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Etats-Unis : cinq questions sur les grâces présidentielles accordées par Trump à ses proches

Au total, 73 personnes ont bénéficié d'une grâce totale de la part du président sortant et 70 autres ont vu la durée de leur peine réduite.

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Donald Trump, le 12 janvier 2021 à Washington (Etats-Unis). (BRENDAN SMIALOWSKI / AFP)

Avant de rendre les clés de la Maison Blanche, Donald Trump distribue les cadeaux à ses proches. A quelques heures de l'investiture de Joe Biden, mercredi 20 janvier, le président sortant des Etats-Unis a accordé la grâce à des dizaines de personnalités, dont son ancien conseiller politique Steve Bannon. Le milliardaire a en outre raccourci la durée des peines de 70 autres personnes, sans en effacer la sentence. Franceinfo revient sur le sujet en cinq questions.

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1Combien de personnes a-t-il graciées ?

Au total, 73 personnes ont bénéficié d'une grâce totale de la part du président sortant et 70 autres ont vu la durée de leur peine réduite. Le communiqué publié mercredi par la Maison Blanche est long de 12 pages sur un logiciel traitement de texte. Les personnalités listées ont été condamnées ou poursuivies pour des raisons différentes : certaines pour trafic de cannabis ou de cocaïne, pour braquage ou tentative de braquage, d'autres pour détournement de fonds ou infraction à la législation sur les armes. 

Chaque paragraphe qui accompagne le nom d'une personnalité ayant bénéficié de cette ultime faveur de Donald Trump revient sur les faits qui lui sont reprochés, avant d'insister sur les raisons qui ont motivé le milliardaire américain à lui accorder son pardon. Un détenu condamné à 14 ans de prison pour trafic de cocaïne est ainsi loué pour le "travail important accompli durant son incarcération et ses réalisations notables dans le domaine de l'éducation, (...) qui montrent qu'il a profité du temps de sa peine pour maximiser ses chances d'être un citoyen productif à sa libération".

2Qui sont les principaux bénéficiaires ?

Steve Bannon. Il est sans aucun doute la figure de la liste la plus connue en France. Ancien membre du conseil d'administration de Cambridge Analytica, entreprise qui avait détourné les données personnelles de dizaines de millions d'utilisateurs de Facebook à des fins de propagande politique, il a accédé à une notoriété mondiale en 2016, lorsqu'il est devenu le stratège de Donald Trump lors de sa première campagne présidentielle. Devenu conseiller du président à la Maison Blanche, il avait ensuite été poussé vers la sortie par le milliardaire. Son succès électoral lui avait toutefois permis d'être l'invité vedette de Marine Le Pen lors du congrès du Front national de 2018, avant que l'ancienne candidate à la présidentielle française ne prenne ses distances avec lui. 

Steve Bannon, accueilli par Marine Le Pen sur la scène du congrès du Front national, le 10 mars 2018 à Lille (Nord). (PHILIPPE HUGUEN / AFP)

A la différence de l'écrasante majorité des personnalités graciées par Donald Trump, Steve Bannon n'a pas encore été jugé. En août, il avait été inculpé et arrêté par les procureurs fédéraux de Manhattan, car il était soupçonné d'avoir détourné à son profit un million de dollars (822 000 euros) d'une collecte destinée à financer la construction du mur cher à Donald Trump à la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique. Il avait plaidé non-coupable. 

Elliott Broidy. Ancien responsable des finances du parti républicain, pour lequel il a été un important collecteur de fonds, il a lui aussi été un des proches de Donald Trump lors de la campagne 2016. Il a plaidé coupable en octobre d'avoir agi en tant qu'"agent étranger non enregistré", admettant avoir accepté de l'argent pour faire secrètement pression sur l'administration américaine pour les intérêts chinois et malaisiens. Dans son communiqué, la Maison Blanche loue "ses nombreuses actions philanthropiques, notamment au nom des forces de l'ordre, des programmes militaires et des anciens combattants et de la communauté juive".

Anthony Levandowski. Ex-ingénieur chez Google, Anthony Levandowski a plaidé coupable d'avoir volé plus de 14 000 fichiers concernant une technologie secrète de l'entreprise sur ses voitures autonomes, avant de démissionner pour obtenir un poste stratégique dans ce domaine chez Uber. 

L'ancien ingénieur de Google Anthony Levandowski, le 24 septembre 2019 à San Francisco (Etats-Unis). (JUSTIN SULLIVAN / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)

En août, la justice avait condamné ce quadragénaire à 18 mois de prison. Le juge de San Francisco qui avait prononcé la sentence, habitué à trancher les litiges de la Silicon Valley depuis près de 50 ans, avait alors évoqué "le plus grand crime relatif au secret commercial [qu'il n'ait] jamais vu", rapportait la BBC. Donald Trump a visiblement retenu autre chose du jugement : le communiqué de la Maison Blanche relève que "le juge qui l'a condamné l'a notamment qualifié de 'brillant ingénieur révolutionnaire dont notre pays a besoin'" et qu'Anthony Levandowski avait "payé un prix important pour ses actes et prévoit désormais de consacrer ses talents à l'avancement du bien public".

