Etats-Unis : cinq questions sur la fin de la discrimination positive à l'entrée des universités, décidée par la Cour suprême
La fin de mesures issues de la lutte pour les droits civiques aux Etats-Unis ? Un an après avoir révoqué le droit constitutionnel à l'avortement, la Cour suprême américaine a mis un terme, jeudi 29 juin, aux programmes universitaires de discrimination positive prenant en compte la couleur de la peau ou l'origine ethnique des candidats. Six juges conservateurs ont voté en faveur de la fin de ces mesures, jugées contraires à la clause de protection égale du 14e amendement de la Constitution des Etats-Unis. Trois juges progressistes ont au contraire défendu ces mesures de discrimination positive, qui visent à améliorer la représentation de minorités dans les institutions d'éducation et sur le marché du travail.
1En quoi consistaient ces mesures ?
Dans le courant des années 1960, sur fond de lutte pour les droits civiques, des universités américaines avaient commencé à lancer des programmes visant à améliorer la diversité des effectifs étudiants et à réparer des décennies de ségrégation. Comme l'explique le site américain Vox, des établissements ont par exemple commencé à recruter davantage d'étudiants noirs issus de lycées jusqu'alors ignorés par ces universités. Les mesures de discrimination positive liées à l'identité raciale existent donc depuis plus de 50 ans outre-Atlantique.
En 1978, l'affaire Regents of the University of California v. Bakke a donné lieu à un arrêt de la Cour suprême sur le sujet de la discrimination positive. Celle-ci a décrété que l'identité raciale pouvait être prise en compte parmi d'autres critères dans les processus d'admission, mais qu'un système de quotas excluant des candidats sur la base de l'identité raciale constituait une discrimination, explique l'école de droit de l'université Cornell.
Toutes les universités américaines ne prennent pas forcément en compte l'identité raciale de leurs candidats dans les décisions d'admission, rappelle Vox. Neuf Etats américains, dont la Californie, la Floride, l'Etat du Michigan ou de Washington, avaient déjà interdit toute considération raciale dans les admissions à l'université.
2Qu'ont décidé les juges ?
La Cour suprême se prononçait sur deux plaintes déposées en 2014 par l'organisation Students for Fair Admissions ("Des étudiants pour des admissions justes"), à l'encontre des universités d'Harvard et de Caroline du Nord. Comme le souligne le site Vox, cette campagne a été menée par le conservateur blanc Edward Blum, qui a déposé plus de vingt plaintes – notamment contre des mesures de discrimination positive.
Dans la plainte déposée contre Harvard, Students for Fair Admissions affirme que l'université, du fait de ses politiques de sélection prenant en compte l'identité raciale des candidats, discrimine de jeunes Américains d'origine asiatique. Les allégations sont similaires à l'encontre de l'université de Caroline du Nord : pour l'organisation, il existe avec ces mesures une préférence pour certaines minorités, notamment en faveur des candidats noirs et hispaniques.
La plus haute instance judiciaire américaine leur a donné raison. "L'étudiant doit être traité selon son expérience en tant qu'individu, et non sur la base de l'identité raciale", a déclaré le juge John Roberts, président de la Cour suprême, dans la décision de la plus haute juridiction américaine.
"De nombreuses universités ont pendant trop longtemps (...) conclu à tort que la pierre angulaire de l'identité d'un individu n'était pas les défis surmontés, les compétences acquises ou les leçons apprises, mais la couleur de leur peau."
John Roberts, président de la Cour suprêmedans la décision
Dans son arrêt, l'institution rappelle avoir autorisé des admissions sur la base de critères raciaux "dans le cadre de restrictions étroites". Aux yeux des juges conservateurs, les mesures de discrimination positive des universités citées, même si elles étaient "bien intentionnées", n'ont pas réussi à respecter ces restrictions et doivent être invalidées.
3Quels effets la discrimination positive a-t-elle eus ?
Entre 1976 et 2008, la part des étudiants noirs dans les inscriptions en premier cycle universitaire est passée de 10 à 13,9%, selon le Centre national de statistiques en matière d'éducation. La part d'étudiants hispaniques dans les inscriptions, sur cette même période, est passée de 3,7 à 12,9%, et celle des Amérindiens de 0,7% à 1,1%.
Toutefois, en 2017, le New York Times montrait que les mesures de discrimination positive ont eu des effets limités dans les institutions les plus prestigieuses. Selon cette analyse du quotidien, la part d'étudiants noirs en première année, dans une série d'universités d'élite, n'a quasiment pas évolué depuis 1980. Au milieu des années 2010, ils représentaient 6% des étudiants en première année à l'université, mais 15% des Américains en âge d'étudier. La part des étudiants hispaniques en première année a davantage augmenté, mais pas au niveau de l'évolution démographique de cette population.
Dans des Etats qui ont interdit la discrimination positive, on constate "une baisse persistante de la part des minorités sous-représentées parmi les étudiants admis et inscrits dans les universités publiques phares", selon une récente étude* citée par Vox. Exemple en Californie, où l'université de Californie à Berkeley ne comptait plus que 3% d'étudiants noirs en 2017, contre 6% en 1980. Le scénario s'est répété à l'université du Michigan : il y avait 4% d'étudiants noirs inscrits en premier cycle en 2021, contre 7% en 2006, rapporte le New York Times.
4Que vont pouvoir faire les universités désormais ?
Dans l'arrêt de la Cour suprême, le juge John Roberts précise que "rien dans cet avis ne devrait être interprété comme interdisant aux universités de tenir compte des commentaires d'un candidat sur la manière dont l'identité raciale a affecté sa vie". Les universités pourraient donc utiliser cette ouverture, et Harvard a déjà exprimé son intention de le faire.
Comme le relève Vox, des établissements pourraient aussi décider de ne plus réclamer de résultats à certains tests dans leurs procédures d'admission. Ils pourraient aussi continuer de veiller à une diversité socio-économique dans leurs effectifs, ce qui permettrait de maintenir la représentation de minorités, souvent moins privilégiées.
Néanmoins, ces alternatives risquent d'être moins efficaces que des mesures claires de discrimination positive. Des études citées par Vox montrent que, quel que soit le niveau de revenus, les étudiants blancs restent deux fois plus susceptibles que les étudiants noirs d'intégrer une université sélective.
5Quelles sont les réactions politiques ?
Le président américain, Joe Biden, a fait part de son "profond désaccord" et de sa "déception" face à l'arrêt de la Cour suprême. "Nous ne pouvons pas la laisser avoir le dernier mot", a-t-il plaidé. "La décision d'aujourd'hui affectera notre pays pour les décennies à venir", a également réagi Kamala Harris, la vice-présidente des Etats-Unis, évoquant "un pas en arrière pour notre Nation".
Dans le camp républicain, bien plus critique à l'égard de la discrimination positive, l'ancien président Donald Trump a évoqué "un grand jour pour l'Amérique" car "on revient à un système au mérite". "Les candidats ne devraient pas être jugés sur leur identité raciale ou ethnique", a déclaré à son tour le gouverneur républicain de Floride, Ron DeSantis, autre candidat à l'élection présidentielle de 2024.
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