Etats-Unis: vers la fin de la peine de mort? Pas si sûr...
L’exécution de Brandon Astor Jones, qui a succombé à une injection létale peu après minuit à la prison de Jackson, est la 5e aux Etats-Unis depuis le 1er janvier 2016. Son complice, Van Roosevelt Solomon, noir lui aussi et également condamné à mort pour meurtre lors du braquage d’une station service, avait été exécuté en 1985. De son côté, Brandon Jones avait eu son procès annulé au motif que les jurés avaient consulté une Bible durant leurs délibérations. Il avait ensuite été, une nouvelle fois, condamné à mort.
Ses avocats avaient lancé le 2 février d'ultimes recours devant la justice de l'Etat de Géorgie et jusqu'à la Cour suprême à Washington pour surseoir à l'exécution. Mais ces pourvois ont été rejetés. En 2016, quelque 75 hommes attendaient leur exécution rien qu'en Géorgie. Ils sont plus de 3000 pour tous les Etats-Unis, dont 56 femmes.
La majorité des Américains colle «à l’Ancien Testament par instinct», constate le journal britannique The Telegraph. La peine de mort reste ainsi «un acte de juste châtiment, un ‘‘œil-pour-œil’’ qui parle à l’Amérique profonde et attachée à sa foi». A tel point que suspendue par la Cour suprême en 1972, cette peine avait été rétablie dès 1976. Résultat : aujourd’hui, elle reste appliquée dans 31 des 50 Etats et a été supprimée dans 19 autres. Le dernier en date à l’avoir abolie en mai 2015 est le Nebraska.
Le soutien massif de l’opinion
Entre 1976 et 2015, c’est le Texas qui a réalisé le plus grand nombre d’exécutions (526), suivi de l’Oklahoma (112) et de la Virginie (110), selon des chiffres cités par le site de la BBC. Un professeur de droit, Franklin Zimring, a démontré que la carte de ces mises à mort correspondrait grosso modo à la carte des lynchages d’antan…
Pour autant, les enquêtes d’opinion semblent prouver l’attachement de l’opinion américaine pour le «châtiment suprême». Selon l’institut Gallup, 80% des sondés s’y disaient ainsi favorables en 1994.
Néanmoins, ces mêmes enquêtes semblent aussi montrer que sur une vingtaine d’années, le soutien de l’opinion a faibli. Ainsi, toujours selon Gallup, les personnes favorables n’étaient plus «que» 63% en 2015.
Exécutions de handicapés mentaux
Il faut dire que de récentes affaires ont pu contribuer à ébranler les certitudes. Comme celle de Glenn Ford, un homme de 65 ans, mort en juin 2015, après avoir passé plus de 29 ans derrière les barreaux en Louisiane pour meurtre. Il avait finalement été libéré après avoir été blanchi par la justice. Le malheureux n’a guère eu le temps de profiter de sa liberté retrouvée : le cancer qui l’a emporté avait été diagnostiqué peu de temps après sa sortie de prison.
Ces dernières décennies, les tests ADN ont permis de donner une fiabilité plus grande aux enquêtes judiciaires. Résultat : depuis 1973, constate The Telegraph, 151 détenus ont pu être extraits des «couloirs de la mort» (dont près de 50% depuis 2000), à la fois grâce aux examens génétiques et à «une conscience grandissante de la faillibilité du système» judiciaire.
D’autres dossiers ont pu également contribuer à ébranler les certitudes. A commencer par les exécutions de handicapés mentaux, tel Robert Ladd, condamné en 1996 et mis à mort en janvier 2015 au Texas avec l’aval de la Cour suprême. Son retard mental était pourtant reconnu depuis l’enfance.
L’évolution de l’opinion
Autre facteur de l’évolution : la cruauté des méthodes d’exécution. En juillet 2014, l’agonie du condamné Joseph Wood en Arizona a duré près de deux heures. L’homme avait pourtant reçu les doses mortelles prescrites de deux produits.
Problème: «les autorités auraient de plus en plus souvent recours à des préparateurs en pharmacie non homologués pour fabriquer les substances utilisées dans les injections létales, recourant fréquemment à des mélanges», rapporte le journal L’Opinion. Motif : les produits «efficaces» deviennent difficiles à trouver en raison d’un embargo imposé par l’UE aux laboratoires européens…
Les autorités américaines doivent donc s’adapter. C’est ainsi que l’Utah a rétabli en 1995… le peloton d’exécution, mesure dénoncée par Amnesty International.
Tous ces éléments ont sans doute contribué à faire évoluer l’opinion publique. Et à relancer le débat sur la peine capitale. «Les Américains sont sur le point de découvrir la vérité», expliquait déjà, en janvier 2014, le site The Daily Beast.
Sur le front juridique, les choses sont, elles aussi, peut-être en train d’évoluer. Notamment à la Cour suprême dont les juges apparaissent de plus en plus divisée sur la question. Dans un avis (Glossip v. Gross) remarqué, un juge progressiste de cette institution, Stephen Breyer, avait dénoncé en 2015 la «double peine» et ces «durées d'une longueur qui défie la raison et qui sapent le fondement punitif de la peine de mort».
Résultat : Le Nouvel Obs va jusqu'à parler de «la lente mort de la peine de mort».
Une disparition lente, très lente… Car au niveau politique, l’affaire est loin, très loin d’être gagnée. Même Barack Obama, qui a tenté de faire bouger les lignes sur des questions sociales et «sociétales» comme l’assurance maladie (Obamacare), n’est «pas opposé à la peine de mort en théorie», notamment pour des crimes odieux. Il l’a encore rappelé en 2015. Même s’il trouve son application, dans certains cas, «profondément préoccupante». Comme dans les affaires où le condamné met longtemps à mourir.
Il est donc peut-être un peu prématuré de parler, pour l’instant, d’un basculement de l’opinion. Rien n’est plus difficile que de vouloir faire évoluer les mentalités, comme on l’a vu à propos de l’Obamacare.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.