Comment le "scandale russe" a rattrapé Donald Trump
"Je ne fais pas l’objet d’une enquête. Pour quoi le serais-je ? Je n’ai rien fait de mal." Assis dans le Bureau ovale, mercredi 19 juillet, Donald Trump fait face à trois journalistes du New York Times. Le président américain est sous une pression accrue, alors que son gendre a été entendu par deux commissions d’enquête parlementaires, lundi 24 et mardi 25 juillet. Son fils aîné, Donald Jr, a lui aussi été convoqué devant le Congrès.
Mais le milliardaire s’en moque : il assure que les soupçons de collusion avec la Russie qui pèsent sur son entourage n’ont aucun fondement. Le "scandale russe" a pourtant contribué à fragiliser le chef de l’Etat, qui fait aujourd’hui face à un taux d’impopularité record. Seuls 36% des Américains sont satisfaits de sa politique, selon un sondage pour le Washington Post et ABC News publié lundi 17 juillet. Comment les liens entre les proches de Donald Trump et la Russie ont-ils mis du plomb dans l’aile du président ? Franceinfo se plonge dans les coulisses du clan Trump et retrace le cours des événements de cette affaire au parfum de scandale.
Une campagne présidentielle sous influence russe
"Ce serait très utile à ton père." Le mail reçu le 3 juin 2016 par Donald Trump Jr, le fils aîné de l'homme d'affaires, contient une promesse alléchante. A un mois de la Convention des républicains, qui désignera le candidat du parti à l’élection présidentielle, le communicant britannique Rob Goldstone assure pouvoir obtenir des documents "compromettants" sur Hillary Clinton. L’ancienne secrétaire d’Etat est favorite dans la course à l’investiture du Parti démocrate. "Il s’agit évidemment d’informations très sensibles, mais cela fait partie du soutien de la Russie et de son gouvernement à Donald Trump", ajoute le mail, cité par le New York Times.
"La plupart des commentateurs s’accordent à dire que Donald Trump Jr aurait dû contacter le FBI pour signaler la tentative russe d’influencer l’élection", explique David Smith, chef du bureau du Guardian à Washington, à franceinfo. Il ne faut toutefois que quelques minutes au fils du candidat républicain pour répondre à Rob Goldstone. "Si [le document] est vraiment ce que vous dites, j’adore, surtout pour cet été." Donald Trump Jr croit avoir trouvé une arme pour la prochaine étape de la course à la Maison Blanche : de quoi ternir l’image d’Hillary Clinton, une fois les primaires passées.
Six jours plus tard, Rob Goldstone se rend au 25e étage de la Trump Tower. Un étage sous le bureau de Donald Trump. Après une semaine d’échanges par e-mail, l’intermédiaire britannique est parvenu à organiser une rencontre entre Donald Trump Jr, Jared Kushner, gendre du candidat, Paul Manafort, directeur de campagne, et l’avocate russe Natalia Veselnitskaya. Elle est censée détenir des informations sur Hillary Clinton. "Ses propos étaient vagues, ambigus et n’avaient pas de sens, assure le fils du candidat à CNN. Il est rapidement apparu qu’elle n’avait aucune information de valeur." La rencontre est abrégée au bout de 30 minutes. Mais elle reste problématique. "Il est assez commun aux Etats-Unis de chercher à avoir des informations compromettantes sur la concurrence, rappelle David Smith. Mais cette fois, un gouvernement étranger est impliqué, ce qui revient à franchir la ligne rouge."
De son côté, Hillary Clinton fait face à des difficultés. Le Washington Post révèle, le 14 juin, que le Comité national démocrate (DNC) a été piraté. Une firme de cybersécurité engagée par le parti accuse la Russie d’être responsable, rapporte USA Today. Un mois plus tard, WikiLeaks met en ligne 20 000 e-mails provenant du DNC. Alors que le FBI ouvre une enquête, Donald Trump balaie les accusations qui pèsent contre Moscou. "Russie, si tu m’écoutes, j’espère que tu arriveras à retrouver les 30 000 e-mails manquants", lance même le candidat républicain lors d’un point presse. Une allusion à peine voilée aux e-mails envoyés par Hillary Clinton depuis une adresse privée, alors qu’elle était secrétaire d’Etat, et depuis supprimés. Ce procédé, inhabituel pour le poste, plombe la campagne de la démocrate depuis plusieurs semaines.
