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L'article à lire pour comprendre le procès en destitution de Donald Trump qui débute aujourd'hui

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 15min
Des manifestants demandent la destitution de Donald Trump, devant le Capitole, à Washington (Etats-Unis), le 18 décembre 2019. (OLIVIER DOULIERY / AFP)

Ce n'est que la troisième fois de l'histoire des Etats-Unis qu'un président fait l'objet d'une procédure de destitution.

Il faut s'attendre à "une foire d'empoigne incontrôlable gouvernée par la démagogie", prédit le Washington Post. Robert Malley, ex-conseiller de Barack Obama et Bill Clinton, s'attend plutôt à "une pièce de théâtre", "la chronique d'une destitution qui n'aura pas lieu". Le procès en destitution de Donald Trump, qui doit entrer dans le vif du sujet, mardi 21 janvier, s'appréhende à la fois comme un moment d'histoire immanquable et une inévitable perte de temps. Indispensable (pour les démocrates) mais voué à l'échec, ce procès doit permettre aux sénateurs de décider ou non de la destitution du président américain.

Symbole de la division d'un pays, mais aussi de la rivalité qui règne au sein du Congrès, entre la Chambre des représentants, à majorité démocrate, et le Sénat, à majorité républicaine, cette procédure en destitution d'un président clivant promet d'âpres débats. Pour tout comprendre, franceinfo reprend les bases.

Qu'est-ce qu'une procédure d'"impeachment" ? 

En français, "impeachment" se traduit par "procédure de destitution". Ainsi, un haut fonctionnaire est "empêché" ("impeached", en anglais), non pas quand il est jugé coupable, mais dès qu'il est mis en accusation. Quelle que soit l'issue du procès, Donald Trump a déjà été "empêché" le 18 décembre, quand la Chambre des représentants (équivalent de notre Assemblée nationale) a estimé, à l'issue de plusieurs semaines d'auditions, qu'elle disposait de suffisamment d'éléments pour traduire Donald Trump devant le Sénat, chambre haute du Congrès.

Car une procédure en destitution ne se déroule pas devant un tribunal traditionnel. Son principe est inscrit au paragraphe 4 de l'article II de la Constitution américaine (lien en anglais). "Le président, le vice-président et tous les fonctionnaires civils des États-Unis seront destitués de leurs charges, sur mise en accusation et condamnation pour trahison, corruption ou autres crimes et délits majeurs", peut-on lire. Ce principe volontairement vague laisse une grande place à l'interprétation. Comment définit-on ce qui rentre dans la catégorie des "crimes" ? Qu'appelle-t-on ici "un délit majeur" ? Il revient aux sénateurs de trancher et de décider s'il faut ou non écarter le président du pouvoir, en le destituant. Pour cela, il faut convaincre au moins deux tiers des sénateurs (67 élus sur 100). Jeudi, les sénateurs ont prêté serment, endossant officiellement leur rôle de jurés.

Face à eux, la Chambre des représentants a chargé sept de ses membres d'assurer le rôle de procureurs. Sans surprise, on y retrouve de fervents opposants à Donald Trump, comme Jerry Nadler, élu new-yorkais spécialiste du droit constitutionnel et ennemi juré du président milliardaire depuis plus de 30 ans. 

Un représentant de la Chambre des représentants conduit les sept élus désignés pour assurer le rôle de procureurs dans la procédure d'impeachment au Sénat, jeudi 16 janvier 2020. (ALEX WONG / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)

Un autre président américain a-t-il déjà eu droit à un tel procès ?

Deux prédécesseurs de Donald Trump ont déjà fait l'objet d'une procédure de destitution. Aucun des deux n'a été destitué. Andrew Johnson en a fait les frais, en 1868, après avoir démis un membre de son cabinet dont la nomination avait été soutenue par le Congrès (ce qui était à l'époque illégal). A l'issue des trois semaines de procès au Sénat, il a échappé de justesse à la destitution : pour trois des charges retenues contre lui, il a manqué un vote.

Plus d'un siècle plus tard, Bill Clinton a lui été "empêché" pour parjure et obstruction de la justice, dans le cadre de l'affaire Monica Lewinsky. Un procès pour destitution a débuté en janvier 1999 au Sénat, mais le démocrate a été acquitté un mois plus tard. 

Quant à Richard Nixon, empêtré dans le scandale du Watergate, il a démissionné, en 1974, avant que la Chambre des représentants ne puisse se prononcer sur une éventuelle procédure d'"impeachment".

