"Les frères Tsarnaev, comme Merah, ont été des exécutants solitaires"
Francetv info a interrogé Louis Caprioli, ancien responsable de la lutte antiterroriste à la DST de 1998 à 2004. Il dresse un parallèle entre les auteurs présumés des attentats de Boston et le tueur de Toulouse.
Il est nerveux, parle à toute vitesse et son regard est perçant. Louis Caprioli fut le responsable de la lutte antiterroriste à la Direction de la sûreté du territoire (DST), de 1998 à 2004. Depuis, il est devenu conseiller du groupe de gestion et d'analyse des risques Geos. Les récents attentats commis lors du marathon de Boston (Etats-Unis) nécessitent, selon lui, une réflexion d'ensemble sur le fonctionnement des services.
Francetv info : Après les évènements de Boston et de Toulouse, pensez-vous que la problématique du "loup solitaire" se pose à présent dans les services de sécurité du monde entier ?
Louis Caprioli : Evidemment. Force est de constater que Mohamed Merah, comme les frères Tsarnaev, ont été des exécutants solitaires. Mais pour autant, le loup vit quand même en meute. Dans son passage en prison, avec son frère et surtout en se déplaçant dans des zones sensibles, Merah s'est radicalisé. C'est cet environnement que j'appelle "la meute". De même, pour les deux frères d'origine tchétchène, il semble que ce soit l'aîné qui, le premier, a basculé. Il a effectué deux voyages au Daguestan, qui se situe à deux pas de la Tchétchénie. Peut-être lui aussi s'est-il radicalisé dans ces déplacements. C'est pour cela qu'on ne peut être que très prudent avant d'affirmer qu'il existe des cellules terroristes aux Etats-Unis ! Bien sûr, dans les deux cas, le web et les sites de propagande islamiste ont également joué leur rôle. Mais là s'arrête le rapprochement. Voilà des loups solitaires qui possèdent des profils très différents. Ceux de Boston étaient intégrés à la société américaine, ils faisaient des études, du sport. Ce qui n'était pas le cas, en France, de Merah.
Ces exécutants solitaires semblent souvent poser des problèmes de suivi du renseignement qui les concerne. C'était bien le cas de Merah ?
C'est un cas manifeste. Dans ce dossier, on ne compte plus les dysfonctionnements. Entre la pénitentiaire, les services, les magistrats à l'égard des enquêteurs, tout y est. On ne s'échange rien ou pas assez. On ne communique pas. Dès le vol du scooter par Mohamed Merah, on aurait dû avoir l'attention en éveil. Mais si l'on envisage froidement les choses, on peut dire que nous devrions avoir aussi, en France, un système équivalent à celui des Britanniques, avec leur GCHQ [le service de renseignement électronique du gouvernement britannique. Placé sous l'autorité du secrétaire d'Etat aux affaires étrangères, il intercepte toutes les communications, quel que soit leur support]. Pour l'heure, en France, c'est la DGSE [la direction générale de la sécurité extérieure] qui monopolise les interceptions. Et c'est mal utilisé. Pourtant, ce service a touché une véritable manne financière, alors que les services de sécurité intérieur n'ont presque rien reçu. Le décalage est colossal. Il faut redonner des moyens aux structures intérieures, ce qu'on appelle aujourd'hui la DCRI. Mais vous voyez, même aux Etats-unis, la NSA, l'agence de sécurité nationale (qui écoute à peu près tout), n'a transmis les communications des deux frères qu'après les attentats de Boston.
Pourtant, tout ne peut pas reposer sur des dispositifs techniques…
Ce que l'on peut appeler "les écoutes", pour faire vite, n'est bien sûr qu'un élément de la chasse au loup solitaire. La surveillance des déplacements est fondamentale, de même que les sources humaines dans ces milieux, même s'il est très difficile de les infiltrer. Par exemple, on aurait pu sonoriser les appartements des Tsarnaev. En fait, le défi lancé par le loup solitaire, c'est celui de la communication des informations par-delà les frontières, et les méfiances de toute nature. Il faut faire un effort d'intelligence global et je suis sûr qu'on y parviendra.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.