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Etats-Unis : pourquoi la mort de Michael Brown a embrasé Ferguson

La tension entre forces de l'ordre et manifestants afro-américains commence tout juste à retomber, cinq jours après la mort d'un adolescent noir, abattu par un policier.

Article rédigé par Marie-Violette Bernard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Une habitante de Ferguson, dans le Missouri (Etats-Unis), manifeste face aux forces de l'ordre le 13 août 2014, cinq jours après la mort de Michael Brown. (J.B. FORBES / AP / SIPA)

Il a fallu attendre cinq jours pour que la tension entre manifestants et forces de l'ordre commence à retomber à Ferguson (Missouri), jeudi 14 août. Malgré l'appel au calme lancé par Barack Obama, des violences avaient éclaté la veille. La police anti-émeute, lourdement armée, est intervenue pour disperser la foule, venue protester après la mort du jeune Michael Brown, abattu par un policier alors qu'il n'était pas armé. Deux journalistes du Washington Post et du Huffington Post ont en outre été arrêtés en marge des incidents, avant d'être relâchés jeudi.

Les rassemblements des manifestants, qui accusent les forces de l'ordre de racisme, avaient déjà tourné à l'émeute dimanche 10 août. Des magasins avaient été pillés et incendiés près du lieu du drame, après une veillée en l'honneur de Michael Brown. Plus de 30 personnes avaient été arrêtées, selon CBS (en anglais).

Pourquoi la mort de ce jeune Afro-Américain a-t-elle déclenché de telles violences dans cette ville de 21 000 habitants ?

Parce que les circonstances du drame sont floues

Selon les autorités locales, Michael Brown aurait agressé le policier qui sortait de sa voiture de patrouille et aurait essayé de prendre son arme, rapporte CBS. Au moins une balle aurait été tirée dans la voiture, et les autres, qui ont tué le jeune homme, auraient été tirées dans la rue. Le policier n'aurait pas reçu de balle mais aurait été blessé au visage.

Cette version des faits est néanmoins contestée par Dorian Johnson, un ami de Michael Brown présent au moment du drame. Il affirme que le jeune homme a été "abattu comme un animal". Le policier aurait pris à partie les deux jeunes hommes alors qu'ils marchaient dans la rue, avant de tirer à plusieurs reprises sur Michael Brown. Le jeune Afro-Américain n'aurait à aucun moment tenté de lui prendre son arme, a expliqué Dorian Johnson à NBC News (en anglais). Deux témoins interviewés par CNN (en anglais) ont en outre affirmé que le policier aurait continué à tirer sur Michael Brown alors qu'il levait les mains pour montrer qu'il n'était pas armé.

La mère de Michael Brown affirme elle aussi que son fils a été abattu à tort par la police. Ses proches le décrivent comme un "gentil géant", qui n'a jamais participé à une bagarre de sa vie, rapporte le Washington Post (en anglais). Le jeune homme aurait passé de longs mois à travailler pour obtenir son diplôme de fin de lycée et devait bientôt intégrer une université voisine.

Parce que l'enquête n'est pas transparente

La police de Ferguson ne veut pas communiquer certains détails de l'enquête, rapporte CBS. Les forces de l'ordre ont ainsi refusé, mardi 12 août, de rendre publique l'identité du policier ayant abattu Michael Brown. Elles craignent que sa vie et celle de sa famille ne soient mises en danger, après des menaces postées sur les réseaux sociaux.

Interrogé par les médias sur le nombre de balles tirées, le chef de la police du comté de Saint Louis, qui assiste celle de Ferguson, a indiqué ne pas être certain de la réponse. "[On lui a tiré dessus] plus de deux fois, mais pas beaucoup plus que ça", a déclaré Jon Belmar, selon le New Yorker (en anglais). "De nombreux résidents de Ferguson me disent que c'est ce manque de détails, d'explications qui attise leur colère", explique un reporter du Washington Post dans un tweet.

L'Association nationale pour la promotion des personnes de couleur (NAACP), principal organe de défense des droits civiques aux Etats-Unis, a demandé aux forces de l'ordre de révéler le nom du policier impliqué dans l'affaire. "Il me semble que le plus important est de donner les faits le plus vite possible, pour montrer à la communauté que l'enquête progresse et qu'elle sera transparente", a déclaré mardi 12 août le président de la NAACP, Cornell William Brooks, cité par US News (en anglais).

Parce que les autorités locales sont accusées de racisme

La mort de Michael Brown a déclenché une vague d'émotion à Ferguson, où plusieurs centaines de manifestants ont protesté quatre jours d'affilée contre les autorités locales, qu'ils jugent racistes envers la communauté noire. Selon MotherJones (en anglais), cette banlieue de Saint Louis est la 9e zone urbaine la plus ségréguée aux Etats-Unis. Alors que 69% de la population est noire, selon le New York Times (en anglais), les Afro-Américains sont sous-représentés dans l'administration. Le maire et le chef de la police sont blancs, tout comme 50 des 53 membres des forces de l'ordre.

Les Afro-Américains feraient en outre l'objet d'un "profilage racial", selon les statistiques de la police : 483 interpellations ont visé des Noirs en 2013, contre 36 pour les Blancs. Selon les chiffres du procureur général rapportés par MotherJones, les Noirs représentent en outre 92% des fouilles et 86% des contrôles au volant. "Quand la police arrête des citoyens de Ferguson, ils sont presque toujours noirs. Mais les citoyens blancs sont plus souvent interpellés en possession d'objets illégaux, comme des armes ou de la drogue", précise le site.

La situation a fait naître une méfiance envers les forces de l'ordre chez les habitants de Ferguson. Un sentiment commun chez les Noirs américains, dont seulement 38% font totalement confiance à la police, selon un sondage Gallup (en anglais) datant de 2013. 

Parce qu'elle rappelle "l'affaire Trayvon Martin"

"[La mort de Michael Brown] est la preuve que (...) nous devons travailler sur un moyen d'empêcher cela d'arriver à l'enfant de quelqu'un d'autre", a déclaré au Washington Post (en anglais) la mère de Trayvon Martin, un jeune Afro-Américain abattu par un vigile en 2012 alors qu'il n'était pas armé. Comme elle, de nombreux Américains font le parallèle entre les deux drames, survenus dans des circonstances similaires.

"L'affaire Trayvon Martin" avait provoqué de nombreuses réactions et manifestations aux Etats-Unis, en particulier après le verdict du procès, qui avait déclaré le tireur non coupable. Les juges avaient estimé que George Zimmerman, qui avait reconnu avoir tiré sur Trayvon Martin alors qu'il traversait une résidence privée de Floride, avait agi en état de légitime défense.

Benjamin Crump, l'avocat de la famille Martin, représente aujourd'hui les parents de Michael Brown, rapporte Mashable (en anglais). Ils n'ont pour l'instant déposé aucune plainte, les investigations de la police n'ayant pas encore abouti. Le FBI a lancé sa propre enquête, qui sera suivie par le département de la Justice, pour déterminer s'il y a eu atteinte aux droits civiques de Michael Brown.

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