Lil Wayne. Le rappeur Lil Wayne, de son vrai nom Dwayne Michael Carter, a plaidé coupable devant un tribunal fédéral en décembre dernier pour possession illégale d'une arme à feu. L'auteur du tube A Milli, vainqueur de quatre Grammy Awards en 2009, devait être jugé en mars en Floride et risquait jusqu'à 10 ans de prison. Le 29 octobre, Lil Wayne a tweeté une photo de lui en compagnie de Donald Trump.

3Est-ce une première pour Donald Trump ?

Non. Ces derniers mois, Donald Trump a déjà utilisé ce pouvoir présidentiel et a exonéré des collaborateurs et des proches. Le 23 décembre, il avait ainsi gracié une trentaine de personnes, dont Paul Manafort, son ex-directeur de campagne en 2016, et son ancien conseiller Roger Stone, tous deux mis en cause dans l'enquête sur une possible collusion entre la Russie et son équipe de campagne.

Fin décembre, il avait aussi accordé sa grâce à deux autres personnalités impliquées dans cette enquête : un ancien conseiller diplomatique, George Papadopoulos, et un avocat néerlandais, Alex van der Zwaan. Et en novembre, il avait déjà amnistié Michael Flynn, son ancien conseiller à la sécurité nationale, condamné notamment pour avoir menti aux enquêteurs du FBI dans cette affaire.

Tous ces hommes avaient un point commun : ils n'ont jamais coopéré avec les enquêteurs pour protéger le milliardaire républicain, comme l'avait alors rappelé l'élu démocrate Adam Schiff, président de la commission du renseignement de la Chambre des représentants.

Donald Trump avait par ailleurs gracié à la mi-décembre quatre ex-agents de la sulfureuse société de sécurité privée Blackwater, reconnus coupables du meurtre de 14 civils irakiens en 2007 à Bagdad. La Maison Blanche avait alors affirmé que les quatre hommes, tous anciens militaires, avaient "un long passé de service à la nation".

4Peut-il encore se gracier lui-même ?

Mis en accusation pour "incitation à l'insurrection" après avoir appelé ses partisans à marcher sur le Congrès, Donald Trump aurait pû être tenté de se gracier lui-même, ce qu'il n'a pas fait. Aurait-il pu s'y risquer ? Une telle manœuvre n'ayant encore jamais été effectuée par un président sortant, la Cour suprême n'a pas eu l'occasion de trancher sur la légalité d'une telle procédure.

En attendant, les constitutionnalistes américains se déchirent, rapporte le New York Times. Certains juristes pensent que la Constitution américaine est suffisamment vague pour autoriser ce type de manœuvre, quand d'autres avancent que puisque le texte suprême emploie spécifiquement le terme d'"accorder" une grâce ou une réduction de peine, le président ne peut lui-même se viser par une de ces mesures.

En août 1974, une responsable du ministère de la justice avait émis un avis juridique (PDF) affirmant qu'"il semblerait" qu'un président américain ne pouvait pas se gracier lui-même "en vertu de la règle fondamentale selon laquelle nul ne peut être juge de son propre cas". Mais cela n'avait pas empêché Donald Trump de tweeter en juin 2018 qu'il avait "absolument le droit" de le faire. En tout état de cause, le milliardaire ne conserverait cette hypothétique prérogative que jusqu'à la fin officielle de son mandat, c'est-à-dire jusqu'à mercredi midi (18 heures à Paris). Mais des sources proches du dossier citées par le New York Times indiquent qu'il est désormais improbable que le milliardaire choisisse cette option.

5A-t-il gracié plus de personnes que ses prédécesseurs ?

Non, mais cela peut en partie s'expliquer par le fait qu'il n'a effectué qu'un mandat de président. Durant les 47 mois et demi de son mandat, Donald Trump a gracié 116 personnes et réduit les peines de 89 autres, selon les statistiques officielles du ministère de la Justice américain. Un rythme qui s'est accéléré lors de ses dernières semaines à la Maison Blanche, puisqu'entre 2017 et 2020, le milliardaire n'avait accordé que 27 grâces et 11 réductions de peine.

Barack Obama, qui a passé deux fois plus de temps à la Maison Blanche, a gracié 212 personnes, dont la militaire Chelsea Manning, condamnée à 35 ans de prison pour avoir transmis des documents confidentiels à WikiLeaks. Le prédécesseur de Donald Trump a toutefois largement battu les records du nombre de réduction de peines, puisqu'il a commué les sentences de 1 715 personnes.

George W. Bush avait de son côté gracié 189 personnes et réduit la peine de 11 autres. Avec 396 grâces en deux mandats, Bill Clinton détient enfin le record en la matière.

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