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Etats-Unis : à un an de la présidentielle, des restrictions au droit de vote inquiètent les minorités

Il y a cinquante ans, Martin Luther King faisait adopter une loi garantissant l'accès des Noirs américains au vote. Aujourd'hui, des Etats républicains tentent d'affaiblir ce texte, une bataille déjà au cœur de la campagne présidentielle.

Article rédigé par Louis Boy
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Des Américains originaires de l'Alabama rassemblés devant la Cour suprême des Etats-Unis, le 27 février 2013, pour lui demander de "protéger [leur] vote", le jour de l'examen d'une requête juridique contre le Voting Rights Act, à Washington. (CHIP SOMODEVILLA / GETTY IMAGES NORTH AMERICA)

"Nous ne pourrons pas être satisfaits tant qu'un Noir du Mississippi ne pourra pas voter", énonçait Martin Luther King dans son fameux discours, "I have a dream". Deux ans plus tard, le 9 août 1965, son mouvement des droits civiques remportait une de ses plus grandes victoires contre les discriminations raciales, avec la signature du Voting Rights Act, une loi mettant en place de nombreuses mesures pour garantir le droit de vote des Noirs américains.

Cinquante ans plus tard, le New York Times évoque "le rêve défait" de Martin Luther King et de ce Voting Rights Act. Vingt-et-un Etats des Etats-Unis, presque tous dirigés par les républicains, ont introduit ces dernières années des restrictions importantes au droit de vote, comme l'obligation de présenter une carte d'identité. Des mesures présentées comme un moyen de lutter contre la fraude, mais qui touchent en particulier les pauvres, les personnes âgées et les minorités (Noirs, Hispaniques, Amérindiens...). Francetv info vous explique les conséquences que pourraient avoir ces restrictions sur le vote des minorités. 

Au début du XXe siècle, des tests insolubles réservés aux Noirs

En 1870, les anciens esclaves américains (les hommes, tout du moins) obtiennent le droit de vote. A l'époque, les Noirs représentent 13% de la population américaine, et plus de 36% dans le sud du pays. Leur inclusion dans l'électorat bouleverse le rapport de force politique : pour la première fois, des Noirs entrent au Congrès américain. Mais il ne faut que quelques dizaines années pour que les Etats du Sud introduisent des restrictions à l'inscription sur les listes électorales.

L'astuce la plus célèbre pour repousser les électeurs noirs : les literacy tests, des tests d'alphabétisation élaborés et administrés de manière arbitraire, et donc, en pratique, aux électeurs noirs, et quasi-impossibles à franchir. Slate* a publié un de ces tests, utilisé en Louisiane dans les années 1960 : 30 questions plus absurdes les unes que les autres - "Ecrivez 'à l'envers', à l'endroit" - à remplir sans faute, et en moins de 10 minutes. D'autres Etats font payer une taxe donnant droit au vote, excluant les plus pauvres, ou demandent aux électeurs de prouver qu'un de leurs grands-pères a déjà exercé le droit de vote, excluant de fait les Noirs qui viennent de l'obtenir.

En 1965, une loi anti-discriminations aux effets drastiques

Ces discriminations ne disparaissent que le 6 août 1965, avec le Voting Rights Act, la "loi pour le droit de vote", adoptée sous la pression du mouvement des droits civiques de Martin Luther King. Deux articles de la loi, les sections 4 et 5, établissent une liste d'Etats à surveiller (en 2013, elle incluait 10 Etats et des parties de 6 autres), et confient au gouvernement américain le droit d'interdire tout changement de leur loi électorale, au cas où ils tenteraient de rétablir des pratiques discriminatoires.

Les effets sont spectaculaires : dans le Mississippi, le taux d'inscription des Noirs sur les listes électorales passe, en trois ans, de 7% à 54%. Le site Vox résume, en un graphique (en anglais), comment le texte a réduit notablement la disparité entre le pourcentage d'inscrits Blancs et Noirs dans le Sud des Etats-Unis.