Sur quoi Donald Trump va-t-il être jugé ?

Donald Trump doit répondre de deux chefs d'accusation : "abus de pouvoir" et "entrave à la bonne marche du Congrès". Laissons-lui le soin de résumer la situation, de son point de vue. Son interprétation tient en un tweet hurlant en lettres capitales : "J'AI ÉTÉ EMPÊCHÉ POUR AVOIR PASSÉ UN COUP DE TÉLÉPHONE PARFAIT !"

Si la situation est autrement plus complexe, tout a démarré par un coup de téléphone, le 25 juillet 2019, entre Donald Trump et son homologue ukrainien, Volodymyr Zelensky. Ce jour-là, les deux hommes discutent de l'assistance militaire américaine promise à l'Ukraine, une aide cruciale pour ce pays, enlisé depuis plus de six ans dans un conflit avec son puissant voisin, la Russie. Au détour de cette conversation, Trump demande "une faveur".

Il suggère à son interlocuteur de lancer deux enquêtes : la première sur une aide supposée de l'Ukraine au camp démocrate, lors de l'élection présidentielle de 2016. La seconde concerne Joe Biden, poids lourd de l'opposition et possible rival de Trump pour la présidentielle de 2020. Le président américain l'accuse d'avoir joué de son influence, du temps où il était vice-président de Barack Obama, pour empêcher une enquête sur les intérêts de son fils Hunter Biden, qui siège au conseil d'administration d'une firme ukrainienne.

Afin de déterminer si Donald Trump a abusé de son pouvoir pour arriver à ses fins, les démocrates doivent prouver aux sénateurs qu'il a sciemment présenté le "deal" suivant à Volodymyr Zelensky : l'Ukraine recevra une aide militaire si elle ouvre ces enquêtes susceptibles d'affaiblir le camp adverse. Les démocrates reprochent aussi au président américain d'avoir refusé de collaborer à l'enquête ouverte après les révélations, ce qui alimente le chef d'accusation "d'entrave à la bonne marche du Congrès". Un document de 111 pages (lien en anglais, en PDF), rédigé par les législateurs démocrates et transmis au Sénat, sert de base à l'accusation.

Comment vont se dérouler les audiences ? 

Durée des audiences, temps alloué aux présentations de l'accusation et de la défense, durée des questions des sénateurs-jurés… Les détails doivent être discutés mardi 21 janvier et validés par les sénateurs. Or, on s'attend à ce que les élus démocrates essaient d'amender le règlement proposé par le chef des républicains au Sénat. Ces points en apparence logistique recèlent de sérieux enjeux.

Les démocrates souhaitent auditionner quatre témoins (dont le chef de cabinet de la présidence Mick Mulvaney et l'ex-conseiller à la sécurité nationale, John Bolton) et présenter devant le Sénat des preuves ou témoignages inédits. Ils exigent par ailleurs que la présidence fournisse les documents-clés qu'ils lui réclament, en vain, depuis le début de l'enquête. A l'inverse, les républicains souhaitent un procès rapide, sans nouvelles auditions ni éléments susceptibles de nourrir l'accusation. 

Il y a peu de chance que les démocrates aient gain de cause. Avec 53 sénateurs (contre 47 démocrates), les républicains disposent de la majorité nécessaire pour remporter ces batailles de procédure. Le procès pourrait alors être expédié en deux semaines et se terminer par la disculpation du président. 

Donald Trump va-t-il s'exprimer ? 

Le jour de l'ouverture de son procès, Donald Trump parlera d'économie au forum économique de Davos, en Suisse ! Le président laisse à ses avocats le soin d'assurer sa défense devant les sénateurs. Pour porter sa voix, il s'est entouré d'une équipe de redoutables ténors : Pat Cipollone, avocat de la Maison Blanche, dirigera l'équipe de défense et sera secondé par Jay Sekulow, avocat personnel de Donald Trump. 

L'ex-procureur Kenneth Starr, acteur central de l'affaire Lewinsky et du procès en destitution de Bill Clinton, rejoint aussi son équipe, tout comme le constitutionnaliste Alan Dershowitz. Ce dernier fut l'un des avocats d'O.J. Simpson, ex-footballeur américain innocenté du meurtre de son ex-femme au terme d'une bataille judiciaire épique et médiatique. 

