Soupçons de financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy : l'ancien président et trois de ses ex-ministres réunis sur le banc des prévenus

L'ancien locataire de l'Elysée et douze autres prévenus doivent être jugés dans cette affaire d'Etat aux ramifications complexes.
Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
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Nicolas Sarkozy salue un policier devant la salle d'audience du tribunal correctionnel de Paris où se tient le procès sur les soupçons de financement libyen de sa campagne présidentielle de 2007, lundi 6 janvier 2025. (CATHERINE FOURNIER / FRANCEINFO)

Avant d'entrer dans la salle d'audience, il a pris soin de serrer la main des deux policiers qui lui tenaient la porte. Nicolas Sarkozy ne s'est pas départi de ses réflexes d'ex-ministre de l'Intérieur à l'ouverture de son procès dans l'affaire des soupçons de financement libyen de sa campagne présidentielle victorieuse. Celui qui a présidé la France de 2007 à 2012 comparaît à partir du lundi 6 janvier devant le tribunal correctionnel de Paris pour avoir scellé, selon l'accusation, un "pacte de corruption" avec le défunt dictateur libyen Mouammar Kadhafi.

Parmi les douze autres personnes jugées dans ce dossier tentaculaire de 73 tomes figurent trois anciens ministres : Claude Guéant, Brice Hortefeux et Eric Woerth. Il leur est reproché, à divers degrés, d'avoir "organisé" et réceptionné des "transferts de fonds" depuis la Libye, dont le montant total n'a pas été établi.

Alors qu'ils avaient interdiction de communiquer depuis leur placement sous contrôle judiciaire, Nicolas Sarkozy et ces responsables de la droite française, fidèles parmi les fidèles, ont échangé quelques mots avant de s'asseoir côte à côte, tous les quatre, sur le banc des prévenus. Une image marquante, près de vingt ans après l'éclatement de l'affaire en 2012.

Un défilé de costumes-cravates à la barre

Les uns après les autres, ces hommes en costume-cravate sombre sur chemise blanche, qui ont occupé les plus hautes fonctions de l'Etat, ont été appelés à la barre par la présidente, Nathalie Gavarino, pour décliner leur identité. Claude Guéant, qui aura 80 ans le 17 janvier, s'est avancé le premier. L'ancien secrétaire général de l'Elysée, devenu ministre de l'Intérieur de Nicolas Sarkozy, est aujourd'hui "retraité" et "veuf". Brice Hortefeux, 67 ans, est, lui aussi, "retraité de la fonction publique", après une longue carrière politique, dont six ans comme ministre, et "divorcé".

Nicolas Sarkozy à la barre du tribunal correctionnel de Paris, le 6 janvier 2025. Derrière l'ex-chef de l'Etat, sur la banc des prévenus, les trois anciens ministres Claude Guéant, Brice Hortefeux et Eric Woerth. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCE TELEVISIONS)

Nicolas Sarkozy, qui fêtera ses 70 ans fin janvier, est quant à lui encore "avocat" et toujours "marié". Nationalité ? "Française", confirme-t-il, après une plaisanterie sur les origines italiennes de son épouse Carla Bruni. Eric Woerth, enfin, ancien trésorier de la campagne de 2007, évoque à son tour sa vie maritale et ses fonctions actuelles de député (Ensemble pour la République) de l'Oise. Il soufflera sa soixante-neuvième bougie fin janvier, pendant le procès.

Plusieurs prévenus aux abonnés absents

Quatre autres prévenus ont défilé à la barre, dont le sulfureux intermédiaire Alexandre Djouhri, 66 ans, au style vestimentaire plus détendu – costume-baskets. Son ennemi juré, Ziad Takieddine, l'autre intermédiaire du dossier, est en revanche absent. En fuite au Liban, cet homme d'affaires a confié à RTL, lundi, qu'il se tenait à disposition de la justice française pour témoigner par visioconférence. Et a réitéré ses accusations, après s'être un temps rétracté : "[Nicolas] Sarkozy a été voir [Mouammar] Kadhafi, il a demandé [son] argent (…). Je peux dire que [Mouammar] Kadhafi lui a payé jusqu'à 50 millions d'euros."

D'autres prévenus manquaient également à l'appel lundi. Bechir Saleh, ancien argentier du régime libyen, un temps exfiltré en France, est visé par un mandat d'arrêt et sera représenté pendant les quatre mois de procès par deux avocats.

Le milliardaire saoudien Khaled Ali Bugshan, poursuivi dans le volet des tableaux, portant sur l'enrichissement personnel présumé de Claude Guéant, est, lui aussi, visé par un mandat d'arrêt. Quant à l'acheteur officiel des tableaux, le Malaisien Sivajothi Rajendram, il "serait décédé", a fait savoir la présidente. L'extinction des poursuites le visant devrait être officialisée au cours des débats.

La compétence du tribunal questionnée

Avant de se pencher sur les tentatives de la défense pour faire renvoyer le procès, la présidente l'a rappelé solennellement : "Toutes les personnes poursuivies sont présumées innocentes tant que la culpabilité n'a pas été établie." Le tribunal a ensuite rejeté une question prioritaire de constitutionnalité déposée par l'avocat de Khaled Ali Bugshan pour contester le cumul des chefs de poursuite visant son client.

Il a par la suite a entendu les arguments des avocats sur la compétence de la Cour de justice de la République (CJR) pour juger certains prévenus, au motif que ceux-ci étaient ministres en exercice à la période des faits reprochés. Et pour cause : la CJR est réputée pour être plus clémente dans ses décisions.

"Permettez-moi de vous mettre en garde : en vous déclarant compétent, vous porterez gravement atteinte à l'esprit de nos institutions et à la séparation des pouvoirs", a ainsi lancé au tribunal l'un des conseils de Nicolas Sarkozy, Jean-Michel Darrois. "Insinuer des arguments selon lesquels Nicolas Sarkozy serait victime de l'institution judiciaire, ce n'est pas à la hauteur ni de votre carrière ni de votre talent", a rétorqué Quentin Dandoy, l'un des trois procureurs du Parquet national financier, donnant le ton dans cette première passe d'armes.

Et le magistrat de rappeler que lorsqu'il rencontre le dictateur sous sa tente en Libye fin 2005, Nicolas Sarkozy n'est pas dans son rôle de ministre de l'Intérieur, mais plutôt dans celui de futur candidat. "On est dans la recherche d'un intérêt personnel : celui de votre campagne présidentielle", appuie Quentin Dandoy. Sur son banc, l'intéressé bout, maugrée, hausse les épaules. L'ancien président de la République devra encore patienter pour livrer sa version des faits.

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