Quatre bonnes raisons de détester la police quand on vit à Ferguson
Bavure, harcèlement, manque de transparence, volonté de se dédouaner... Les forces de l'ordre font tout de travers dans cette ville des Etats-Unis touchée par des émeutes après la mort d'un jeune Noir tué par un policier blanc.
La Garde nationale va "aider à restaurer la paix et l'ordre et protéger les habitants de Ferguson". Lundi 18 août, le gouverneur du Missouri, Jay Nixon, a décidé de déployer la Garde nationale dans la petite ville américaine de Ferguson. Dans les rues de cette petite banlieue de 20 000 habitants, ils rejoindront la police municipale, la police du Comté et la police routière, qui échouent depuis plus d'une semaine à faire retomber la tension, après la mort d'un jeune Noir non armé, tué par un policier blanc. Et si la colère reste aussi vive, c'est peut-être parce que les habitants de Ferguson ont de bonnes raisons d'en vouloir aux forces de l'ordre. Francetv info vous explique pourquoi.
1Parce qu'elle aurait déjà commis une bavure
Le 20 septembre 2009, tard dans la nuit, Henry Davis, 52 ans, est conduit menotté au poste de police de Ferguson, relate The Daily Beast (en anglais). L'homme proteste, car la police se trompe : c'est un homonyme qui est visé par le mandat d'arrêt. Il est tout de même emmené au commissariat où il est passé à tabac. Il finit à l'hôpital. Voici à quoi il ressemblait juste avant d'être soigné.
On Sep 20, 2009 Henry Davis took a wrong turn into Ferguson during a heavy rain. He was arrested by mistake & beaten. pic.twitter.com/1uTaiwAOBQ
— John Moffitt (@JohnRMoffitt) 18 Août 2014
Quelques jours plus tard, Henry Davis apprend qu'il est poursuivi par la justice. On lui reproche d'avoir sali les uniformes des policiers avec son sang.
Son cas ne semble pas isolé. The Atlantic (en anglais) a compilé de nombreux témoignages d'habitants noirs de Ferguson qui se disent harcelés par la police, surtout quand ils sont au volant. Dans une ville où les deux tiers des habitants sont noirs, les contraventions concernent à 86% les Afro-Américains et ils sont visés à 92% par les arrestations. L'accusation de racisme n'est pas loin, d'autant que le chef de la police est blanc et 3 policiers seulement sur 53 sont noirs. Le New York Times (en anglais) résume : "A Ferguson, ville noire, pouvoir blanc."
2Parce qu'elle se comporte comme une armée en zone de guerre
L'œil dans le viseur, le canon en direction de la foule. Cette photo n'a pas été prise en Afghanistan ou en Irak, mais à Ferguson, le 13 août. Véhicules blindés, tenues de camouflage, masques à gaz, armes de guerre, gilets pare-balles et même des lance-grenades : la police n'a pas fait dans la dentelle dans cette petite ville du Missouri, déclenchant une polémique dans les médias américains où elle a été comparée à une armée en zone de guerre.
Police officer says area is "a war zone" and no one will be allowed through until morning. #Ferguson
— Julie Bosman (@juliebosman) 12 Août 2014
Sur Twitter, des vétérans signalent même que les troupes américaines déployées à l'étranger ne sont pas aussi bien équipées. Comme le remarque l'un d'eux, ce n'est pas vraiment la meilleure manière de gagner la confiance des citoyens ("Ceci, par exemple, n'est pas un policier sur le point de gagner la confiance de ses concitoyens").
5. ... This, for example, is not a policeman who is about to win the trust of his fellow citizen: pic.twitter.com/6u8MCAZ5PT
— Andrew Exum (@abumuqawama) 13 Août 2014
En fait, explique Quartz (en anglais), si la police locale est étonnamment militarisée, elle ne sait pas comment se servir de cet équipement et son attitude est contreproductive. Interrogé par l'agence Bloomberg, le professeur de droit Jody Armour souligne que "quand vous êtes couverts d'armes de guerre, le credo est plus : 'Commander et contrôler' que 'Servir et protéger'". Pour lui, la police de Ferguson aurait dû réaliser que cette approche militaire allait se retourner contre elle : "L'expérience compte. J'ai enseigné au LAPD [police de Los Angeles] et à de nombreux autres services qu'il vaut mieux éviter ce genre de confrontations avec les citoyens, car cela risque d'attiser les flammes."
3Parce qu'elle empêche la presse de travailler
"Casse-toi de là ! Tu éteins cette lumière où tu vas te faire tirer dessus." Cette scène a été filmée par un journaliste local qui est ainsi menacé par un policier, dans la nuit du samedi au dimanche 17 août.
Et ce n'est pas la première fois depuis le début des émeutes de Ferguson que la presse éprouve des difficultés à faire son travail : une équipe d'Al Jazeera a dû fuir en plein duplex après avoir été visée par une pluie de gaz lacrymogènes (la police a ensuite démonté leur matériel), deux journalistes du Washington Post et du Huffington Post ont été arrêtés dans un McDonald's, un vidéaste amateur a aussi été interpellé, de nombreux photographes se voient interdits de prendre des clichés et un officier de police aurait pris la caméra d'une équipe de télévision, résume un éditorialiste du Miami Herald.
"En arrêtant des journalistes parce qu'ils font leur travail, la police de Ferguson soulève une question pressante : mais que cherchent-ils à cacher ?" écrit-il. Un manque de transparence qui est au centre des protestations. D'autant plus que certains policiers n'affichent pas leur identité sur leurs uniformes, comme c'est pourtant la règle, selon un journaliste du Huffington Post, ce qui l'a empêché d'identifier les hommes qui l'ont arrêté, explique-t-il sur Twitter.
Here, for example, is one of the officers who cuffed me. Still wouldn't give me his name. pic.twitter.com/oq7N9h2YaT
— Ryan J. Reilly (@ryanjreilly) 15 Août 2014
4Parce qu'elle raconte n'importe quoi
Jeudi 14 août, la tension retombe un peu. La nuit est calme. Le lendemain, la police accède enfin à la demande des manifestants, qui réclament quelques informations précises sur les circonstances du drame et notamment le nom du policier qui a tué Michael Brown. Il s'appelle Darren Wilson.
Le chef de la police de Ferguson pourrait s'en tenir là, mais il ajoute que peu de temps avant, la victime avait volé des cigares. Une vidéo filmée par une caméra de surveillance est rendue publique. Mais, quelques heures plus tard, la police doit préciser que l'arrestation qui a mal tourné n'avait rien à voir avec le vol. Le policier n'était pas au courant de ces faits. Pour les manifestants, la police cherche encore à se dédouaner et à salir "Big Mike". Bilan : les violences repartent de plus belle.
Le lendemain, le gouverneur instaure l'état d'urgence et critique ouvertement la police pour avoir rendu publique la vidéo. Encore une fois, les forces de l'ordre font les choses à l'envers.
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