Cet article date de plus de neuf ans.
Djihad : FBI, l’usine à fabriquer de «vrais-faux» terroristes
L’agence américaine de police judiciaire et de renseignement intérieur, le FBI, disposerait de 15.000 informateurs. Certains d’entre eux sont infiltrés dans les milieux djihadistes. Ils ne se satisfont pas de l’infiltration et poussent les apprentis terroristes à passer à l’acte. Des pousse-à-l’attentat, s’insurgent des organisations de droits de l’Homme.
Publié
Temps de lecture : 5min
Une personne qui n’avait aucune intention de passer à l’acte et se retrouve à réaliser une vidéo de martyr tournée par le FBI, qui lui fournit des armes (désactivées) pour commettre un attentat est-il un terroriste? Pour les agents du FBI, la polémique n’a pas lieu d’être, efficacité oblige. L’ONG de défense des droits de l'Homme Human Rights Watch, dans un rapport de juillet 2014, avait accusé le FBI de «créer des terroristes» en ciblant des personnes vulnérables, dans des coups montés.
«Cet été, nous avons pisté des dizaines et des dizaines de personnes, dans tous les Etats-Unis. Nous avons perturbé les plans de beaucoup», s’est félicité, le 8 octobre 2015, le chef du FBI, James Comey. Pour traquer les apprentis djihadistes sur le sol américain, le FBI dispose d'une armée grandissante d'informateurs infiltrés, mais ceux-ci sont accusés de parfois pousser des personnes influençables à organiser des attentats. Agissant sous couverture et jouissant d'une immunité, un indicateur peut aller jusqu'à désigner une cible ou fournir des armes, afin de mieux confondre des suspects.
Le cas Booker
Le 10 avril, le FBI annonçait l'arrestation d'un homme de 20 ans, John Booker, prêt à perpétrer un attentat suicide à la voiture piégée contre une base militaire du Kansas. Or, selon le compte-rendu d'enquête consulté par l'AFP, Booker était depuis six mois manipulé par le FBI. Ce sont des agents infiltrés qui ont aidé l'apprenti djihadiste à réaliser sa vidéo de «martyr». Ils lui ont fourni la liste des composants nécessaires à la fabrication de sa bombe. Enfin, ils ont confectionné l'engin – en fait inactivé – et l'ont remis avec un véhicule au suspect. «Il faut qu'ils soient convaincus que vous êtes de leur bord. Vous devez jouer le jeu, faire ce qu'ils vous disent, sinon toute l'opération est compromise», justifie Mubin Shaikh, un ex-agent clandestin, auteur de l'ouvrage Undercover Jihadi (Djihadiste sous couverture). Selon lui, suggérer fait partie du jeu.
Un jour, Mubin Shaikh reçoit pour mission d'aller sonder un extrémiste présumé. «Je lui ai dit: "Il se pourrait que nous organisions en décembre un camp (d'entraînement au djihad). Tu ne voudrais pas venir former quelques gars?" Il m'a parfaitement compris, mais a répondu: "Non mon frère, je suis là pour étudier la religion." Très bien, j'en ai conclu qu'il n'était pas le genre de type qu'on recherchait, il n'a pas mordu à l'hameçon. Mais si je dis exactement la même chose à quelqu'un d'autre et qu'il répond: "Oh oui!" Je ne tends pas un piège déloyal, c'est lui qui se fait prendre», explique l'ancien infiltré dans les renseignements canadiens, qui ont des méthodes de travail similaires à elles des services américains.
Arrêtez de vous interroger !
Murtaza Hussain a coréalisé une contre-enquête édifiante, publiée fin juin 2015, sur «les Cinq de Fort Dix», des hommes d'origine albanaise impliqués dans un projet d'attentat contre une base militaire dans le New Jersey. Quatre ont été condamnés à la prison à vie, dont trois frères. Avant leur arrestation en 2007, ils avaient été placés 18 mois sous surveillance, après avoir tourné une vidéo de vacances les montrant s'amusant à tirer sur des cibles en pleine nature – une activité courante aux Etats-Unis – en criant «Allah est le plus grand». Ils n'avaient jusqu'alors manifesté aucun désir d'attentat.
Dans des séquences tournées secrètement par le FBI, l'informateur pousse clairement les Albanais à passer à l'acte, malgré leur réticence. «Vous vivez selon le Coran, et pourtant vous ne combattez pas pour les musulmans ! Arrêtez de vous interroger !», leur reproche l'indicateur. «Désormais règne un sentiment de paranoïa, en particulier dans la communauté musulmane. Ils ne peuvent plus discuter ou militer en politique sans craindre que quelqu'un alentour soit un informateur», déplore le réalisateur.
Le FBI admet officiellement que le recours aux informateurs «peut inclure une part de tromperie, d'ingérence dans des vies privées ou de coopération avec des personnes dont le sérieux et les motivations sont sujets à caution». Tout en reconnaissant la légalité de la procédure.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.