La presse a toutefois une autre affaire en ligne de mire. Le New York Times affirme, le 14 août 2016, que le directeur de campagne de Donald Trump a touché plusieurs millions de dollars versés par un parti pro-russe en Ukraine. Paul Manafort nie en bloc, sans parvenir à apaiser la polémique. Cinq jours plus tard, il est débarqué de l’équipe. Donald Trump entre, lui, dans la dernière ligne droite de la course à la Maison Blanche. Avec une marotte. En interview, lors des points presse, durant les débats face à Hillary Clinton… Il s'acharne à le répéter : la Russie n’est pas responsable du piratage du DNC. Le secrétaire à la Sécurité intérieure annonce pourtant, le 7 octobre, que l’ensemble du renseignement américain pense que Moscou a tenté d’influencer la campagne. Rien n’y fait, le milliardaire continue de défendre Moscou.
Agacée, Hillary Clinton va jusqu’à traiter Donald Trump de "pantin" de Vladimir Poutine lors du dernier débat électoral. Cela ne suffira pas à sauver la campagne de la démocrate. Mardi 8 novembre, Donald Trump réalise ce que tous les médias et sondeurs annonçaient comme impossible quelques mois plus tôt. Le milliardaire devient le 45e président des Etats-Unis. Hillary Clinton a remporté le vote populaire d’environ 2 millions de voix, mais est privée de victoire par le suffrage indirect. Face à ses soutiens et fans réunis à l’hôtel Hilton Downtown, à New York, le clan Trump jubile. "Je serai le président de tous les Américains, promet le milliardaire à la foule. Nous traiterons équitablement avec tout le monde, toutes les personnes et tous les pays."
Une "ligne de communication" entre Moscou et la Trump Tower
Donald Trump doit encore patienter deux mois pour investir le Bureau ovale. Mais le président élu commence déjà à réfléchir à sa future administration. Le 17 novembre 2016, il nomme Michael Flynn comme conseiller à la Sécurité nationale. Barack Obama lui avait pourtant déconseillé, une semaine plus tôt, de proposer ce poste au général à la retraite. Le chef de l’Etat et son équipe estimaient que l’ancien militaire était trop focalisé sur les questions de terrorisme, au détriment d’autres sujets relevant de la sécurité intérieure. Michael Flynn ne serait "pas à la hauteur" du poste, selon des propos du président sortant, rapportés par CNN.
Le nouveau conseiller à la Sécurité nationale ne perd toutefois pas de temps pour lancer certains chantiers. Début décembre, il rencontre Jared Kushner et l’ambassadeur russe Sergueï Kislyak dans un bureau de la Trump Tower. Le but : "établir une ligne de communication" entre la nouvelle administration et Moscou, selon les explications de la Maison Blanche citées par le New York Times.
Poursuivant leurs enquêtes, la CIA puis le FBI confirment que la Russie a tenté d’influencer l’élection présidentielle en faveur de Donald Trump. Barack Obama ordonne, à la mi-décembre, une revue complète des piratages menés par Moscou durant la campagne. Son successeur continue, lui, de défendre la patrie de Vladimir Poutine, note le Washington Post. "Je crois que c’est ridicule. Je n’y crois pas du tout."
Ces suspicions sont toutefois suffisantes pour pousser Barack Obama à annoncer, le 29 décembre, une série de sanctions contre la Russie. Une trentaine de diplomates soupçonnés d’espionnage sont notamment expulsés du territoire. Le même jour, Michael Flynn décroche son téléphone. Il passe jusqu’à cinq appels à Sergueï Kilsyak, évoquant notamment les sanctions américaines, détaille Vox. "La loi interdit pourtant aux citoyens de négocier avec un gouvernement étranger, soulève David Smith. Or, le mandat de Michael Flynn n’avait pas encore officiellement commencé."
Donald Trump s’apprête, lui, à emménager dans l’aile ouest de la Maison Blanche. Il rencontre pour la première fois le directeur du FBI, James Comey, le 6 janvier 2017. Le patron de la police fédérale doit briefer le président élu sur plusieurs dossiers en cours, dont l’enquête sur les soupçons d’ingérence russe. A l’issue de l’entretien, James Comey informe Donald Trump qu’il n’est pas visé par l’investigation. "Nous n’avions pas de dossier de contre-espionnage sur lui, a plus tard expliqué le chef de la police, cité par le Washington Post. Lors de ce tête-à-tête à la Trump Tower, en fonction de la réaction de Donald Trump au briefing et sans qu’il me pose directement la question, je lui ai donné cette garantie."