En 2015, "des obstacles au vote" qui inquiètent Obama

Mais cinquante ans plus tard, le Voting Rights Act lui-même est en partie menacé. "Aujourd'hui, en 2015, il y a toujours (...) trop de personnes qui tentent d'ériger de nouveaux obstacles au vote", s'inquiète Barack Obama, jeudi, dans un texte qui commémore à la loi cinquantenaire. Ces obstacles "sont même inscrits dans la loi de certaines parties de notre pays – des mesures conçues spécifiquement pour rendre le vote plus difficile pour certaines personnes", affirme le président des Etats-Unis.

Ces attaques contre le droit de vote trouvent leur origine dans une décision de la Cour suprême. En 2013, elle invalide la section 4 du Voting Rights Act, celle qui donne au gouvernement un veto sur les changements de la loi électorale de certains Etats. "Notre pays a changé" et le texte a rempli son rôle, estime le président de la plus puissante juridiction des Etats-Unis.

Barack Obama en tête d'une marche à Selma (Alabama),  le 7 mars 2015, pour le 50e anniversaire de la marche menée, au même endroit, par Martin Luther King pour demander la fin des discriminations contre le vote des Noirs américains. (SAUL LOEB / AFP)

Dès les jours suivants la Caroline du Nord vote, selon les observateurs, "une des lois électorales les plus restrictives" depuis l'époque de la ségrégation. On y trouve toutes les mesures qui font cauchemarder les défenseurs du droit de vote : elle interdit notamment l'inscription sur les listes électorales le jour du vote, réduit la période de vote anticipé (la plupart des Etats permettent de voter dans les semaines qui précèdent le scrutin) et, surtout, oblige les votants à présenter une pièce d'identité avec une photo.

Selon le Brennan Center for Justice, 21 Etats ont introduit des lois de ce type depuis 2010, après une vague électorale en faveur des républicains. Elles pourraient entrer en vigueur dans 15 de ces 21 états dès l'élection de 2016.

L'obligation de présenter une pièce d'identité, un frein au vote

Si de telles conditions vont de soi en France, c'est loin d'être le cas aux Etats-Unis. En 2006, 11% des Américains en âge de voter n'avaient aucun des documents pouvant servir de pièce d'identité : en général, un passeport ou un permis de conduire, même si les Etats délivrent aussi des cartes d'identité. Ce pourcentage grimpe à 25% chez les Noirs contre 8% chez les Blancs. Quant au vote anticipé, selon différents décomptes, la moitié des électeurs qui en ont profité en 2008 étaient noirs, hispaniques ou asiatiques, alors qu'ils ne représentent qu'un quart de l'électorat. Ces nouvelles restrictions, si elles ne visent pas ouvertement les minorités, les affecteront de façon disproportionnée.

Le discours justifiant ces nouvelles lois est le suivant : il s'agit de "lutter contre la fraude électorale", de garantir "l'intégrité des élections". Un argument peu convaincant : le Washington Post (en anglais) rapporte qu'un professeur de droit, à la recherche de cas d'électeurs ayant tenté de mentir sur leur identité, a compté une trentaine d'incidents dans tout le pays entre 2000 et 2012, période où un milliard de bulletins ont été glissés dans l'urne aux Etats-Unis. 

Une arme pour Hillary Clinton contre les républicains

Les démocrates ont déposé en juin, comme le rapportait le Washington Post, une proposition de loi pour rétablir les dispositions du Voting Rights Act, mais elle n'a aucune chance d'être adoptée par le Congrès, dominé par les républicains.

Tout va donc se jouer dans les tribunaux. Mercredi 5 août, la justice américaine a invalidé la loi électorale du Texas, jugée discriminatoire envers les Noirs et les Hispaniques, explique le New York Times. Mais le cas de la loi de Caroline du Nord, qui doit être jugé à la fin de l'année, est selon Vox celui qui a le plus de chances d'être tranché par la Cour suprême, lui donnant l'occasion de revenir sur sa décision. De quoi maintenir le débat sur le droit de vote au cœur de la campagne présidentielle. La favorite démocrate, Hillary Clinton, a déjà attaqué ses adversaires républicains à de nombreuses reprises sur la question : "De quel aspect de la démocratie ont-ils peur ?" s'interrogeait-elle en juin.

* Tous les liens de médias sont en anglais.

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