Guerre en Ukraine : pourquoi J.D. Vance, colistier de Donald Trump, pourrait obliger Kiev à négocier avec la Russie
En choisissant James David Vance pour colistier, Donald Trump n'a pas fait de cadeau à Kiev. Lors de son grand oral à la convention républicaine, jeudi 18 juillet, l'ancien militaire de 39 ans a appelé "l'Amérique à choisir une nouvelle voie" et à se recentrer sur la politique intérieure. Ces derniers mois, déjà, il s'était notamment "fait remarquer par ses positions sur l'Ukraine" et son opposition farouche à toute aide américaine, souligne l'historienne et politologue Nicole Bacharan auprès de franceinfo.
Après des mois de tractations et d'atermoiements au Congrès, ce soutien massif (61 milliards de dollars) avait été finalement débloqué le 23 avril. "Plus il y aura de morts inutiles, moins il y aura de gens pour reconstruire l'Ukraine, et moins l'Ukraine sera capable de fonctionner en tant que pays à l'avenir", avait dénoncé J.D. Vance avant le vote (son allocution a été traduite par le site de la revue Le Grand Continent). Le sénateur républicain regrettait alors que le paquet législatif "finance la frontière ukrainienne tout en fermant les yeux sur la crise frontalière des Etats-Unis", à l'unisson de son parti, qui réclame davantage de moyens contre l'immigration mexicaine.
J.D. Vance "a déclaré que cela ne faisait pas partie des intérêts vitaux des Etats-Unis et qu'il y avait d'autres manières de dépenser l'argent du pays", résume Nicole Bacharan. L'Amérique d'abord, comme une marque de fabrique. Le colistier de Donald Trump "s'inscrit dans une tradition isolationniste extrême", ajoute la chercheuse. "Cela fait partie des fantasmes fondateurs de l'histoire américaine. Georges Washington, le premier président, a écrit qu'il fallait se tenir loin de la vieille Europe et des problèmes." Pourtant, "les faits ont démontré que la prospérité et la sécurité des Etats-Unis dépendaient d'une Europe en paix, démocratique, avec des régimes stables."
Il prône des concessions territoriales à Moscou
Dix jours plus tôt, déjà, il avait rédigé une tribune parue dans le New York Times pour exprimer son refus de valider de futures livraisons. "Les Etats-Unis devraient adopter une approche plus réaliste en ce qui concerne la fourniture d'une assistance militaire à d'autres Etats", écrivait-il alors. L'Ukraine est condamnée à céder des territoires à la Russie, jugeait-il, faute de pouvoir rivaliser numériquement sur le champ de bataille. Et Kiev devrait s'abstenir de lancer de périlleuses contre-offensives.
"Il faudrait pour cela que les dirigeants américains et ukrainiens acceptent que l'objectif déclaré de M. Zelensky pour la guerre – un retour aux frontières de 1991 – est fantaisiste."
James David Vance, sénateur républicain de l'Ohiodans une tribune publiée par le "New York Times" le 12 avril
"Après deux ans de conflit, certains villages [ukrainiens] n'ont presque plus d'hommes, soulignait-il également. L'armée ukrainienne a eu recours à la coercition pour obliger les hommes à servir, et les femmes ont organisé des manifestations pour exiger le retour de leur mari et de leur père après de longues années de service au front." Il est toutefois permis de douter de la sincérité et des motivations du sénateur quand il évoque le sort réservé aux populations ukrainiennes concernées par la guerre. Comme le rappelait récemment la chaîne ABC News, celui qui pourrait devenir vice-président des Etats-Unis en novembre déclarait ainsi sans détour en février 2022, quelques jours avant l'invasion russe : "Je me fiche pas mal de ce qui arrivera à l'Ukraine."
"Ce que reflète son attitude personnelle, c'est 100% d'opportunisme", affirme Nicole Bacharan. Il y a huit ans, il comparaît encore Donald Trump à "un Adolf Hilter américain", dans un langage fleuri. "Il a senti le vent tourner et s'est rendu à Mar-a-Lago [la résidence de Donald Trump en Floride] pour présenter ses excuses, avant de devenir un trumpiste convaincu."
"Il sait entrer dans le cerveau de Donald Trump"
Ses positions sur l'Ukraine, pour autant, trouvent un écho dans une partie de l'opinion américaine. "Il n'est pas faux de parler de lassitude et de scepticisme au sein de la population, qui se pose des questions sur la durée et le coût du conflit, ainsi que sur une éventuelle porte de sortie", explique l'historienne.
Kiev n'a pas officiellement commenté la nomination de J.D. Vance, pour éviter d'insulter l'avenir. Les rares commentaires de responsables relèvent de la méthode Coué. "Le choix de Trump est une mauvaise nouvelle pour la Russie", a lancé sur Telegram Andreï Kovalenko, chef du centre de lutte contre la désinformation, une instance du Conseil national de sécurité et de défense ukrainien. Et d'ajouter : "Le vice-président exécutera la volonté du président". Certes, en cas de victoire, "ce n'est pas James David Vance qui décidera, reprend Nicole Bacharan. Mais il peut devenir un conseiller très influent. Il est tellement malin, il sait tellement entrer dans le cerveau de Donald Trump, que son avis portera."
"Les Ukrainiens sont dans une situation terrible", a réagi pour sa part Rajan Menon, expert en défense au City College de New York cité jeudi par la chaîne NBC News. "Les Etats-Unis sont de loin leur principal fournisseur par rapport aux Européens. S'ils se retirent, les Ukrainiens manqueront non seulement de la défense aérienne essentielle pour protéger leurs villes, mais aussi de l'artillerie."
Les intentions de Donald Trump concernant le conflit entre l'Ukraine et la Russie restent, à ce stade, floues. L'ancien Premier ministre britannique Boris Johnson, qui soutient à la fois la réélection du candidat républicain et l'aide inconditionnelle à l'Ukraine, n'y voit aucune contradiction, assurant sur X que le dirigeant continuera d'agir pour "défendre la démocratie".
Vendredi, Donald Trump dit avoir appelé Volodymyr Zelensky, pour lui annoncer qu'il mettrait fin à la guerre. Comment compte-t-il s'y prendre, sans tirer un trait sur les territoires occupés par l'armée russe ? "C'est un abandon planifié de l'Ukraine, résume Nicole Bacharan. La possible arrivée des républicains signifierait la fin du soutien à Kiev."
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