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Cinq questions sur l'offensive historique contre le droit à l'avortement aux Etats-Unis

Partout dans le pays, des Etats adoptent les lois sur l'IVG les plus restrictives depuis des décennies. Objectif affiché : porter ce dossier devant la Cour suprême.

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Des activistes anti-avortement lors d'une manifestation à Washington D.C. le jour de l'anniversaire de "Roe v. Wade", le 18 janvier 2019.  (SAUL LOEB / AFP)

Le droit à l'avortement fait l'objet d'un bras de fer sans précédent aux Etats-Unis. Mardi 14 mai, l'Alabama interdit la quasi-totalité des interruptions volontaires de grossesse, même en cas d'inceste ou de viol. Depuis la nomination du juge ultraconservateur Brett Kavanaugh à la Cour suprême américaine, les républicains ont lancé une offensive inédite pour réduire l'accès des femmes à l'IVG dans les Etats qu'ils contrôlent, en adoptant localement des lois de plus en plus restrictives.

La bataille se joue maintenant sur le front juridique. Mais les détracteurs du droit à l'avortement espèrent bien qu'un des nombreux litiges en cours remonte jusqu'à la Cour suprême, et que les juges de Washington renversent "Roe v. Wade", la décision qui, en 1973, a légalisé l'avortement dans tout le pays. Franceinfo revient en détail sur cette bataille légale et juridique. 

1Que dit la loi sur l'avortement en Alabama, la plus restrictive des Etats-Unis ? 

Le texte, voté par le Sénat de l'Alabama à une large majorité, est le plus répressif du pays. Il interdit la quasi-totalité des interruptions volontaires de grossesse, même en cas d'inceste ou de viol. Il prévoit une peine de 10 à 99 ans de prison pour les médecins pratiquant un avortement, sauf en cas d'urgence vitale pour la mère ou d'"anomalie létale" du fœtus. Cette mesure doit prendre effet dans six mois.

La gouverneure de l'Etat, Kay Ivey, qui a ratifié le texte le 15 mai, a expliqué dans un communiqué que "toute vie est un cadeau sacré de Dieu"

2Quelle est la situation dans les autres Etats américains ? 

En avril, l'Indiana a interdit dans presque tous les cas les avortements chirurgicaux de second trimestre, rapporte le Indianapolis Star (en anglais)Quelques jours plus tard, l'Ohio a interdit l'avortement dès que les battements du cœur du fœtus sont détectables – soit environ à la sixième semaine de grossesse. De nombreuses femmes n'ont alors pas encore conscience d'être enceintes, soulignent les détracteurs de ces législations dites de "fetal heartbeat" ("battement de cœur du fœtus" en anglais). 

Trois autres Etats ont adopté de telles lois cette année : la Géorgie, le Kentucky et le Mississippi. Et des projets de lois similaires sont en cours d'examen dans onze autres Etats, comme le souligne Elizabeth Nash, juriste à l'Institut Guttmacher, auprès du New York Times (en anglais). 

Depuis le début de l'année, plus de la moitié des 50 Etats américains ont limité l'accès à l'avortement, comme le relève l'Institut Guttmacher (en anglais), qui défend le droit des femmes à l'IVG.

"Cette année législative a été la plus active de mémoire récente", se réjouit dans le New York Times Steven Aden, conseiller juridique en chef d'Americans United for Life, un groupe anti-avortement.

3Comment les défenseurs du droit à l'IVG réagissent-ils ? 

Si les Etats rouges (à majorité républicaine) adoptent des lois pour limiter le droit à l'avortement, certains Etats bleus (à majorité démocrate) en adoptent pour le consolider. L'Etat de New York a ainsi voté en janvier une loi qui supprime l'avortement de son Code pénal. Elle vise à protéger les professionnels de santé qui pratiquent des IVG de toutes poursuites pénales, comme le souligne CNN (en anglais). Cette loi légalise aussi les avortements au-delà de 24 semaines de grossesse, si le fœtus n'est pas viable ou si la vie de la mère est en danger. Des lois similaires sont examinées dans le Vermont et à Rhode Island. Le gouverneur démocrate de l'Illinois s'est aussi engagé à en faire "l'Etat le plus progressiste de la nation sur l'accès aux soins de santé reproductive".