Le "scandale russe" atteint Donald Trump
Lorsque Donald Trump prend officiellement ses fonctions, vendredi 20 janvier, l’ombre du scandale russe plane au-dessus de lui. BuzzFeed a publié, dix jours plus tôt, 35 pages de notes "compromettantes" censées provenir du renseignement américain. Le document affirme que le milliardaire et ses proches ont échangé des renseignements avec le Kremlin pendant des années. BuzzFeed admet toutefois ne pas être capable d’authentifier le document, alors que Donald Trump crie sur Twitter aux "fake news" et à la "chasse aux sorcières". Le doute est jeté sur les liens entre l’entourage du président et la Russie. La presse n’est pas la seule à s’intéresser à l’affaire : le 27 janvier, le département de la Justice avertit la Maison Blanche qu’il soupçonne Michael Flynn de ne pas avoir été honnête sur la teneur de ses échanges avec Sergueï Kislyak.
FAKE NEWS - A TOTAL POLITICAL WITCH HUNT!
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) 11 janvier 2017
Le même jour, Donald Trump s’entretient une nouvelle fois avec James Comey. Le président et le directeur du FBI dînent cette fois à la Maison Blanche. Selon le patron de la police fédérale, le tête-à-tête vire à la tentative de pression. Donald Trump demande d’abord à son invité s’il souhaite "rester à la tête du FBI", alors que son mandat court jusqu’en 2023. "J'ai besoin de loyauté, j'attends de la loyauté", réclame ensuite le chef de l’Etat, selon les propos rapportés par James Comey. "Mal à l’aise", le directeur s’engage simplement à être "honnête", révèle le New York Times.
Le quotidien met le feu aux poudres, jeudi 9 février, en révélant le contenu des échanges entre l’ambassadeur russe aux Etats-Unis, Sergueï Kilsyak, et Michael Flynn. Le conseiller à la Sécurité nationale est accusé d’avoir trompé le vice-président, Mike Pence, en affirmant qu’ils n’avaient pas parlé des sanctions américaines contre la Russie. Michael Flynn n’a d’autre choix que de démissionner, lundi 13 février.
Donald Trump tente le lendemain de lui venir en aide, lors d’une nouvelle rencontre avec James Comey. "J’espère que vous trouverez un moyen d’abandonner l’affaire, de laisser Michael Flynn tranquille. C’est un homme bien", glisse-t-il au patron du FBI, selon le New York Times. Eludant la question, James Comey se contente de répondre : "Je suis d’accord, c’est un homme bien." Dans les jours qui suivent, l’administration Trump lui demande à plusieurs reprises de contredire publiquement un article du New York Times, qui pointe les liens entre l’équipe du président et les services de renseignement russes durant la campagne électorale. Sans succès.
James Comey cherche une échappatoire. Il demande au ministre de la Justice, Jeff Sessions, de ne plus le laisser seul avec Donald Trump. Le procureur général, ami de longue date du président, ignore la requête. Il se récuse en outre, jeudi 2 mars, de toute investigation en cours ou à venir sur le scandale russe. Après plusieurs semaines passées à demander à James Comey de le blanchir publiquement, Donald Trump finit, lundi 8 mai, par évoquer le limogeage du directeur du FBI avec Jeff Sessions. Il envoie son garde du corps remettre en personne la lettre annonçant sa décision à James Comey. Le courrier précise que la sanction est "recommandée" par le procureur général et reproche au FBI d’avoir bâclé l’enquête fédérale sur les e-mails Hillary Clinton. Donald Trump admet toutefois lors d’un entretien avec la chaîne NBC que l’investigation sur le scandale russe a eu un impact sur le limogeage de James Comey : "Je me suis dit : 'Ce truc avec Trump et la Russie est une invention, c’est un prétexte pour les démocrates qui ont perdu une élection qu’ils auraient due gagner.'"
"Il a fallu deux ans pour arriver au bout du scandale du Watergate"
Evincé, James Comey choisit de régler ses comptes en public. Devant la commission du Sénat chargée de l’enquête sur le "scandale russe", l’ancien patron du FBI livre un témoignage accablant contre Donald Trump, jeudi 8 juin. Il indique avoir pris des notes après chacun de ses échanges avec le locataire de la Maison Blanche. "Je me suis senti obligé de documenter mes rencontres avec le président car j’avais peur qu’il mente au sujet de ces réunions."
