Présidentielle américaine 2024 : le retour en grâce de Kamala Harris, longtemps restée la numéro 2 "invisible" de Joe Biden

Article rédigé par Marie-Violette Bernard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
La vice-présidente des Etats-Unis, Kamala Harris, le 17 juillet 2024, lors d'un débat avec des républicains à Kalamazoo, dans le Michigan. (CHRIS DUMOND / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)
La vice-présidente, moins populaire que Joe Biden, grimpe dans les sondages depuis le mois de juin. Elle semble désormais la mieux placée pour obtenir l'investiture des démocrates.

On la disait "effacée", la voilà favorite. En à peine 24 heures, Kamala Harris est devenue la probable future candidate du Parti démocrate à l'élection présidentielle américaine. La vice-présidente de 59 ans a reçu, lundi 22 juillet, le soutien de six gouverneurs – dont certains pressentis comme de potentiels rivaux – dans la course à la Maison Blanche. Dimanche, Joe Biden avait plongé les Etats-Unis dans l'incertitude en annonçant renoncer à briguer un second mandat, après des semaines de polémique sur son âge et sa santé. Au passage, le président sortant a présenté sa numéro 2 et colistière comme celle à qui il souhaitait passer le flambeau.

Si Kamala Harris apparaît aujourd'hui comme l'héritière naturelle de Joe Biden, plus d'un ne l'envisageait pas pouvoir s'installer dans le Bureau ovale. La vice-présidente a eu "un début de mandat compliqué", rappelle Ludivine Gilli, directrice de l'observatoire de l'Amérique du Nord à la Fondation Jean-Jaurès. En 2021, Joe Biden lui a confié la question sensible de l'immigration illégale, "en lui demandant de traiter le problème à la racine".

Le dossier a coûté cher à Kamala Harris. Elle-même issue de l'immigration – ses parents sont d'origine indienne et jamaïcaine –, la "VP" s'est rendue en Amérique centrale, appelant les migrants originaires de ces pays à "ne pas venir" aux Etats-Unis. "Ce déplacement raté a donné le ton", estime Alexis Buisson, journaliste indépendant et auteur de Kamala Harris, l'héritière.

En première ligne de la défense du droit à l'avortement

Une interview difficile sur la chaîne NBC News en juin 2021 et une tendance à se perdre dans d'interminables phrases décousues, qualifiées de "salades de mots" par les médias conservateurs comme Fox News, l'ont encore fragilisée. "Elle a aussi été accusée d'être une mauvaise manageuse, car il y a eu une rotation importante de ses équipes dans les premiers temps", pointe Alexis Buisson. Ces faux pas lui ont valu d'être "mise en retrait", ajoute Ludivine Gilli.

Alors que certains lui reprochaient d'être "invisible", Kamala Harris "a trouvé ses marques" lors de la seconde partie de son mandat, selon Alexis Buisson. Au fil des mois, la vice-présidente a aussi bien "multiplié les rencontres avec leaders étrangers, acquérant une expérience internationale", que "cultivé ses relations avec la base militante du Parti démocrate, en recevant à la Maison Blanche des militants d'horizons divers", détaille le journaliste. Elle a également joué un rôle essentiel au Sénat, où républicains et démocrates sont à égalité, en apportant une voix décisive à son camp lors d'un nombre record de votes, souligne le New York Times.

Kamala Harris écoute Joe Biden s'exprimer lors d'une conférence de presse à Wilmington, dans le Delaware (Etats-Unis), le 12 août 2020. (OLIVIER DOULIERY / AFP)

Mais c'est son engagement pour les droits reproductifs qui a marqué son mandat de vice-présidente. "Après le revirement de la Cour suprême sur le droit à l'avortement, elle s'est emparée de la question à travers une série de déplacements sur les campus universitaires", décrypte Ludivine Gilli. Elle est ainsi devenue "la voix de l'administration Biden" sur ce sujet déterminant dans le vote des électeurs démocrates.

Dans l'urgence d'une campagne qui n'a qu'une centaine de jours pour se réorganiser, la numéro 2 de Joe Biden semble désormais incontournable. Le profil de cette habituée des "premières" – première Américaine d'ascendance sud-asiatique élue au Sénat, première femme à accéder au poste de vice-présidente  –  lui donne un avantage sur ses rivaux potentiels. "Elle a été procureure de Californie, élue au Congrès durant trois ans, vice-présidente...", liste Ludivine Gilli. Les autres noms qui circulent sont ceux de gouverneurs, certes influents dans leur Etat et le parti mais qui n'ont pas l'expérience, ni la notoriété, de Kamala Harris au niveau fédéral.

"Son identité de femme noire joue aussi en sa faveur. Si elle était écartée [par le Parti démocrate], cette décision serait perçue comme sexiste et raciste par certains électeurs."

Alexis Buisson, journaliste

à franceinfo

Autre atout : la Californienne peut utiliser les 95 millions de dollars de dons versés pour soutenir la candidature de Joe Biden. Comme l'explique le média américain Politico, ces précieux comptes de campagne étaient déjà enregistrés au nom de la vice-présidente, en tant que colistière du chef d'Etat pour le scrutin du 5 novembre. Leur transfert à un autre candidat serait plus complexe, et devrait passer par un organisme tiers. Dans un pays où les dépenses de campagne explosent (14 milliards de dollars en 2020 selon la radio publique NPR), Kamala Harris représente une machine à lever les fonds : elle a récolté 81 millions supplémentaires dans les 24 heures qui ont suivi l'annonce de sa candidature, a rapporté son équipe de campagne.

