Au PS marseillais, on fait campagne à reculons pour les écolos
En vertu de l'accord avec Europe écologie - Les Verts, les militants socialistes de la 6e circonscription des Bouches-du-Rhône doivent se mobiliser pour un candidat aux législatives qu'ils ont du mal à accepter. Ambiance.
Ils font campagne à reculons. Voire pas du tout, pour certains. D'ailleurs, Sylvain Borgni, patron de la section 309 du PS marseillais, cheveux et moustache coupés nets, plutôt sel que poivre, prévient d'emblée : "Pas de questions embarrassantes, la période est difficile." Comme dans une soixantaine d'autres circonscriptions du pays, ces socialistes de la 6e des Bouches-du-Rhône se sont vu imposer un candidat issu d'Europe Ecologie - Les Verts (EELV) en vertu de l'accord électoral entre les deux partis. Dès le mois de décembre, certains riaient jaune : "Le vert est dans le fruit." Quelques mois plus tard, au Cercle de la renaissance, le QG de ces socialistes marseillais, le tour de table est franchement ronchon mardi 29 mai.
"Euh, on peut t'appeler camarade ?"
A quelques rues de là, Pierre Sémériva, le candidat écologiste aux législatives dans la circonscription, achève une réunion informelle avec son équipe à la terrasse ensoleillée d'une boulangerie. Il confirme : "Il y a eu un petit flottement au départ. Je ne dis pas que tous ont accepté ma candidature. Mais j'ai tout fait pour que ça se passe bien !" D'ailleurs, quand l'ingénieur informaticien et vice-président de la communauté urbaine Marseille Provence Métropole rejoint la réunion du PS ("On m'a invité, on verra bien"), des places se libèrent immédiatement autour du président de section. Qui entame : "Bon ben, je laisse la parole à notre camarade et néanmoins ami, euh, on peut t'appeler camarade ?"
Marchant sur des œufs, Pierre Sémériva, bientôt quinqua, souligne l'importance d'une candidature unie à gauche pour être présent au second tour. D'autant que l'UMP l'avait emporté dès le premier en 2007 avec plus de 55% des voix. Ophélie Rosso, sa suppléante, PS pur jus, reprend : "C'est vrai que Pierre a été parachuté et qu'on n'était pas contents. Mais maintenant, il faut se lancer dans la bataille et aller jusqu'au bout, tous ensemble", martèle-t-elle, marinière à paillettes et brushing vaporeux.
"Je-sais-que-ça-t'embarrasse-on-en-a-déjà-parlé"
Les 27 militants acquiescent mais n'épargnent pas pour autant leur candidat imposé. Dans leur ligne de mire, Laurence Vichnievsky, candidate EELV dans la 1re circonscription voisine, qui mène une campagne virulente contre le candidat PS, Christophe Masse. "Elle n'appellera même pas à voter pour lui au second tour", s'étrangle un militant indigné.
"Ça ne facilite pas les choses, c'est clair", concède, mal à l'aise, Pierre Sémériva, qui se perd dans les dédales de la cuisine politique microlocale interne. Le socialiste Fernand Pietri, à "90% sûr d'être candidat dissident" dans la 6e jusqu'à la dernière minute avant de se raviser, en remet une couche. Deux même. La première sous forme de tacle : "Tu dis partout que la gauche n'est pas présente ici depuis 1981, mais il faut bien que tu apprennes l'histoire de la circo. On travaille le terrain ici, on était au second tour en 1997." Il en sait quelque chose, c'était lui, le candidat.
Et de lui demander, après un préambule "je-sais-que-ça-t'embarrasse-on-en-a-déjà-parlé", de se positionner clairement sur le cas Vichnievsky. Applaudissements, y compris de la suppléante, persuadée que les écolos ont tout à gagner à avoir une attitude franche au sujet de la remuante magistrate. Nouvel embarras chez l'ingénieur informatique. A titre personnel, il n'est "franchement pas d'accord avec Laurence sur cette position-là", mais de là à se prononcer officiellement… Le candidat écolo louvoie, se cache derrière la porte-parole nationale, qui doit se charger de la position "claire et nette d'Europe Ecologie - Les Verts sur cette question du second tour". Mais il se "refuse à créer le buzz et laisser cette question interférer dans [sa] campagne".
"Je ne peux pas faire l'autruche"
Pour un peu, la déclaration de Michel Villeneuve, petit candidat de Génération Ecologie, venu annoncer lui-même à la réunion le retrait de sa candidature au profit de celle d'une union de la gauche, passe presque inaperçue. Ça lui "ferait mal aux seins de voir le FN au second tour" donc il s'assoit sur les "20 000 tracts imprimés" à son effigie.
Malgré cette nouvelle positive, Ophélie Rosso, la suppléante, confie se sentir toujours "mal dans cette campagne". Et les militants restent partagés entre ceux qui prêteront main forte à contre-cœur, comme Salah, 25 ans, pour "poursuivre les efforts de la présidentielle" et ceux qui ne se bougeront que pour des "vrais socialistes", dans les autres circonscriptions. Comme Rose-Marie, 54 ans, robe à fleurs et chemise blanche qui ne digère pas qu'EELV "n'ait pas filé un coup de main pour tenir les bureaux de vote à la présidentielle", contrairement au pacte passé localement.
Plus globalement, les militants ne comprennent pas l'idée générale de cet accord électoral qui laisse des candidats EELV face à des socialistes dans certaines circonscriptions quand eux doivent soutenir un "parachuté" sans rien dire. "Les accords, c'est à la loyale", répète Ophélie Rosso. La septuagénaire mettra pourtant "toutes ses forces dans la bataille, parce que l'UMP en face, ses troupes font du 24/24". "Moi, je relaie le programme de campagne de monsieur Sémériva et celui des candidats socialistes dans les autres circo", explique Sylvain Borgni. "Et je lui donne quelques tuyaux. Quand même, je ne peux pas faire l'autruche", reconnaît le chef de section qui n'a pourtant pas franchement appelé ses troupes à renforcer les 25 militants écolos du secteur.
En attendant, pas question de s'attarder dans les derniers rayons de soleil sur le trottoir. L'écolo a rendez-vous pour un meeting en ville avec Daniel Cohn-Bendit. Les socialistes, eux, ne veulent pas rater "François-Hollande-notre-président" au 20 heures de France 2. "Chacun ses obligations", rit mi-figue mi-raisin, un jeune militant.
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