Cet article date de plus de neuf ans.

Rapport du Sénat américain : dix pratiques choquantes de la CIA

Simulation de noyade, torture, mensonge… Le rapport publié sur l'agence de renseignement américaine met en lumière les méthodes utilisées sur certains détenus après le 11-Septembre.

Article rédigé par Gaël Cogné
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Un drapeau américain flotte derrière des barbelés sur la base de Guantanamo, à Cuba, le 26 juin 2006. (BRENNAN LINSLEY / AP / SIPA)

Le rapport sur "le programme de détention et d'interrogation" de la CIA publié mardi 9 décembre n'est qu'une version expurgée d'un document de près de 6 000 pages. Pourtant, ce document contient largement de quoi donner la nausée. Francetv info revient sur les pages les plus choquantes de ce rapport, qui vient attester des pratiques utilisées sur certains prisonniers après les attentats du 11-Septembre et auxquelles Barack Obama s'est engagé à mettre fin en 2009. Jeudi, le directeur de la CIA, John Brennan, a reconnu que certains de ses agents avaient utilisé des méthodes d'interrogatoire "répugnantes", mais a refusé d'employer le mot "torture".

1Simulation de noyade

Le "waterboarding" (simulation de noyade) consiste en général à placer sur le visage d'un détenu un tissu imbibé d'eau pour provoquer la suffocation. En 2008, la CIA a admis l'avoir utilisé sur quelques prisonniers. En 2009, George W. Bush a reconnu avoir autorisé le waterboarding.

Parmi les détenus à l'avoir subi se trouvait Khalid Cheikh Mohammed, arrêté en 2003 et considéré comme le cerveau des attentats du 11-Septembre. Selon le rapport, il a subi "au moins 183 séances de waterboarding" durant le mois de mars 2003. Ces séances ont provoqué convulsions et vomissements. Un autre détenu, Abou Zubaydah, "est devenu complètement insensible, avec des bulles sortant de sa bouche grande ouverte" après une séance.

2Alimentation par voie rectale

Au moins cinq détenus ont été soumis à "la réhydratation et l'alimentation par voie rectale". Ainsi, Majid Khan a été placé la tête plus bas que le torse et s'est vu introduire dans l'anus de l'eau énergisante, puis son repas de "hoummous, pâtes en sauce, noix et raisin", préalablement réduit en purée.

Dans un courrier électronique, un officier de la CIA se vante d'avoir utilisé le plus gros tube qu'il avait. Majid Khan a essayé de se suicider ou de se mutiler plusieurs fois. L'alimentation rectale est un lavement destiné normalement à apporter une nutrition lorsque l'alimentation normale n'est pas possible.

3Menaces avec une perceuse

Pour faire parler Abd Rahim Al-Nashiri, accusé d'avoir organisé l'attentat contre l'USS Cole, au Yémen, en 2000, un agent de la CIA a "placé un pistolet près de la tête d'Al-Nashiri et mis en marche une perceuse sans fil près de son corps", indique encore le rapport. Selon le document, Al-Nashiri "n'a pas fourni d'informations supplémentaires sur des menaces pendant ou après ces interrogatoires".

La liste des sévices pratiqués par la CIA est interminable : détenus enchaînés, frappés, jetés contre les murs, dénudés, soumis à de la musique sans fin, privés de sommeil, forcés de se tenir debout sur leurs pieds brisés, menacés de voir leurs proches abusés sexuellement...

Un détenu est escorté par deux militaires à Guantanamo, le 25 juin 2005. (HARAZ GHANBARI / AP / SIPA)

4Mauvais traitements mortels

Ces méthodes ont eu des conséquences graves. Abou Zubaydah a perdu un œil, mais, surtout, Gul Rahman est mort au centre de détention "Cobalt". Ce site, ouvert en avril 2002 et surnommé "le donjon", se trouvait probablement en Afghanistan, explique le Guardian (en anglais). Un endroit lugubre, froid, où les cellules étaient privées de fenêtres. Les détenus y étaient systématiquement enchaînés et la musique diffusée sans cesse.

Après avoir été "privé de sommeil pendant 48 heures", assourdi par le bruit, placé dans "l'obscurité totale", isolé, douché à l'eau glaciale et avoir subi un "traitement rude", Gul Rahman a été enchaîné. Il ne portait qu'un sweat-shirt, rien en bas. Le lendemain, ses geôliers ont trouvé son corps inanimé sur le béton froid. La cause probable de sa mort est l'hypothermie.

