La Russie "plus faible" que les États-Unis selon Barack Obama : "La traduction du ressentiment du président américain"
Le directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, Jacques Sapir, a contredit, samedi sur franceinfo, la déclaration du président américain, Barack Obama, la veille, sur une supposée supériorité des États-Unis sur la Russie.
Le président américain, Barack Obama, a affirmé vendredi 16 décembre, lors de sa dernière conférence de presse de l'année, que la Russie "est un pays plus petit [que les États-Unis], un pays plus faible. Leur économie ne produit rien, que quiconque veuille acheter, mis à part du pétrole, du gaz et des armes. Ils n'innovent pas". Un constat plein qualifié de "ressentiment", samedi 17 décembre sur franceinfo, par Jacques Sapir, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS).
franceinfo : La Russie n'est-elle qu'une puissance politique et militaire, comme le suggère Barack Obama ?
Jacques Sapir : C'est à l'évidence la traduction du ressentiment du président américain. Quand il dit que la Russie est plus faible que les États-Unis, Vladimir Poutine le dit aussi. Mais maintenant, il faut quand même rappeler que la Russie est le premier état du monde en superficie. Cela veut dire aussi que les ressources naturelles, qui sont accumulées sur son territoire, sont très largement supérieures à ce qu'il peut y avoir dans n'importe quel autre état. Deuxièmement, l'économie russe produit du pétrole, du gaz, du bois, des métaux, mais aussi des biens manufacturés. Pour l'instant, les Russes les achètent essentiellement entre eux, parce que le consommateur russe, c'est l'ancien consommateur soviétique. Il a été privé de biens de consommation pendant de très longues années, il y a donc une fringale extrêmement importante de consommation.
Cependant, dans le pays, les dépenses et les salaires sont gelés, et c'est très difficile pour des entreprises de s'y développer.
Vous avez des entreprises qui se développent très bien, qui continuent de croître de manière importante dans les secteurs de la machine-outil et de la mécanique. Vous avez aussi le fait que les salaires, depuis maintenant pratiquement six mois, augmentent nettement plus vite que l'inflation. Il y a, aujourd'hui, un rattrapage des salaires extrêmement important. Tout le monde s'accorde, même par exemple le dernier rapport du Fonds monétaire international (FMI) pour dire que la Russie, après avoir traversé un trou d'air en 2015, va aujourd'hui nettement mieux. Elle va connaître, très certainement, une croissance de l'ordre de 2% en 2017. C'est, grosso modo, le niveau de la croissance américaine aujourd'hui. La Russie ne se compare pas économiquement aux États-Unis, mais ce n'est pas ce qu'en décrit le président Obama. Visiblement, il est très dépité pour se laisser aller à ce type de propos.
Barack Obama a parlé de possibles sanctions et de représailles contre la Russie après les cyberattaques qui auraient perturbé l'élection présidentielle américaine.
Si on s'en tient à un avertissement économique, il est très clair que ce sera inefficace. Si on veut rentrer dans des avertissements qui ne sont pas économiques, c'est-à-dire des mesures de rétorsion diplomatiques, voire militaires, alors on prend le risque que les Russes réagissent, et qu'ils fassent eux aussi de la rétorsion. En outre, il faut savoir que, qui dit Russie, dit aussi Chine. Aujourd'hui, l'alliance entre la Russie et la Chine, même si elle n'est pas mise sur le devant de la scène, est quelque chose d'extrêmement réel. Est-ce que les États-Unis, pour des raisons essentiellement psychologiques et émotionnelles, vont chercher à punir la Russie au risque de provoquer une crise majeure avec non seulement la Russie mais aussi la Chine ? On peut franchement en douter.
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