Etats-Unis : George Floyd avait-il pris "plus de deux fois la dose mortelle de fentanyl" ?
Un site internet prétend que l'Afro-Américain décédé le 25 mai lors de son interpellation par la police avait consommé une dose du puissant opioïde largement suffisante pour causer sa mort. Si l'autopsie a bien révélé la présence de la substance, la dose létale diffère selon les individus.
Une nouvelle fausse information entourant la mort de George Floyd ? Des infox avaient circulé après le décès de l'Afro-Américain des suites de son interpellation par la police de Minneapolis (Etats-Unis) le 25 mai. Deux mois et demi plus tard, une plateforme israélienne s'affichant comme "site d'information indépendant" a prétendu mardi 11 août faire des "révélations" sur le sujet.
Dans un article retweeté près de 800 fois, Europe Israël, qualifié en 2017 de "site d'extrême droite" par Le Monde, avance que "l'organisme de George Floyd" contenait "deux fois la dose mortelle" de fentanyl. Ce puissant analgésique opioïde est responsable d'une grave crise sanitaire aux Etats-Unis, avec 32 000 décès pour la seule année 2018. Pour le site internet, "George Floyd est vraisemblablement mort d'overdose".
"Il allait sans doute mourir dans les minutes qui allaient suivre, au vu de la dose de fentanyl absorbée", prétend l'article. Europe Israël considère de ce fait que "les trois policiers accompagnant Derek Chauvin [le policier ayant positionné son genou sur le cou de l'Américain] sont innocents", tandis que Derek Chauvin, accusé de meurtre non prémédité, devrait, "en toute justice, être acquitté". Pour décortiquer ces propos autour d'une affaire qui a provoqué d'importantes manifestations aux Etats-Unis et sur la planète, franceinfo s'est plongé dans les résultats d'autopsie de George Floyd.
Il n'est pas simple d'évaluer ce qu'est une dose mortelle de fentanyl
L'autopsie officielle de George Floyd, réalisée le 26 mai par le médecin légiste du comté de Hennepin (où se trouve Minneapolis), a donné lieu à un rapport (PDF*) de 20 pages. Les analyses sanguines sont formelles : son organisme contenait bien 11 nanogrammes de fentanyl par millilitre de sang, ainsi que d'autres substances telles que la méthamphétamine.
Le rapport indique que des "taux aussi bas que 3 nanogrammes de fentanyl par millilitre de sang" ont été relevés chez des personnes décédées à cause de la consommation de cet opioïde, soit moins que ce que montrent les analyses de l'autopsie de George Floyd. Mais il est aussi mentionné aussi que les niveaux de concentration dans le sang demeurent "variables" lors de ce type d'overdose.
Il n'est pas simple, en effet, d'évaluer ce qu'est une dose mortelle de fentanyl pour un être humain. Le centre Oxford Treatment*, qui s'occupe de toxicomanes au Mississippi, indique qu'elle est généralement placée autour de 2 milligrammes dans l'organisme en entier. Néanmoins, comme pour toutes les drogues, elle diffère selon les individus : "La dose létale pour un petit enfant ou une femme pesant 45 kg sera sensiblement plus petite que la dose létale pour un homme de 136 kg", notent les spécialistes du centre.
La concentration sanguine de fentanyl augmente après la mort
Autre paramètre important à prendre en compte : la "tolérance" des personnes à l'opiacé. Selon le centre Oxford Treatment, "les individus qui ont développé une tolérance importante à une substance auront besoin de quantités de drogue plus importantes pour faire une overdose" ou subir des conséquences "mortelles" liées à leur consommation.
En revanche, le site américain explique que le mélange de drogues dans l'organisme, notamment avec l'"héroïne", peut "drastiquement réduire" le niveau de la dose létale de fentanyl. L'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, agence de l'Union européenne, va dans le même sens. Il indique que "des concentrations sanguines d’approximativement 7 ng/ml ou plus [donc inférieures au taux identifié dans le sang de George Floyd] ont été associées à des décès impliquant l’usage de poly-substances". Cependant, l'observatoire ne mentionne pas une quelconque dose létale moyenne.
Pour le neuroscientifique Carl L. Hart, qui a évoqué les causes du décès de George Floyd dans le New York Times*, le taux de fentanyl présent dans le sang de la victime présumée "ne nous dit pas grand-chose". Les drogues "n'ont pas contribué à sa mort", affirme le professeur de l'université de Columbia, spécialiste des effets des substances psychoactives sur les humains. Selon lui, George Floyd n'a pas été victime d'un effet fatal provoqué par la substance, ni "déliré" du fait de la prise de fentanyl au point de forcer les policiers à recourir à la force, un constat qu'il dresse à la vue des images de l'arrestation. "Il ne semblait ni somnolent ni léthargique, alors que c'est ainsi que se comportent les personnes sous l'effet d'opioïdes", analyse-t-il.
Carl L. Hart ajoute enfin qu'"immédiatement" après le décès d'une personne, "la concentration sanguine en fentanyl augmente de manière significative". Un phénomène connu sous le nom de "redistribution" qui entraîne une "grande variabilité" des taux de fentanyl dans le sang après le décès, ont observé des chercheurs du CHU de Montpellier, dans une étude. De quoi fausser, possiblement, les relevés effectués sur le corps de George Floyd, même si d'après le rapport d'autopsie, ceux-ci ont été faits "ante-mortem" à 21 heures, soit 25 minutes avant sa mort, mais plus de 30 minutes* après avoir été bloqué au niveau du cou par le policier Derek Chauvin.
Pour la famille de George Floyd, la drogue n'a pas causé sa mort
"Que [George Floyd] ait ou non été intoxiqué" ou que l'on ait relevé des traces de "médicaments" dans son organisme "n'a pas de rapport avec la cause de la mort, qui est due à un meurtre", a affirmé l'avocat de la famille, Antonio Romanucci, interrogé début juin par la chaine américaine CNN*. "Le résultat final, qui est la mort de George Floyd, ne serait en rien différent."
Dans les conclusions* de l'autopsie indépendante demandée par la famille de George Floyd, également relayées sur Twitter* par le deuxième avocat de la famille, Ben Crumb, les médecins légistes n'ont d'ailleurs pas retenu la présence de fentanyl (ou encore des antécédents médicaux) parmi les causes de sa mort. Selon eux, le décès résulterait d'une "asphyxie" liée à la compression de son dos et de son cou. De quoi entraver "le flux sanguin en direction du cerveau" de la victime présumée de Derek Chauvin.
L'autopsie officielle conclut à un "homicide"
L’autopsie officielle, elle, s’attache toutefois à relever une "intoxication au fentanyl", au même titre qu’une "utilisation récente de méthamphétamine" et des problèmes cardiaques, comme l'équipe médicale le précise dans un communiqué (PDF*). "De potentiels stupéfiants" et un "état de santé sous-jacent" auxquels fait également référence la plainte (PDF*) déposée le 29 mai contre Derek Chauvin par l’Etat du Minnesota.
Toutefois, pour le médecin légiste ayant rédigé le rapport de l’autopsie officielle, la mort de George Floyd est bel et bien un "homicide". Le décès est dû à "un arrêt cardiopulmonaire" en lien avec son "immobilisation" forcée et "la compression de son cou", et non à la consommation de drogues ou à une asphyxie.
Le procès de Derek Chauvin (et de ses trois collègues) devrait débuter le 8 mars 2021. L’ex-policier risque jusqu'à 40 ans de prison.
* Ces liens renvoient vers des pages en anglais.
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