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La révolution du gaz de schiste

Les Etats-Unis devraient être en mesure de ne plus importer de gaz naturel d’ici à 2020, selon l’«Energy Information Administration», une agence gouvernementale américaine. Cette autonomie énergétique gazière est due au gaz de schiste qui connaît un véritable boom. Un bouleversement énergétique qui ne touche pas que les USA.
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Production de gaz aux Etats-Unis. (AFP/ MLADEN ANTONOV)

Aux Etats-Unis, les gaz de schistes représentent 30% de la production totale de gaz, un chiffre qui augmente chaque année, selon des chiffres de l’IFPEN Cette production «représente 6% du gaz dans le monde et 1,7% de la consommation globale d'énergie dans le monde», nous précise Guy Maisonnier, ingénieur économiste de l'IFPEN.

Grâce au développement des gaz non conventionnels (dont le gaz de schiste), les Etats-Unis ont déclassé la Russie en devenant le premier producteur mondial en 2009.

Les Etats-Unis leader
Sur le terrain, les conséquences sont visibles. Selon une étude de l’agence AP, le gaz de schiste a rapporté 3,5 milliards de dollars en 2011 rien qu’en Pennsylvanie, devenue deuxième champ d'exploration du gaz dans le monde, après celui de South Pars, à la frontière entre le Qatar et l'Iran. «Ainsi, dans cet Etat, à Williamsport, petite ville au cœur du bassin minier du Marcellus, le come-back énergétique de l’Amérique est évident. Six nouveaux hôtels ont vu le jour et une centaine de compagnies se sont récemment installées dans la cité qui vit au rythme de Chesapeake Energy», rapporte le magazine suisse Bilan.

Selon le cabinet de conseil américain ATKearney, les gaz de schiste vont stimuler 400 milliards d’euros d’investissements industriels d’ici à cinq ans aux Etats-Unis, principalement répartis entre l’énergie et la chimie.

«Aux Etats-Unis, le gaz de schiste a pu diviser par deux, voire par trois le prix du gaz», notait récemment l'économiste Jean-Marie Chevalier. La production d’électricité connaît un véritable retournement, les producteurs s'orientant vers cette source au détriment du charbon par exemple.

De plus, l’abondance de gaz aux Etats-Unis va avoir des conséquences industrielles en incitant des entreprises chimiques (mais pas seulement) à se réimplanter pour profiter de cette énergie bon marché. L'industrie manufacturière pourrait recruter un million de personnes supplémentaires d'ici 2025, affirme un rapport de PriceweterhouseCoopers.

Vidéographie AFP, mise en ligne le 10 juillet 2012
 

Difficile dans ce contexte de rester insensible à l'effet gaz de schiste. Résultat, la pression est de plus en forte, partout dans le monde, pour se lancer à la recherche du nouvel or noir. Mais tous les pays n'ont pas la législation américaine qui permet de forer très facilement, le propriétaire du terrain étant maître de son sous-sol, pour le plus grand bonheur des sociétés pétrolières ou gazières.

Emballement mondial
Par rapport à l'exploitation de ces gaz dits «non conventionnels», les pays se divisent entre pro et anti. On l'a vu en France : un moratoire a été décidé sur l'exploitation par fracturation hydraulique de ce gaz. Le Québec a fait le même choix. Mais tous les pays européens n'ont pas pris une telle décision.

La Pologne va investir pour 12 milliards d’euros d’ici 2020 pour le gaz de schiste. Un rapport estime que les réserves du pays en gaz de schiste seraient de 1.920 milliards de m3, la situant au 3e rang européen derrière la Norvège et les Pays Bas. La Pologne consomme 14 milliards de m3 de gaz par an, essentiellement importé de Russie.

De son côté, le Royaume-Uni veut mettre au point un système fiscal généreux pour encourager la production de ce gaz. Le gouvernement conservateur anglais utilise un argument simple en période de crise : aux Etats-Unis, l'exploitation du gaz de schiste a permis une baisse du prix du gaz. En Angleterre, l’exploitation du gaz de schiste pourrait créer 30.000 emplois, selon le patronat britannique.

