Armes: la Pologne fait son marché aux Etats-Unis et en Europe
Dans les deux cas, les autorités polonaises veulent que ces choix soient bénéfiques à leur industrie. Et que la plus grosse partie possible de la production se fasse sur leur territoire. Mais ces choix sont d’abord très politiques : il s’agit de réaffirmer une alliance privilégiée avec les Etats-Unis tout en mettant en avant sa volonté de s’arrimer à l’Europe. Dès le 21 avril, le président français François Hollande s'est «réjoui» du choix en matière d’hélicoptères. Lequel «répond à la volonté de la France et de la Pologne de bâtir une Europe de la défense fondée sur des partenariats industriels de long terme».
«La Pologne se distingue des autres pays européens par la volonté d’augmenter son budget de la défense. Le plan de modernisation des armées pour 2013-2022 prévoit ainsi 33,5 milliards d’euros d’investissements pour un budget militaire annuel d’environ 8 milliards», observe Le Monde. En clair, il y a là de gros marchés potentiels pour les entreprises de défense françaises, mais aussi pour ses concurrents américains et européens.
Pour les hélicoptères, l’américain Sikorsky et l’italo-britannique Agusta Westland étaient sur les rangs à côté d’Airbus. Les Français avaient mis le paquet pour séduire les Polonais : depuis 2012, le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a rencontré près de… 15 fois son interlocuteur à Varsovie, Tomasz Siemoniak ! Il a aussi dû faire oublier la vente (finalement suspendue) à Moscou de navires porte-hélicoptères Mistral, qui n’avait pas été appréciée côté polonais…
Le tout-américain
Les sommes considérables en jeu côté polonais attisent les convoitises. Mais elles sont aussi un signe clair de montrer ses muscles à l’heure où l’Ukraine, son voisin oriental, est plongé dans la guerre. Et où «un air de Guerre froide» domine les relations entre l’Occident et la Russie. Très alarmée par la politique du Kremlin en Ukraine et ailleurs, Varsovie demande des garanties occidentales.
La politique n’étant jamais très loin de l’économie, pour emporter le marché des hélicoptères, Paris a ainsi «dû multiplier les ‘‘mesures de réassurance’’», rappelle joliment Le Monde : depuis le 4 mai 2015, ses militaires ont déployé en Pologne des chars Leclerc et des véhicules blindés VBCI. En 2014, des avions Rafale avaient ainsi été installés pendant plusieurs semaines dans le nord du pays.
De leur côté, les Américains ont déployé 600 parachutistes en Pologne et dans les pays baltes ainsi que des missiles anti-missile près de Varsovie. D’une manière générale, les exercices militaires entre Occidentaux et ses nouveaux alliés au sein de l’OTAN (dont la Pologne depuis 1999) ont été considérablement renforcés dans l’est de l’Europe depuis le début de la crise ukrainienne au printemps 2014.
L’époque a donc changé par rapport à 2002, quand Varsovie avait «opté pour un ciel à l’américaine» en choisissant d’acheter 48 chasseurs F16 américains plutôt que des Mirage 2000 français, à la grande déconvenue de Paris. Et ce à un moment où le pays préparait son adhésion à l’UE. «Sur le plan politique, cette décision renforce les liens stratégiques de la Pologne avec les Etats-Unis», avait alors reconnu son ministre de la Défense d’alors.
Un an plus tard, en 2003, les Polonais avaient envoyé 2500 militaires pour participer (avec notamment les Etats baltes) à l’invasion de l’Irak aux côtés des Américains. Un engagement militaire qui «n’a jamais fait l’objet d’un véritable débat dans ce pays profondément pro-américain», rapporte Courrier International. Ces ex-satellites de l’URSS s’étaient attiré une réplique cinglante du président français Jacques Chirac, selon qui ils avaient «été à la fois pas très bien élevés et un peu inconscients du danger que comportait un trop rapide alignement sur la position américaine».
Un pays malmené par l’Histoire
Pourquoi cet alignement de la Pologne sur Washington ? «Vu des Polonais, les Etats-Unis, c’est leur assurance tous risques», selon un grand patron français cité par le site de La Tribune. D’autant plus que pour Varsovie, malmené par l’Histoire et notamment par les Russes, les considérations de sécurité sont une priorité nationale.
Il faut voir que l’Histoire, précisément, «reste une des composantes fondamentales de la culture des Polonais», explique un ancien attaché de défense en Pologne, le colonel Jean-Sébastien Tavernier. Après avoir été croqué par la Russie, l’Autriche et la Prusse au XVIIIe, leur pays a cessé d’exister pendant 123 ans, de 1795 à 1918, «avant de renaître une deuxième fois», au lendemain de la Première guerre mondiale. Et avant de devenir un satellite de l’URSS, donc de Moscou, entre 1945 et 1989.
«Cette priorité des considérations de sécurité est, bien entendu, liée à une expérience historique et à une relecture de l’histoire européenne du XXe siècle que l’on peut résumer de façon sommaire ainsi : à l’Amérique de Woodrow Wilson la gratitude pour la ‘‘résurrection’’ de l’État polonais en 1918 et surtout à l’Amérique de Ronald Reagan la gratitude pour son rôle décisif pendant la Guerre froide alors que les Européens se seraient contentés d’ ‘‘appeasement’’ face à la domination soviétique de l’Europe de l’Est», observe l’universitaire Jacques Rupnik. Pour nombre de Polonais, «le retour de la Pologne dans le camp occidental, c'est-à-dire dans l’OTAN et l’UE, était un dû car elle appartient à l’évidence à la civilisation occidentale», ajoute Jean-Sébastien Tavernier. En quelque sorte être plus occidental que les Occidentaux eux-mêmes…
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