprêteraient à arrêter.
15 000 employés du ministère de l'Education renvoyés
Au ministère de l'Education, ce sont 15 200 employés qui ont été interdits d'exercer. Il faut y ajouter 21 000 personnes travaillant dans l'éducation privée qui ont perdu leur licence et qui doivent être interdites d'enseigner. Le Conseil de l'enseignement supérieur a également demandé la démission des 1 577 doyens d'universités publiques et rattachées à des fondations privées, a rapporté l'agence de presse Anadolu.
Pour le politologue et universitaire Ahmet Insel, "les universités ne sont pas un nid güléniste". Mais l'appel à la démission des doyens "vise à faire le tri" pour pouvoir "éliminer les éléments" appartenant à cette mouvance. "C'est à la fois une réaction de bête blessée, car le pouvoir a encore peur d'une réplique du coup d'Etat", dit-il, et le signe que "le pouvoir se préparait à de telles purges et a saisi l'occasion".
Par ailleurs, 492 employés de la Direction des affaires religieuses, la plus haute autorité musulmane du pays ont été mis à pied ainsi que 257 fonctionnaires attachés aux services du Premier ministre et 100 responsables des services de renseignements.
Trois millions de fonctionnaires privés de congés
Les trois millions de fonctionnaires ont vu leurs congés suspendus, selon RFI. Ceux qui étaient partis sont rappelés. Il s'agit d'éviter que certains prennent la fuite. Tous sont interdits de sortie de territoire, sauf autorisation exceptionnelle. Un contrôle aux frontières a été mis en place.
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