5Torture d'informateurs

La CIA n'a pas seulement fait preuve de brutalité. Elle s'est aussi illustrée par un manque certain de discernement. Comme au printemps 2004, note un journaliste de Buzzfeed. Deux détenus ont été enchaînés debout pendant 24 heures et privés de sommeil avant que la CIA ne finisse par comprendre qu'ils étaient d'anciens contacts et qu'ils avaient cherché à plusieurs reprises à faire connaître leurs activités pour informer l'agence. En clair, ils essayaient d'aider la CIA.

6Détention abusive

Si la CIA a réussi à torturer ses propres agents, elle n'a pas manqué de s'en prendre à des innocents. Des 119 détenus connus du Sénat, "au moins 26 l'étaient à tort et ne rentraient pas dans les critères de rétention", selon le rapport. Parmi eux se trouvait un homme "déficient intellectuellement". Le seul but de la CIA était d'obtenir des informations d'un membre de sa famille.

7Obligation de torturer

Pour les agents, la tâche n'était pas toujours facile. "L'usage incessant des techniques d'interrogatoire poussé dérangeait les agents de la CIA au site de détention vert", indique le rapport. Ils ont protesté, notamment dans le cas d'Abou Zubaydah, mais "ont reçu l'instruction du siège de la CIA de continuer à utiliser ces techniques". Le traitement imposé à Abou Zubaydah a choqué plusieurs personnes jusqu'"aux larmes".

8Dissimulation de prisons en Europe

A partir du rapport, le site américain Vox a dressé une carte des pays qui ont accueilli des centres de torture secrets de la CIA et des pays qui ont aidé l'agence américaine (la France n'y est pas). Quatre centres se trouvaient en Afghanistan. Les autres pays ayant abrité des prisons secrètes sont la Thaïlande, la Roumanie (à Bucarest), la Lituanie (à Antavilas) et la Pologne (à Kiejkuty).

Le Monde rappelle que "le Parlement a commencé dès 2006 un travail d’investigation sur l’utilisation de pays européens pour le transport et la détention illégale de terroristes présumés". La Pologne a déjà été condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme. Opposée il y a onze ans au transfert de membres présumés d'Al-Qaïda dans un centre de détention secret géré par la CIA sur son territoire, elle s'est montrée plus "souple" après le versement de plusieurs millions de dollars, selon le rapport.

L'ex-président Aleksander Kwasniewski a reconnu pour la première fois l'existence d'une prison secrète de la CIA sur le sol polonais. Mais il a ajouté qu'il ignorait tout de ce qui se passait à l'intérieur de ce site, opérationnel en 2002 et 2003.

Des barbelés protègent une zone militaire à Kiejkuty, le 24 janvier 2014. Ce village polonais a accueilli une prison secrète de la CIA. (KACPER PEMPEL / REUTERS)

9Mensonge aux autorités américaines

Pour protéger son programme, la CIA a menti à la Maison Blanche et au Conseil de sécurité nationale. Dans la langue de la commission du renseignement du Sénat, auteure du rapport, cela se traduit par le fait de livrer "de vastes quantités d'informations inexactes et incomplètes". Aucun briefing n'a été envoyé au président Bush sur ces méthodes avant 2006.

La CIA n'a pas non plus jugé nécessaire d'informer deux secrétaires d'Etat successifs (l'équivalent du ministre des Affaires étrangères) des lieux de détention secrets à l'étranger. Et ce bien que les dirigeants des pays concernés soient informés.

10Extorsion d'informations "peu fiables"

La torture de membres d'Al-Qaïda a-t-elle empêché un nouveau 11-Septembre contre l'aéroport d'Heathrow et les immeubles de Canary Wharf à Londres ? La CIA l'a affirmé pendant des années. Mais le rapport conclut que "les informations obtenues pendant ou après l'usage de techniques d'interrogatoires poussées par la CIA n'ont joué aucun rôle pour alerter la CIA de la menace, ou déjouer le projet d'attentat contre l'aéroport d'Heathrow et Canary Wharf".

Surtout, sous la torture, des détenus ont inventé des faits et lancé la CIA sur de fausses pistes. Comme l'expliquait Jean-Marie Fardeau, porte-parole de l'ONG Human Rights Watch, à francetv info"il est évident que sous la torture, on raconte n'importe quoi. Ce ne sont pas des informations fiables."
 
 

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.