James Comey ne se risque pas à accuser le président de tentative d’obstruction. Mais il admet s’être senti dans une position délicate. "Mon bon sens me disait qu’il voulait quelque chose en échange de mon maintien à mon poste, explique-t-il aux sénateurs. J’avais l’impression que le président pourrait me licencier s’il ne me considérait pas loyal." Le camp Trump dément formellement cette version des faits, assurant que c’est James Comey qui a demandé s’il resterait en poste.
Le ministre de la Justice, Jeff Sessions, est lui aussi appelé devant la commission d’enquête du Sénat le 13 juin. On lui reproche d’avoir omis de rapporter une rencontre, en septembre, avec l’ambassadeur russe, Sergueï Kislyak. Le procureur général n’en garde aucun souvenir. Jeff Sessions est également interrogé sur sa décision, en mars, de se récuser de l'enquête sur le scandale russe, rapporte le New York Times. Cela n’est lié à "aucun méfait", assure-t-il face aux sénateurs. Il explique avoir simplement respecté le règlement du département de la Justice : en tant qu'ancien soutien de Donald Trump pendant la campagne présidentielle, le ministre ne peut être impliqué dans l'investigation.
Mais le mal est fait. Jeff Sessions a donné du grain à moudre à certains opposants de Donald Trump, qui estiment qu'il s'est mis en retrait de l'enquête parce qu'il avait quelque chose à se reprocher. Donald Trump prend en grippe son ministre de la Justice. "Il n’aurait jamais dû se récuser, s’agace le président américain dans un entretien au New York Times, mercredi 19 juillet. S’il avait prévu de se récuser, il aurait dû me le dire avant d’accepter le poste et j’aurais choisi quelqu’un d’autre."
James Comey et Jeff Sessions ne sont pas les seules épines dans le pied du milliardaire. Plus d’un an après les faits, le New York Times révèle la rencontre entre Donald Trump Jr et l’avocate Natalia Veselnitskaya. Le fils du président dément dans un premier temps que la réunion portait sur de possibles informations "compromettantes" concernant Hillary Clinton. Avant de décider de publier lui-même sur Twitter les e-mails qu’il a échangés avec l’intermédiaire britannique Rob Goldstone. "Le New York Times était sur le point de publier cette correspondance, estime le journaliste du Guardian David Smith. Donald Trump Jr a voulu court-circuiter le quotidien et maintenir un semblant de transparence. Mais il a très mal géré cette affaire."
Plusieurs proches du président sont désormais sur la liste des personnes que les commissions d’enquête parlementaire souhaite entendre. Jared Kushner est interrogé à huis clos par les sénateurs, lundi 24 juillet. "Je n'ai pas commis de collusion avec la Russie et je ne connais personne au sein de l'équipe de campagne qui l'ait fait, assure-t-il, à la veille d'une seconde audition devant la Chambre des représentants. Je n'ai eu aucun contact inapproprié." Donald Trump Jr et l’ancien directeur de campagne du président, Paul Manafort, sont eux en négociation avec le Congrès pour déterminer une date d'audition à huis clos.
En plus des commissions d'enquête du Sénat et de la Chambre, un procureur spécial a été nommé pour encadrer l'investigation du FBI. Mais Donald Trump est encore loin de faire face à une procédure d’"impeachment". "Pour l’instant, le Parti républicain continue de le soutenir, rappelle David Smith, journaliste au Guardian. Mais si les élections de mi-mandat [en 2018] sont un échec, les républicains seront sans doute moins enclins à fermer les yeux."
Le principal risque pour Donald Trump est donc politique, s’il finit par se mettre à dos son parti. La réforme du système de santé, la question de l’emploi et la politique intérieure menée par le président pourraient irriter les républicains bien avant que l’enquête sur le "scandale russe" n’aboutisse. Mais le spectre de la "collusion" plane au-dessus de la Maison Blanche. "De nombreux commentateurs font le parallèle entre cette affaire et le Watergate. Il nous manque encore de nombreuses pièces du puzzle du 'scandale russe', mais il a fallu deux ans pour arriver au bout du scandale impliquant Nixon, note David Smith.
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