Un équilibre des énergie modifié
Outre les questions d’environnement, tant dans l’exploitation de cette ressource que dans la question du réchauffement, ce boom gazier a d’autres conséquences sur l’équilibre mondial des énergies.

Alors qu’avant la crise, on craignait le manque de pétrole, «la menace d'une pénurie des ressources pétrolières ne semble plus imminente et la notion de 'pic pétrolier' (niveau au-delà duquel la production pétrolière diminuerait inexorablement, NDLR), apparaît de plus en plus comme non pertinente», souligne l'institut Chatham House. «C'est au contraire la demande pétrolière qui semble approcher d'un 'plateau' dans les pays développés.»

L'arrivée de ces gaz peuvent aussi modifier les politiques d'investissement des grandes compagnies en raison de risques de moindre rentabilité. «Cette arrivée (du gaz de schiste) a rajouté beaucoup d’incertitudes sur ce marché», selon Jean-Marie Jean-Marie Chevalier.

Les conséquences sur ce marché sont complexes
Le fait que les USA importent beaucoup moins de gaz a sans doute empêché une hausse de son prix, car le Japon en a acheté d'avantage pour remplacer ses centrales nucléaires à l'arrêt. Autre conséquence, les Etats-Unis utilisent moins de charbon, mais du gaz de schiste pour son électricité. Charbon qui est d'avantage utilisé par l'Angleterre...

«Il est encore difficile d'estimer les ressources mondiales en gaz de schistes, mais elles semblent considérables et pourraient, à terme, changer la donne de la géopolitique gazière», affirme Roland Vially, géologue à IFP Energies nouvelles.

Les rapports se multiplient sur l’ampleur des réserves en gaz de schiste sur la planète. Des rapports parfois critiqués pour leur optimisme… et leurs origines proches des compagnies pétrolières.

En Pologne, l'estimation des ressources a été divisée par cinq (voire par dix, nous précise Guy Maisonnier) depuis le lancement de l'exploration, selon les chiffres de l'EIA (office américain d'information sur l'énergie). Le New York Times  avait, lui, mis une «belle pagaille dans l'industrie américaine des gaz de schiste» en montrant «que les réserves exploitables et la rentabilité de la production de ce gaz naturel non-conventionne, ont été largement surestimées», rappelait le blog Oil man du Monde.

Questions en suspens
Depuis le début de son exploitation, les défenseurs de l’environnement mettent en cause les risques causés par la production de gaz de schiste par la technique de la fracturation hydraulique.

Extrait de Gasland (avec l'eau qui prend feu...)



En Angleterre, les forages ont été suspendus en raison de secousses sismiques. Une faible secousse, d'une magnitude de 2,3 sur l'échelle de Richter, a été enregistrée le 1er avril 2012 autour d'un site de forage proche de la ville côtière de Blackpool. Le 27 mai, une seconde secousse d'une magnitude de 1,4 a poussé les élus et les écologistes à mettre en cause la technique de fracturation hydraulique.

La consommation d’énergies fossiles supplémentaires pèse sur le climat. Sans conclusions définitives, les études parlent toutes de risques de réchauffement liés à ces consommations (GIEC). L'exploitation du gaz de schiste sur un horizon de vingt ans contribue fortement aux émissions de gaz à effet de serre en raison de la présence de méthane, affirme une étude de Robert Howarth et son équipe, de l'Université de Cornell à New York.

La gaz couvre aujourd'hui plus de 21% de la demande mondiale d'énergie primaire, selon l’EIA. La demande mondiale de gaz a augmenté de 2,8% par an en moyenne ces dix dernières années. C'est une croissance sensiblement plus rapide que celle de l'énergie (2,6%), et que celle du pétrole en particulier (1,3%).

Si le boom américain perdure et que d'autres grands pays s'engouffrent dans cette production, il sera de plus en plus difficile d'éviter le débat dans les pays qui ont, pour l'instant, refusé d'entrer dans cette nouvelle révolution énergétique.

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