Cinéma : « Une vie violente » de Thierry de Peretti, en DVD, le 2 janvier
Malgré la menace de mort qui pèse sur sa tête, Stéphane retourne en Corse pour assister à l’enterrement de Christophe, son ami d’enfance et compagnon de lutte. C’est l’occasion pour lui de se rappeler les événements qui l’ont vu passer de la petite bourgeoisie cultivée de Bastia à la clandestinité et au radicalisme politique.
Entretien avec Thierry de Peretti
Je suis né et j’ai grandi en Corse, j’y passe aujourd’hui la moitié de mon temps. Mes attaches à l’île sont fortes, y vivent ma famille, une partie de mes amis, de nombreux êtres chers. J’ai toujours eu la plus grande difficulté à raconter à mes amis, aux personnes que je rencontrais, avec lesquelles je travaillais à Paris ou ailleurs, d’où je venais et pas simplement d’un point de vue géographique.
Je n’ai pas grandi dans un endroit archaïque et hors du temps mais, comme beaucoup de gens de ma génération, en écoutant les Smiths, en découvrant L’étoffe des héros de Philip Kaufman, Les griffes de la nuit de Wes Craven, ou Police de Maurice Pialat. Les mêmes choses au même moment. D’un autre côté mon enfance et mon adolescence se sont déroulées dans un climat de violence politique et de grande confusion.
Les gens de ma génération ont tous vécu ou connu, à des niveaux différents, la violence et les meurtres, les règlements de compte et les guets-apens, les familles décimées. Chacun d’entre nous a eu des camarades qui ont pris des routes dangereuses, ont fait de mauvaises rencontres ou qui ont, brutalement, injustement, perdu la vie. J’ai tenté de raconter du mieux que j’ai pu ces deux états, ces deux mondes qui s’enchevêtrent et se confondent… Un monde où la société est touchée de la même façon qu’elle l’aurait été ailleurs par les évènements et les troubles. Et un autre, presque un inframonde, problématique et sombre, où les questions du sang, de la folie et du territoire travaillent et minent la société.
Je m’intéresse à cette période qui a vu mourir en Corse des dizaines de jeunes gens de manière brutale pour des raisons souvent obscures, même si elles semblaient emprunter les voies nébuleuses du radicalisme politique et/ou de la criminalité. Filmer cette époque récente, c’est aborder les questions de l’origine de la violence et poser celles qui travaillent l’île aujourd’hui. Même si le film ne s’inscrit pas en premier lieu dans une perspective historique, il est question d’histoire et de politique, il est question de la France. Ce film est un hommage à tous ces jeunes gens perdus ou assassinés. Mais aussi la promesse d’un dialogue entre une génération oubliée, perdue, massacrée et une autre, vivante et exaltée, qui l’incarne à l’écran.
Comment vous est venue l’idée du personnage principal ? Comment le scénario s’est-il développé autour de lui ?
Stéphane est librement inspiré du parcours atypique, météoritaire, tragique, de Nicolas Montigny, jeune militant nationaliste assassiné à Bastia en 2001. Nous avions le même âge. Je ne l’ai pas connu, même si nous avions des amis en commun. Le film mélange mes propres souvenirs, et ceux de beaucoup de gens de ma génération en Corse, mais il est aussi le fruit d’un long et permanent travail de recherche. Il mêle, de manière fragmentaire et anarchique, rumeurs, légendes urbaines, souvenirs altérés, et Histoire contemporaine de la Corse.
Je cherche des récits qui me permettent d’accéder au coeur de la société corse et qui sont suffisamment profonds pour capter une part de la contemporanéité de cette île, de sa beauté. Et je ne parle pas de paysage, bien sûr. Cette histoire à travers le personnage de Stéphane m’a permis d’accéder à quelques cercles de la société insulaire et de me rappeler cette époque de grande confusion politique et de grande violence, dont les souvenirs sont toujours très douloureux.
Vous aviez des envies de mise en scène, des besoins précis ?
J’avais l’envie de raconter en peu de plans. Avec Claire Mathon, ma directrice de la photographie, nous voulions un film ample, tout en restant très directs. Il fallait épouser les différents régimes, les différents états que traverse le personnage, sentir à quel point les enjeux se décalent au fil du récit. Je voulais un film physique et surtout pas tremblé, afin que le spectateur puisse percevoir la durée de chacun des mouvements du film. De manière à ce que la brutalité et l’absurdité soient perceptibles dans toutes leurs dimensions.
Pensez-vous qu’il soit à propos de faire un parallèle entre votre histoire et la radicalisation d’une partie de la jeunesse française à laquelle on assiste aujourd’hui ?
Non, je ne crois pas. Et personnellement je ne m’en suis pas occupé. Je cherche une forme de récit qui se doit de prendre en charge les questions de la communauté, de la mémoire. Ma référence c’est Leonardo Sciascia. À un moment dans le film, le personnage de François compare l’évolution dramatique de la Corse avec celle de la Sicile. Il tient à préciser néanmoins que les traditions et les structures sociales y sont différentes. Je partage cette façon de voir : il faut être très précis si on veut comparer ou faire des liens avec des situations et des époques différentes, sinon on ajoute à la confusion. Ce qui compte pour moi, c’est l’ultra-local. Si le film peut évoquer des mécanismes proches de ceux qui jettent aujourd’hui des jeunes gens dans les bras du djihadisme, c’est presque un hasard, mais je l’entends. Si le film résonne avec des thématiques contemporaines et d’autres territoires que la Corse, tant mieux. Mais faire un jeu de comparaisons nierait ce que le film représente, dans sa complexité et son mystère.
Plus d'informations sur le site de Pyramide
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