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Pourquoi la Cour de justice de la République est-elle contestée ?

La Cour de justice de la République, devant laquelle seront jugés Edouard Balladur et François Léotard, est contestée par une partie de la classe politique et par certains juristes et magistrats. 

Article rédigé par franceinfo - Emilie Gautreau
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
L'entrée de la Cour de justice de la République, à Paris. (ERIC CABANIS / AFP)

La Cour de justice de la République, devant laquelle seront jugés l'ancien Premier ministre Edouard Balladur et son ancien ministre François Léotard, est une juridiction particulière. Créée par la révision constitutionnelle du 27 juillet 1993, après le scandale du sang contaminé, mentionnée aux articles 68-1 et 68-2 dans le titre X de la Constitutionla CJR juge les ministres pour des crimes ou délits commis dans le cadre de leurs fonctions, ainsi que franceinfo l'expliquait, dès décembre 2015, dans cette vidéo.

La CJR comprend douze parlementaires (six députés et six sénateurs) et trois magistrats professionnels - magistrats du siège à la Cour de cassation - dont l’un préside la Cour. C'est une juridiction contestée pour plusieurs raisons. 

Parce que c'est une juridiction d'exception

La Cour de justice de la République, par sa composition, est une juridiction mi-judiciaire mi-politique, qui a, de fait, toujours suscité une certaine suspicion quant à son impartialité. Elle n'est compétente que pour juger les membres du gouvernement (Premier ministre, ministres, secrétaires d’État) pénalement responsables des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions, qualifiés de crimes ou délits au moment où ils ont été commis. 

Les arrêts de la Cour ne sont pas susceptibles d'appel mais seulement de pourvois en cassation. Si l'arrêt est cassé, la Cour de justice doit être entièrement recomposée avant de juger à nouveau l'affaire.

Les audiences comportent d'autres spécificités : décision rendue après un vote à bulletin secret, impossibilité pour les victimes de se "constituer partie civile", ou pour certains témoins la dispense de prêter serment.

Parce que son champ de compétences est restreint

La Cour de justice de la République ne peut pas juger les infractions qui auraient été commises par un ministre sans lien avec la conduite de la politique de la nation. De telles infractions sont du ressort des juridictions de droit commun.

Par ailleurs, les complices présumés d’un ministre mis en cause devant la Cour de justice de la République sont eux, le cas échéant, poursuivis devant les juridictions ordinaires et ne peuvent être contraints de venir témoigner devant la CJR.  

Or la coexistence de procédures devant la Cour de justice de la République et devant d'autres juridictions peut compliquer la façon dont les procédures sont menées. Certaines affaires se trouvent, de fait, séparées en deux volets : ministériel devant la CJR d'une part, non ministériel devant une juridiction ordinaire d'autre part. 

Parce que ses arrêts ont parfois été jugés trop cléments

Depuis sa création, la Cour de justice de la République a fait l'objet de nombreuses critiques quant à la lenteur des procédures, à sa clémence ou encore aux incohérences estimées de certains arrêts. Au total, depuis sa création, la CJR a jugé huit personnes : trois ont été relaxées, trois condamnées à des peines de sursis et deux ont été déclarées coupables mais dispensées de peines.

Le premier procès, en 1999, avait porté sur l'affaire du sang contaminé. L'ancien Premier ministre Laurent Fabius et l'ancienne ministre des Affaires sociales Georgina Dufoix avaient été relaxés. L'ancien secrétaire d'Etat à la Santé, Edmond Hervé, avait été condamné mais dispensé de peine. Le 16 mai 2000, Ségolène Royal avait quant à elle été relaxée dans une affaire de diffamation l'opposant à des enseignants, remontant à 1997, à l'époque où elle était ministre déléguée à l'Enseignement scolaire. Le 7 juillet 2004, Michel Gilibert, ancien secrétaire d'Etat aux Handicapés avait été condamné à trois ans de prison avec sursis pour escroquerie au détriment de l'Etat. Le 30 avril 2010, Charles Pasqua, ancien ministre de l'intérieur, avait été condamné à un an de prison avec sursis pour complicité d'abus de biens sociaux dans les années 1990 et relaxé dans deux autres affaires. En décembre 2016, l'ancienne ministre de l'Economie et des Finances, Christine Lagarde, avait été reconnue coupable de "négligence" dans l’affaire de l’arbitrage favorable à Bernard Tapie neuf ans plus tôt, mais la Cour avait choisi de la dispenser de peine.

Enfin, ce lundi, Jean-Jacques Urvoas a été le premier ministre de la Justice condamné par la CJR - à un mois de prison avec sursis et 5.000 euros d'amende pour "violation du secret professionnel". 

Parce que sa disparition a été annoncée et qu'elle est toujours là

François Hollande, puis Emmanuel Macron avaient tour à tour fait de la suppression de la CJR une de leurs promesses de campagne.

La difficulté à laquelle se heurtent les chefs d'Etat qui souhaitent supprimer la CJR est que cette suppression passe par une modification de la Constitution. Or pour être validée, toute réforme constitutionnelle doit être votée dans les mêmes termes par le Sénat et l'Assemblée puis par au moins trois cinquièmes des parlementaires réunis en Congrès à Versailles.

Un article du projet de révision constitutionnelle, présenté en Conseil des ministres en août dernier, prévoit que "les membres du Gouvernement" seraient désormais "responsables, dans les conditions de droit commun, des actes qui ne se rattachent pas directement à l’exercice de leurs attributions, y compris lorsqu’ils ont été accomplis à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions ". Le texte précise que " leur responsabilité ne peut être mise en cause à raison de leur inaction que si le choix de ne pas agir leur est directement et personnellement imputable". Les membres du gouvernement seraient, le cas échéant, " poursuivis et jugés devant les formations compétentes, composées de magistrats professionnels, de la Cour d’appel de Paris ".

Dans son avis rendu sur ce projet, le Conseil d'Etat a estimé cette mesure justifiée, "au regard des critiques que suscite notamment la composition de la Cour de justice de la République" et "par la nécessité de rapprocher du droit commun la responsabilité pénale des membres du gouvernement".

Le projet de loi constitutionnelle a, à ce stade, été renvoyé à la commission des lois de l'Assemblée nationale. 

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