Le meilleur espoir de l'emporter face à Trump ?

La vice-présidente semble, à ce jour, la plus apte à battre Donald Trump. "Le vote anticipé [pour la présidentielle] démarre en septembre, il y a urgence pour les démocrates à se ranger derrière un candidat qui a des chances de l'emporter", souligne Alexis Buisson. Or la vice-présidente a vu sa popularité remonter après la prestation ratée de Joe Biden lors d'un débat face au républicain, selon l'agrégateur de sondages de FiveThirthyEight.

Désormais, elle talonne Donald Trump dans les enquêtes d'opinion. Mais ces chiffres, tirés de sondages réalisés avant le retrait de Joe Biden, sont à prendre avec précaution. "Il faut voir comment les enquêtes d'opinion vont évoluer maintenant que l'investiture de Kamala Harris pour la présidentielle devient plus probable", tempère Ludivine Gilli. "Interroger les électeurs sur des duels hypothétiques", comme c'était encore le cas la semaine dernière, peut fausser la donne.

"Il est possible que Kamala Harris bénéficie dans un premier temps d'un 'bonus' dans les enquêtes d'opinion. Mais il reste à savoir si son investiture sera effectivement décidée par le Parti démocrate, et comment vont se dérouler les premières semaines de sa campagne."

Ludivine Gilli, historienne

à franceinfo

Car la candidature de Kamala Harris ne fait pas l'unanimité, notamment auprès des électorats clés pour son parti. Alors que Joe Biden était apprécié par les ouvriers et les syndicats, la capacité de sa vice-présidente à mobiliser "le vote des 'cols bleus' et des zones rurales qui se sentent délaissées reste à prouver", remarque Ludivine Gilli.

Chez les Afro-Américains, "une fracture" existe au sujet de la Californienne, ajoute Alexis Buisson. "Il y a toute une génération plus âgée qui l'adore et lui est acquise. Mais les plus jeunes, ceux qui ont été marqués par le mouvement Black Lives Matter, ont plus de réticences", poursuit-il. En cause, sa frilosité à intervenir dans les cas de violences policières à l'époque où elle était procureure générale de Californie.

Une candidate "à l'image de la population américaine"

Kamala Harris dispose néanmoins d'un "capital sympathie" auprès des Américains, selon Alexis Buisson. "C'est une femme métisse, à la tête d'une famille recomposée, qui réussit professionnellement malgré le sexisme ambiant... Elle est à l'image de la population américaine actuelle." Face à un Donald Trump à peine plus jeune que Joe Biden – 78 ans contre 81 –, la démocrate de 59 ans semble aussi être "plus en phase avec la jeunesse", estime le journaliste.

L'annonce de sa candidature a d'ailleurs provoqué une vague de mèmes et d'émojis noix de coco, symbole de ses soutiens, sur les réseaux sociaux, constate ABC News. Ses supporters ont inondé les plateformes de montages vidéo reprenant des images d'elle dansant ou ses citations phares. "Aujourd'hui, la majorité des jeunes Américains ne s'informent plus dans les médias traditionnels mais sur TikTok : cette visibilité est très importante pour Kamala Harris", avance Alexis Buisson.

Son profil force en outre les conservateurs à changer de stratégie. "Les républicains concentraient leurs attaques sur les capacités cognitives de Biden. Cet argument ne tient plus, analyse Ludivine Gilli. Lors des débats, elle aura du répondant et Donald Trump peut être mis en difficulté par le fait que c'est une femme noire qui lui donne la réplique." S'il "laisse libre cours à ses invectives habituelles", et se risque à des remarques sexistes ou racistes, le milliardaire peut déclencher un fort mouvement de soutien chez les électeurs démocrates. "Quand Joe Biden suscitait peu d'enthousiasme, Kamala Harris pourrait réussir à mobiliser la base grâce à son identité, et à capitaliser sur le bilan de la Maison Blanche", insiste Ludivine Gilli.

De quoi rafler des swing states, Etats pivots décisifs dans l'élection présidentielle, en novembre ? "L'équilibre avec sa ou son colistier pourrait être déterminant", argue l'historienne. Les observateurs évoquent déjà "un ticket avec un élu modéré, issu d'un Etat pivot" à l'électorat "plus rural" ou ouvrier, note Ludivine Gilli. Comme Josh Shapiro, gouverneur centriste de la Pennsylvanie, "populaire y compris auprès de trumpistes". Le programme comptera aussi. "Il faut qu'elle mette en avant des propositions fortes pour convaincre la jeunesse de voter démocrate", martèle Alexis Buisson.

"C'est le moment que Kamala Harris attendait depuis longtemps : celui de convaincre le peuple américain et de montrer ses capacités."

Alexis Buisson, journaliste

à franceinfo

"Les premières semaines de sa campagne peuvent faire basculer l'opinion, dans un sens comme dans l'autre", met en garde Ludivine Gilli. D'autant que la "VP" a encore plusieurs étapes à franchir pour arriver à la Maison Blanche, à commencer par remporter l'investiture de son parti. Une majorité des délégués chargés de désigner le ou la candidate ont déjà déclaré la soutenir, selon un décompte l'agence AP. Mais le Comité national démocrate doit se réunir mercredi pour préciser le processus de vote, qui se déroulera cette année dans des conditions inédites. Avec peut-être à la clé, selon les mots d'Alexis Buisson, l'opportunité pour Kamala Harris de "passer de l'ombre de Joe Biden à la lumière".

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