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USA2016: les Américains sont-ils prêts à être gouvernés par une femme?
Une femme réussira-t-elle à capter le vote des Américains pour accéder à la Maison Blanche? C'est l'autre façon de s'interroger sur l'aptitude des Etats-Unis à être dirigés par une présidente. Notamment depuis que la candidate démocrate Hillary Clinton, qui a remporté d'un cheveu les primaires dans l'Iowa le 1er février 2016, est de nouveau entrée dans la course à la présidentielle.
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La question se pose: les Américains sont-ils prêts à confier les rênes de leur pays à une femme? Selon un sondage Economist/YouGov réalisé en mars 2015, deux Américains sur trois pensaient «oui». Huit ans plus tôt, c’était difficilement un peu plus de la moitié. En octobre 2015, les positions se confortaient. Ils étaient 95% à répondre favorablement à la question 37 de l'enquête de l’université de Suffolk: «Voteriez-vous pour une femme qualifiée à la présidentielle?»
Une femme «Commander in Chief», plusieurs séries américaines l’ont déjà imaginé. «Ce n’est plus un problème», répond Steven Ekovich, professeur de sciences politiques à l’Université américaine de Paris. «Le peuple américain était même prêt avant qu’Hillary Clinton ne se présente mais aucune femme n’avait osé avant elle. Neanmoins, il y avait déjà eu une candidate à la vice-présidence en la personne de la démocrate Géraldine Ferraro en 1984 (elle fut la trésorière de la campagne d’Hillary Clinton en 2008 et avait dû démissioner à cause de propos jugés racistes à l’encontre de Barack Obama, adversaire démocrate de Clinton, NDLR).»
Franchir de nouvelles frontières
L'historien François Durpaire considère également que «les Américains, les Américaines attendent d’élire une femme». L’historien souligne «ce côté très américain d’aller chercher quelque chose qui n’a jamais été fait. Un républicain me confiait en off en 2008 qu’il était très fier d’avoir un président noir.» «Le genre peut ainsi avoir une importance dans la mesure où les Américains aiment s’arracher à leur histoire. La question n’est plus de savoir si ça va arriver mais quand ça va arriver», conclut François Durpaire.
Selon Steven Ekovich, Hillary Clinton ne se prive pas de surfer sur cette symbolique de «première femme présidente». Pour l'universitaire, elle a fait joué cette dimension en 2008 de «façon oblique». Elle considérait que ce serait bien pour les Etats-Unis d’élire une femme à la tête des Etats-Unis». «Aujourd’hui, c’est moins ouvertement abordé qu’en 2008, mais elle y fait toujours référence. Elle axe désormais sa campagne sur le fait qu’elle a de l’expérience.»
Entre le symbole et le vivier électoral
Pour répondre à la problématique du plébiscite d'une femme à la présidentielle américaine, il faut prendre en compte la femme – le symbole – et les femmes, à savoir leur importance dans le corp électoral américain. Leur vote constitue un véritable enjeu, comme le souligne l'enquête de Economist/YouGov de mars 2015, dans l'évolution qui rend aujourd'hui possible l'élection d'une femme. Car elle serait liée à celle des femmes elles-mêmes. «Dans les enquêtes précédentes, les hommes étaient plus enclins à répondre "oui" quand on leur demandait si les Etats-Unis étaient prêts à élire une femme, analysait alors Kathy Frankovic. Aujourd'hui, il n'y a presque plus de différence: 66% des hommes et 67% des femmes pensent que le pays est prêt.»
En se présentant comme «une mère et une grand-mère», Hillary Clinton sollicite plus ouvertement le vote des femmes que par le passé car elle en a compris toute l'importance. «On voit d’ailleurs bien que Donald Trump est gêné aux entournures, remarque François Durpaire. Il l’attaque en disant qu’elle ne peut pas lui donner de leçons en matière de féminisme et il pointe alors du doigt les Clinton, le couple Billary, en affirmant qu’ils ont fait du tort aux femmes. S’il l’attaque sur son féminisme, c’est qu’il y a un enjeu pour les républicains». La candidate républicaine Carly Fiorina a d’ailleurs à une époque incarné brièvement cet enjeu. «La victoire de Barack Obama en 2012, c’est un différentiel de 15 points au niveau des femmes avec Mitt Romney. Les républicains savent que le fait pour Hillary Clinton d’être une femme va intensifier ce différentiel.»