Le président pourra aussi s'exprimer depuis son tribunal préféré : Twitter. Ses messages pourraient toutefois ne pas atteindre les jurés. Pendant les audiences et pour toute la durée du procès, les sénateurs ne sont pas autorisés à consulter leur téléphone portable.

Quelle est la stratégie de défense du président ?

Les avocats de Donald Trump ont présenté leur ligne de défense samedi. Sur la forme, ils taclent le camp démocrate, qu'ils accusent de vouloir "renverser les résultats de l'élection de 2016 et d'interférer avec l'élection de 2020". Selon eux, "l'acte d'accusation est constitutionnellement irrecevable" et "ne comporte aucun crime ou violation de la loi", résume une source proche de l'équipe légale du président, à l'AFP. Selon une autre source au sein de la Maison Blanche, l'acte d'accusation "viole la Constitution", au motif qu'il découlerait d'une enquête des démocrates "qui a privé de manière flagrante le président de ses droits"

Dans le fond, la défense présidentielle rappelle que l'aide militaire promise à l'Ukraine par les Etats-Unis avait bien été débloquée, au mois de septembre, après une rencontre à l'ONU entre Trump et Zelensky. La preuve, estiment-ils, que rien n'a été imposé à Kiev. Surtout, le président ne voit rien de répréhensible dans sa demande, car il n'a "jamais menacé" son homologue. Sa requête lui semble si irréprochable qu'il l'a renouvelée en direct à la télévision, le 3 octobre. "La Chine devrait lancer une investigation sur les Biden", a-t-il nargué, défendant son "droit absolu" d'enquêter sur la corruption

Ces arguments, détaillés dans un document de six pages publié lundi par l'équipe légale de Donald Trump, ont été taillés en pièces par un éditorialiste du Washington Post pour qui la défense "semble avoir été rédigée par un collégien qui a vu un épisode de la série New York : unité spéciale"

Donald Trump peut-il être destitué ?

Ces dernières semaines, les sénateurs, prudents, n'ont pas communiqué sur leur conviction à propos de l'affaire ukrainienne. Il faudrait que 20 élus républicains se retournent contre leur propre camp pour destituer le président. Un coup de théâtre peu probable, dans un Congrès profondément divisé. Cependant, ce procès historique pourrait avoir un coût politique. A la fois pour Donald Trump, qui brigue un nouveau mandat, et pour le camp adverse. 

"C'est la première fois qu'une procédure d'impeachment coïncide avec une campagne présidentielle", notait Corentin Sellinspécialiste de la politique américaine, en octobre. S'il est difficile d'évaluer ses répercussions sur la primaire démocrate et l'élection présidentielle de 2020, ce procès donne à l'opposition l'opportunité de "mobiliser l'électorat démocrate, en lui offrant un motif de rassemblement et d'exaltation". 

"Si la plainte sur l'Ukraine se révélait moins percutante que prévu, les élus démocrates seraient ridiculisés, nuance l'historien. Cela porterait un coup terrible à leur crédibilité, tout en servant la cause de Donald Trump. Il serait renforcé dans la posture de victime dans laquelle il se place volontairement." Une position qui pourrait l'aider à remobiliser sa base en novembre 2020. Pour celle-ci, l'impeachment ne fait que renforcer la conviction que le président est victime d'"une chasse aux sorcières", confirme Grégory Philipps, correspondant de franceinfo aux Etats-Unis, dans le podcast Washington d'ici.

J'ai la flemme de tout lire, vous me faites un résumé ?

Accusé d'avoir abusé de son pouvoir pour obtenir de l'Ukraine qu'elle lance deux enquêtes susceptibles de nuire à ses rivaux démocrates dans la course à la présidence de 2020, Donald Trump a été "empêché", le 18 décembre. La procédure a été lancée par des élus de la Chambre des représentants (à majorité démocrate), mais c'est au Sénat (à majorité républicaine) de décider si le président a commis un acte de trahison, un crime ou un délit majeur nécessitant sa destitution. 

A l'occasion de ce procès, sept élus de la Chambre des représentants et les avocats de Donald Trump vont s'affronter, pour tenter de convaincre au moins deux tiers des 100 sénateurs. Face à une chambre haute dominée par le parti du président, les démocrates ont peu de chance d'y parvenir. Ils espèrent toutefois que ce procès historique nuira à la popularité de Donald Trump, alors que s'ouvre la campagne pour la présidentielle de 2020. Un vœu qui pourrait tout autant se retourner contre eux, si le magnat de l'immobilier en sort blanchi.

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