Mais la bataille se joue surtout sur le terrain juridique, pour empêcher l'application de textes restrictifs adoptés par des Etats conservateurs. Après la ratification de la nouvelle loi anti-avortement en Alabama, la puissante organisation de défense des libertés ACLU et l'organisation du Planning familial ont déjà annoncé qu'elles allaient saisir la justice.

Pour les républicains, ce contentieux est un mal pour un bien, car il sert leur objectif final : que la Cour suprême se saisisse du dossier si les tribunaux parviennent à des conclusions différentes selon les Etats.

4Pourquoi cette offensive anti-IVG gagne-t-elle de l'ampleur ? 

Cela fait des années que des Etats conservateurs adoptent des lois érodant petit à petit l'accès des femmes à l'avortement, en cumulant les restrictions. Si celles-ci ont souvent été rejetées par les tribunaux, ces derniers sont devenus de plus en plus favorables aux législations anti-avortement, souligne le New York Times. Résultat, six Etats américains ne comptent plus qu'un seul établissement où peuvent être effectuées des IVG : le Kentucky, le Mississippi, le Missouri, le Dakota du Nord, le Dakota du Sud et la Virginie-Occidentale. 

Les détracteurs du droit à l'avortement ont amorcé un virage encore plus offensif depuis la nomination à la Cour suprême par Donald Trump de deux juges opposés à l'IVG : il ne s'agit plus seulement de restreindre l'accès à l'avortement, mais de le rendre hors la loi. La droite religieuse espère que le temple du droit américain, maintenant solidement ancré dans le camp conservateur, reviendra sur "Roe v. Wade", la décision de la Cour suprême qui avait légalisé l'avortement dans le pays.  

Adopter des lois qui feront monter le dossier à Washington est l'objectif avoué des opposants à l'avortement. "Mon but (…) est de faire casser 'Roe v. Wade' et que cette décision revienne aux Etats afin que nous puissions faire nos propres lois, avec des amendements, qui règlent ces questions", a ainsi affirmé l'élue républicaine de l'Alabama Terri Collins, à l'origine du texte interdisant la quasi-totalité des IVG. 

5Le droit à l'IVG est-il sérieusement menacé dans tout le pays ? 

Parmi les neuf juges de la Cour suprême, dominée par les conservateurs, trois semblent particulièrement ouverts à remettre en question "Roe v. Wade" : Clarence Thomas, Samuel Alito Jr. and Neil Gorsuch, énumère le New York Times. En février, Clarence Thomas a écrit que "Roe v. Wade" faisait partie "des décisions notoirement incorrectes" de la Cour. Il l'a même comparée à la décision "Dred Scott v. Sandford" rendue en 1857, selon laquelle les Noirs, qu'ils soient ou non esclaves, ne pouvaient être des citoyens américains. 

Cependant, la Cour a récemment rejeté des recours de deux Etats républicains – la Louisiane et le Kansas – liés à l'IVG. Plusieurs de ses juges ont récemment réitéré leur volonté de ne pas revenir sur la jurisprudence établie par la haute cour il y a moins de 50 ans. Mais l'histoire montre que la juridiction suprême peut énoncer puis défaire certains grands principes de droit, en fonction de l'époque.

Aujourd'hui, le sujet de l'avortement reste très clivant dans la société américaine, mais la majorité de l'opinion penche en faveur de la protection du droit à l'IVG. Selon un sondage du centre de recherche Pew datant de 2018, 58% des Américains estiment que l'avortement doit être légal, contre 37% souhaitant son interdiction.

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