Aussi François Durpaire reformule-t-il la question de savoir si les Américains peuvent choisir une femme pour les diriger. «Il y a plus de femmes que d’hommes qui votent aux Etats-Unis. La question serait plutôt : les Américaines sont-elles prêtes à élire une femme? Les Etats-Unis sont le pays où l’écart entre les sexes est l’un des plus élevés dans les pays développés. Il est plus important qu’en France par exemple», explique l’historien.
Et si les femmes ne votaient pas pour Hillary Clinton…
Même si «elle a corrigé le tir» par rapport à 2008 et compte bien «profiter du fait que les femmes sont majoritaires dans le corps électoral», il semble que la candidate n’a pas encore vraiment conquis ses congénères. «Généralement, l’électorat féminin penche en faveur des démocrates, à l’exception des femmes mariées et mères de famille qui votent plutôt républicains. Mais les femmes monoparentales votent massivement pour les démocrates. Les femmes constituent déjà un électorat acquis aux démocrates», explique Steven Ekovich. Pour l'heure, le cœur des femmes balance entre les démocrates Hillary Clinton et Bernie Sanders.
Dans un article publié le 22 janvier 2015, Observer titrait : Les femmes ne sauveront pas Hillary Clinton. Le site d’informations s’appuyait sur deux récents sondages qui démontreraient que les femmes ne vont pas voter pour Hillary Clinton comme les Afro-Américains l’ont fait pour Barack Obama. Le sondage USA Today/Rock the Vote montre que les femmes qui ont entre 18 et 34 ans préfèrent le sénateur démocrate du Vermont Bernie Sanders. Il devance Hillary Clinton de 19 points (50% pour Sanders contre 31% pour Clinton). Une autre enquête du Monmouth University national a révélé qu'Hillary Clinton a perdu sa cote auprès des femmes entre décembre 2015 et janvier 2016. Bernie Sanders, qui a été au coude-à-coude avec Hillary Clinton lors du premier caucus de l’Iowa, se présentait il y a quelques jours encore comme étant un meilleur choix pour l’électorat féminin. Ce premier scrutin a démontré que la bataille pour conquérir les femmes sera décisive pour les deux prétendants. Et en particulier Hillary Clinton.
«Les Américains ne voient pas une femme mais une politique»
Néanmoins, estime François Durpaire, «parce qu’elle est connue depuis un quart de siècle, cette question féminine-féministe n’est pas en première ligne». Comme toutes les élections américaines, la personnalité du candidat revêt son importance. «Quand les Américains parlent d’Hillary Clinton, poursuit l'historien, ils n’évoquent pas une incapacité à décider, une carence de leadership… Et puis, ils ne sont peut-être pas passionnés par ce qui se passe dans le reste du monde mais ils ont vu des grands pays être dirigés par des femmes: de Benazir Buttho, au Pakistan, à Indira Ghandi en Inde, en passant par Margaret Thatcher en Grande-Bretagne.»
«Comme les Anglais pour Margaret Thatcher, ils ne voient pas en Hillary Clinton une femme, mais une politique», souligne François Durpaire. «Si les Américains ne votent pas pour la candidate démocrate, ce ne sera pas une question de genre, même si c'est un paramètre important de cette élection, mais parce qu’il y a d’autres facteurs qui rentrent évidemment en ligne de compte.» Par exemple, «le fait que du côté des républicains, il pourrait y avoir une candidature hispanique (Ted Cruz, arrivé premier, et Marc Rubio encerclent Donald Trump, le favori qui a fini second lors des caucus dans l’Iowa, NDLR). Nous aurions alors la première femme ou le premier hispanique, une sorte de resucée de 2008.»
Par ailleurs, contrairement au dernier scrutin présidentiel, note Steven Ekovich, Hillary Clinton a un passé politique moins neutre. «Le désavantage d’Hillary Clinton, cette fois-ci, c’est qu’elle a un bilan derrière elle. Il y a un phénomène qui est comparable à une usure du pouvoir.» L'ancienne secrétaire d'Etat traîne désormais quelques casseroles : l'affaire Benghazi, l’Emailgate et le financement controversé de la Fondation Clinton.
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