Joe Biden "n'a pas la majorité nécessaire au Congrès" pour interdire les fusils d'assaut, souligne l'historien André Kaspi
Le spécialiste des États-Unis estime à 300 millions le nombre d'armes à feu entre les mains des citoyens américains pour qui elles symbolisent avant tout la liberté de se défendre et d'être autonome.
Joe Biden "n'a pas la majorité nécessaire au Congrès" pour interdire certaines armes, a souligné mercredi 24 mars sur franceinfo André Kaspi, historien, professeur émérite à la Sorbonne et spécialiste des questions relatives aux États-Unis. Le président américain a réclamé mardi l'interdiction des fusils d'assaut après une nouvelle tuerie qui a fait 10 morts dans le Colorado. André Kaspi rappelle qu'il "est extrêmement difficile aux États-Unis d'obtenir une législation qui limite la possession des armes à feu" car "pour les Américains, c'est une liberté fondamentale" inscrite dans la Constitution. Il précise également que les deux tiers des 35 000 morts par balles aux États-Unis sont des suicides.
franceinfo : Joe Biden a-t-il une chance d'obtenir un accord bipartisan entre démocrates et républicains sur cette question des armes ?
André Kaspi : D'abord, quel accord ? Vraisemblablement, ce que veut Joe Biden c'est augmenter le temps pendant lequel un acheteur d'armes doit être contrôlé pour savoir s'il est digne ou non de posséder une arme. Rien de plus. Il ne s'agit pas d'interdire les armes à feu. Et d'autre part, Joe Biden n'a pas la majorité nécessaire pour obtenir ce genre de décision au Congrès. Et puis dans la plupart des cas, la législation dépend de chacun des États et même, à l'intérieur des États, de chaque comté ou de chaque ville. C'est évidemment très compliqué et il faut ajouter qu'il y a de fortes pressions de la part des détenteurs d'armes et de la part des vendeurs d'armes pour conserver la législation actuelle.
Quel est aujourd'hui le pouvoir du lobby des armes, la National Rifle Association ?
La NRA est en difficulté financière. Mais d'un autre côté, on a constaté qu'il y a eu pendant la crise du coronavirus une augmentation de la vente des armes parce beaucoup d'Américains ont craint que, étant donné le désordre que crée la contamination, il y ait des vols, des agressions. Ils veulent se défendre. Et puis quand il y a des manifestations dans les rues, certains se disent : la meilleure façon de se protéger, c'est d'avoir une arme. Par conséquent, il est extrêmement difficile aux États-Unis d'obtenir en ce moment une législation qui limite la possession des armes à feu.
"Ce qu'il faut retenir, c'est qu'un tiers des Américains détiennent des armes."
André Kaspi, historien, professeur spécialiste des États-Unisà franceinfo
Mais ils ne détiennent pas une seule arme, ils en détiennent plusieurs, ce qui veut dire qu'au total il y a sans doute 300 millions d'armes à feu entre les mains des citoyens. Et en ce qui concerne les morts, il y a à peu près 35 000 morts par an qui proviennent des armes à feu. Mais les deux tiers sont des suicides. Et si vous ajoutez qu'il y a la guerre des gangs dans les grandes villes américaines... Finalement, on parle beaucoup des tueries de masse, c'est-à-dire plus de quatre morts, mais cela représente très peu par rapport au reste des morts par arme à feu. On est en train de centrer l'attention sur les armes à feu comme on le fait à chaque fois qu'il y a un attentat ou une tuerie de masse. Mais ça ne change rien ou pratiquement rien.
C'est le deuxième amendement de la Constitution américaine qui établit le droit du peuple de détenir et porter des armes. Pourquoi est-il tellement ancré dans la culture américaine ?
Ce deuxième amendement date de 1791 mais il a été confirmé par un arrêt de la Cour suprême en 2008. Donc, c'est aussi un arrêt du pouvoir judiciaire qui date d'il y a 13 ans.
"Pour les Américains, c'est une forme de liberté."
André Kaspià franceinfo
C'est la liberté en somme, de pouvoir détenir des armes, de se défendre, de ne pas dépendre de la police, de ne pas dépendre des autres, mais d'être responsable soi-même de sa liberté, de sa vie et de sa possibilité, de continuer à vivre tranquillement. Pour les Américains, c'est une liberté fondamentale, et c'est pour cela qu'il est extrêmement difficile d'obtenir une législation restrictive sur l'achat et la détention des armes.
Existe-t-il un lobby anti-armes ? Ce sont des voix qui peuvent peser ?
Bien sûr, il y a un lobby en faveur de la limitation des armes à feu. Par exemple Michael Bloomberg, qui a été maire de New York et qui a été tout récemment candidat à l'investiture démocrate pour les élections présidentielles, il est très riche et donne beaucoup d'argent pour stimuler ce lobby contre les armes à feu. Il y a donc bien sûr un lobby contre les armes à feu, mais il n'empêche que le lobby des armes à feu est plus puissant que le lobby qui s'y oppose.
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