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Que reproche-t-on à la Curie romaine ?

Cardinaux et spécialistes réclament une réforme en profondeur de ce gouvernement du Vatican, sous les feux de la rampe depuis le scandale du Vatileaks. 

Article rédigé par Salomé Legrand
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Des membres de la Curie lors d'une messe à Rome, le 7 juin 2012. (ALBERTO PIZZOLI / AFP)

C'est l'une des premières tâches qui attendent le pape François, élu mercredi 13 mars : réformer la Curie romaine, le gouvernement du Vatican. "Pléthorique", "opaque", "corrompue", elle est accusée de tous les maux. A quoi sert-elle, comment fonctionne-t-elle et que lui reproche-t-on ? Décryptage. 

Une administration sclérosée

Une secrétairerie d'Etat, neuf congrégations romaines, trois tribunaux, douze conseillers pontificaux, mais aussi six commissions pontificales et autant d'instituts en tous genres : le Vatican emploie près de 3 000 personnes et l'organigramme n'est pas simple. "La Curie romaine est une organisation administrative complexe, produit d’un empilement historique de siècles de traditions et qu’il n’est pas facile de gérer aujourd’hui", écrivait La Croix en 2008.

"C'est une administration avec toutes les vertus et toutes les tares d'une administration", souligne Christine Pedotti, auteure de Faut-il faire Vatican III ? interviewée par francetv info. Et d'énumérer : "Elle est routinière, habitudinaire, au service de la papauté plus que du pape." Les laïcs s'y comptent sur les doigts d'une main, tout comme les femmes, uniquement des religieuses et cantonnées à des tâches de secrétariat et de "balayeuses".

Au XXe siècle, tous les papes ont essayé de réformer la Curie. En septembre 1963, Paul VI tout juste élu la qualifie de "tatillonne et querelleuse" dans le premier discours qui lui est adressée. Trois ans plus tard, il l'internationalise en imposant des non-Italiens, mais c'est la seule réforme qu'il obtient.

Une hiérarchie inamovible 

Les membres de la Curie sont nommés par le pape et n'en partent qu'à l'âge de la retraite, fixé à 75 ans. Ils sont alors censés remettre leur démission au souverain pontife. "Il existe trois sortes" de membres, explique Christine Pedotti : "Les plus rares sont les gens formidables choisis pour leurs compétences, et les plus nombreux sont les apparatchiks formés dans les écoles romaines dédiées et qui y font carrière." La troisième catégorie, "la plus redoutable" selon la spécialiste du Saint-Siège, regroupe les évêques "qui ne font pas l'affaire dans leur diocèse et que l'on appelle à Rome pour les mettre dans une sorte de placard".

La progression se fait ensuite à l'ancienneté et au favoritisme. "La hiérarchie de la Curie est extrêmement développée et figée", assène Christine Pedotti. Les chefs de bureaux sont assistés de sous-chefs de bureaux, et ainsi de suite. De quoi expliquer cette blague régulière de Jean XXIII, souverain pontife de 1958 à 1963, pour témoigner de son impuissance : "Ici, je ne suis que le pape." 

La Curie fonctionne en vase clos. "Il n'y a pas d'équivalent du Conseil des ministres", note Christine Pedotti, qui pointe que le pape ne réunit les préfets de dicastère que deux fois par an. "Le système curial est à bout : des responsables qui ne se renouvellent pas suffisamment, trop peu nombreux, incapables de répondre aux défis posés à une communauté de 1,2 milliard de croyants", liste la journaliste Isabelle de Gaulmyn, spécialiste du Vatican à La Croix. Sur son blog, elle épingle "une organisation hyper centralisée, et paradoxalement, dans le même temps d’un amateurisme souvent déconcertant".

Tant et si bien que sur France info, Jacques Gaillot, ancien évêque d'Evreux, estime qu'il faut "une rupture courageuse", à savoir "que la Curie cesse ses activités et qu'il y ait une autre gouvernance, incluant des laïcs"

Des membres corrompus et impliqués dans divers scandales

"Ni Jean-Paul II ni Benoît XVI n'ont réussi à mater la Curie, qui est livrée à elle-même depuis trente-cinq ans", note Christine Pedotti. Soupçons de corruption et couverture de grands scandales, en mai 2012, l'affaire Vatileaks a crevé l'abcès de l'opacité du fonctionnement de la Curie. 

Les documents publiés par la presse italienne montrent notamment comment le Saint-Siège a longtemps couvert le scandale du fondateur des Légionnaires du Christ. L'homme, érigé jusque-là en exemple, était en fait un cocaïnomane qui avait trois enfants de deux femmes différentes et était accusé de viols sur plusieurs enfants et séminaristes dont il avait la responsabilité, retrace La Vie. L'hebdomadaire catholique qualifie dans un éditorial cet esclandre de "plus grand qu’ait connu l’Eglise depuis, disons, l’époque où l’on trafiquait les indulgences".

Le Vatican y est également accusé d'une gestion financière des plus opaques. La banque du Vatican, l'Institut des Oeuvres religieuses, qui gère plus de 6 milliards d'euros, a été placé sous surveillance américaine en mars 2012 pour des soupçons de blanchiment d'argent. 

"En 2010, la justice italienne avait découvert qu'elle gérait des comptes auprès d’établissements italiens sans nom de titulaire", ajoute, dans le JDD, le journaliste Gianluigi Nuzzi, auteur de Sa Sainteté, scandale au Vatican. L'ancien numéro 2 de l'administration du Saint-Siège, l'archevêque Carlo Maria Vigano, accuse même la Curie de l'avoir muté à Washington après qu'il eut dénoncé le système népotique fait de malversations et de corruption qu'il a trouvé à son arrivée en 2009, souligne La Tribune

"Le Vatican est le lieu d’une lutte de pouvoir où tout est permis", reconnaît Gianluigi Nuzzi. Et même Vatileaks est une stratégie de déstabilisation de certains cardinaux au bénéfice d'autres. "Il est à prévoir que ces fuites - pour le moment incontrôlées parce qu'elles viennent du cœur du système - vont renforcer cette culture du secret", prédit sur son blog Jean-Marie Guénois, journaliste au Figaro et vaticaniste aguerri.

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