Etats-Unis : quatre enseignements du procès en destitution de Donald Trump
Le Sénat, dominé par les républicains, a acquitté mercredi le président américain. Une décision peu surprenante, au terme d'un procès qui a profondément divisé la société américaine.
C'est l'épilogue d'un feuilleton au suspense quasi nul. Le Sénat américain, à majorité républicaine (53 sièges sur 100), a acquitté des deux chefs d'accusation Donald Trump, mercredi 5 février, à l'issue de son procès en destitution, initié par la Chambre des représentants en décembre 2019.
Durant deux semaines, les camps républicain et démocrate se sont écharpés dans l'hémicycle du Sénat. Une profonde fracture, qui s'est propagée jusque dans la société américaine. Division du pays, conséquences sur les institutions américaines, mainmise du président sur son parti...Voici ce qu'il faut retenir du procès.
Un président acquitté malgré des "preuves accablantes"
Le troisième procès en destitution d'un président et le troisième acquittement dans l'histoire de l'Amérique. Le procès portait sur deux chefs d'accusation à l'encontre de Donald Trump, "abus de pouvoir" et "entrave à la bonne marche du Congrès". Les sénateurs l'ont jugé non coupable du premier à 52 voix sur 100, et non coupable à 53 voix du second. Une large victoire pour le président puisque la Constitution américaine impose une majorité des deux tiers, soit 67 sièges, pour le déclarer coupable.
Sur le fond, l'opposition démocrate réclamait sa destitution pour avoir essayé de forcer l'Ukraine à "salir" son possible adversaire à la présidentielle, Joe Biden, notamment en gelant une aide militaire cruciale pour ce pays en guerre. Le rapport d'enquête de la commission du Renseignement de la Chambre comportait des "preuves accablantes", selon ses auteurs. "Le président a conditionné une invitation à la Maison Blanche [pour le président ukrainien] et une aide militaire à l'Ukraine à l'annonce d'enquêtes favorables à sa campagne", peut-on lire. Le document pointe aussi l'existence de preuves qu'il a "entravé" l'enquête en destitution, en interdisant à plusieurs membres de l'administration de témoigner ou de fournir des documents et en cherchant à intimider les témoins.
Des éléments martelés lors des débats par Adam Schiff, élu démocrate qui a porté l'accusation contre Donald Trump. Dans l'une de ses longues prises de parole, devenue virale sur les réseaux sociaux, il assure que le président "doit être destitué car le bien et la vérité comptent, sinon nous sommes perdus".
"Right matters. And the truth matters. Otherwise we are lost." --Impeachment manager @RepAdamSchiff pic.twitter.com/xPxDL75vfb
— Josh Campbell (@joshscampbell) January 24, 2020
Il a d'ailleurs beaucoup été question de vérité et de sa valeur durant ce procès. Du côté des républicains, beaucoup ont convenu que le président américain avait demandé à l'Ukraine d'enquêter sur son rival démocrate Joe Biden. Le sénateur républicain Lamar Alexander a reconnu que les actions du président n'étaient pas "approprié[ees]", ajoutant cependant que c'était au peuple américain et non au Sénat de sanctionner ou non les faits.
It was inappropriate for the president to ask a foreign leader to investigate his political opponent and to withhold United States aid to encourage that investigation. 5/15
— Sen. Lamar Alexander (@SenAlexander) January 31, 2020
L'emprise du président sur le camp républicain
Politiquement, c'est un triomphe pour Donald Trump, qui a démontré la mainmise qu'il détient désormais sur le parti républicain. En 2016, il remportait les primaires républicaines malgré l'hostilité affichée par plusieurs cadres du parti. Aujourd'hui, il exerce un contrôle total sur ses troupes, à qui il réclame une loyauté sans faille.
Au Congrès, il peut compter sur le leader du Sénat Mitch McConnell pour faire rentrer dans le rang les élus tentés de s'émanciper. Sur Twitter, le président distribue les bons et les mauvais points. A ce petit jeu, Mitt Romney s'est attiré les foudres de Donald Trump. Lors du vote final, le sénateur de l'Utah et ancien candidat à l'élection présidentielle en 2012, est le seul républicain à l'avoir jugé coupable d'"entrave"."S'[il] avait déployé la même énergie et la même colère pour vaincre un Barack Obama défaillant, il aurait pu gagner l'élection", s'est enflammé le locataire de la Maison Blanche sur Twitter.
Had failed presidential candidate @MittRomney devoted the same energy and anger to defeating a faltering Barack Obama as he sanctimoniously does to me, he could have won the election. Read the Transcripts!
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) February 6, 2020
"En ne reculant pas, pas même d'un pouce, il a forcé les républicains à choisir entre lui et ses critiques, et ils l'ont presque universellement choisi", résume le New York Times (en anglais).
Des institutions fragilisées
Le procès a également révélé à quel point les divisions partisanes compromettent le fonctionnement du Congrès. Depuis que les démocrates ont repris le contrôle de la Chambre des représentants en janvier 2019, plusieurs lois adoptées dans cette enceinte sont bloquées au Sénat. L'ouverture de la procédure de destitution a accentué le phénomène, rendant presque impossible un compromis entre les partis.
L'amertume entre les deux camps a empêché d'organiser un "procès équitable", a par ailleurs déploré la sénatrice républicaine Lisa Murkowski. "C'est triste à admettre, mais le Congrès en tant qu'institution a échoué", regrette-t-elle.
A l'inverse, cet acquittement pourrait-il renforcer le pouvoir présidentiel ? Le Washington Post (en anglais) s'interroge sur les conséquences de cette décision sur l'équilibre entre les trois pouvoirs du système américain (exécutif, législatif et judiciaire). "Si les choses devaient rester telles qu'elles sont, le président serait vraiment au sommet du monde parce qu'il est capable de résister à toutes ces tentatives du Congrès pour lui demander des comptes, et il est capable de prendre toutes sortes de mesures exécutives", estime Marc Fisher, rédacteur en chef du journal.
Une Amérique divisée
Au-delà de Washington, le procès a divisé autant les citoyens que leurs élus. Ces derniers jours, 85% des électeurs démocrates soutenaient la destitution du président et moins de 10% des républicains étaient pour. La moyenne s'établissait légèrement au-dessous de 50%.
Donald Trump n'a pas l'intention de réconcilier les deux camps. Depuis que le scandale a éclaté, l'hôte de la Maison Blanche se dit victime d'une chasse aux sorcières orchestrée par ses adversaires qui n'auraient pas digéré sa victoire surprise de 2016. A l'issue du vote, il s'est donc empressé de clamer une "victoire du pays" sur ce qu'il qualifie de "destitution canular".
I will be making a public statement tomorrow at 12:00pm from the @WhiteHouse to discuss our Country’s VICTORY on the Impeachment Hoax!
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) February 5, 2020
Une stratégie agressive qui semble en partie porter ses fruits. Il enregistre 49% d'opinions favorables, selon le dernier sondage de l'institut Gallup, un record depuis son arrivée au pouvoir. De plus, les primaires des démocrates pour lui désigner un adversaire ont débuté lundi dans l'Iowa par un retentissant fiasco qui lui permet de rester sous la lumière des projecteurs.
Donald Trump se voit déjà garder sa place à la Maison Blanche pour de nombreuses années. Après le procès, il a republié une vidéo déjà postée en juin 2019. Un montage où il s'amuse à détourner une couverture du magazine Time qui le montre président "pour toujours".
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) February 5, 2020
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