"Dans 15 jours, Hamon, il est mort !" A Villeurbanne, comment Mélenchon a siphonné l'électorat du PS
Jean-Luc Mélenchon devance désormais de presque dix points Benoît Hamon dans les sondages. A dix jours du premier tour, le candidat socialiste semble incapable d'enrayer la dynamique du leader de la France insoumise. Franceinfo est allé à Villeurbanne (Rhône), ville socialiste de la banlieue de Lyon, à la rencontre des électeurs passés chez Mélenchon.
Ils sont une dizaine à tracter, ce mardi 11 avril à midi, pour le meeting de Benoît Hamon à Villeurbanne (Rhône). A la sortie du métro Charpennes, juste à côté de Lyon, ces militants socialistes continuent de battre la campagne, et tentent de ne pas afficher leurs états d'âme, malgré la dégringolade de leur candidat dans les sondages. Nadine l'assure : elle est convaincue "à 200%" par Benoît Hamon. "Pour une fois qu'on peut voter pour, et pas contre !", dit-elle en reprenant le slogan de la campagne.
Mais cette enseignante-chercheuse en mathématiques le sait : pour le candidat socialiste, cette fin de campagne est difficile. Elle rapporte que ses collègues de l'université, initialement tentés "à 75% par Macron", voient aujourd'hui dans le candidat d'En marche! "un produit marketing" pas très satisfaisant. Pour autant, après la percée dans les sondages de Jean-Luc Mélenchon, ils hésitent encore à voter pour Hamon : "le danger Mélenchon pourrait à nouveau empêcher un vote de conviction", se désole Nadine. "C'est l'enfer total, des deux côtés !", glisse-t-elle à ses camarades. Et le petit groupe de fustiger en chœur le concept de "vote utile" au premier tour, qui a longtemps profité à Emmanuel Macron. "On donne à un compromis un relooking de vote utile, estime Pierre-Olivier. Mais en fait, c'est un vote de compromis."
"Au PS, ils nous ont trahis jusqu'à l'os"
De l'autre côté du cours Emile Zola, quelques soutiens de Jean-Luc Mélenchon sont eux aussi venus tracter. Quand l'un d'eux, se trompant apparemment de côté, arrive avec son vélo aux couleurs de la France insoumise au beau milieu des militants socialistes, le ton monte rapidement.
– Une militante socialiste : "Vous ne voulez pas de la sociale-démocratie ?"
– François, technicien informatique pro-Mélenchon : "Non, c'est l'austérité. Je ne veux plus rien avoir à faire avec le PS, ils nous ont trahis jusqu'à l'os, c'est fini !"
– La militante PS : "Benoît Hamon est un frondeur, il est sorti du gouvernement, c'est une autre gauche !"
– Un de ses camarades : "Il y a plein d'autres gens à convaincre, laisse tomber..."
L'insoumis est prié d'aller tracter du bon côté de la rue. "Comme les courbes se sont inversées, les gens se posent des questions, explique Françoise, élue dans une commune voisine. Sur le terrain, les gens nous demandent de plus en plus quelle est la différence entre leurs programmes. On répond en parlant de l'Europe..." Sur les questions internationales, la différence entre les deux candidats est en effet flagrante : Jean-Luc Mélenchon penche clairement pour une sortie de l'Union européenne s'il n'arrivait pas à obtenir de nouvelles règles de fonctionnement parmi les 27. Benoît Hamon, lui, prône une réforme de l'UE, mais n'envisage absolument pas d'en sortir.
Le soir même, devant l'Astroballe, la grande salle de basket de Villeurbanne, la file d'attente s'allonge. Une heure avant le début du meeting de Benoît Hamon, plusieurs dizaines de personnes patientent au soleil. Maire sans étiquette d'un petit village de Saône-et-Loire, Jocelyne a fait une centaine de kilomètres pour venir écouter Benoît Hamon. Elle dit adhérer "complètement" au "discours de fraternité" du candidat. Mais ajoute aussitôt : "Mon devoir, c'est de faire barrage au FN pour mes petits-enfants. Si au second tour c'est François Fillon face à Marine Le Pen, on n’a rien gagné du tout." N'en concluez pas qu'elle envisage de voter pour Macron. "Il faut arrêter avec les vieux ringards, Fillon ou Macron ! Non, la réponse à ce risque, c’est Mélenchon."
Hamon a des idées extraordinaires, mais c’est trop tôt. Les Français ne sont pas prêts. Si j’écoute ma colonne vertébrale, c’est Hamon. Mais si je suis raisonnable, je vote Mélenchon.
Jocelyne, soutien de Benoît Hamonà franceinfo
Sa fille Marie, elle, a tranché "il y a longtemps", avant la primaire de la gauche où elle a pourtant voté Hamon. "Hamon a de bonnes idées mais Mélenchon est plus crédible." Un peu plus loin dans la file, Virginie, salariée chez un courtier en assurance, vient pour la première fois assister à un meeting. Elle avait bien tenté de voir Macron et Mélenchon quand ils ont tenu des meetings à Lyon, début février, mais "c'était la folie, il y avait trop de monde". Elle avoue se sentir "un peu perdue" dans cette élection où elle a l'impression que "le clivage droite-gauche n'est plus très important. Normalement, je voterai pour Hamon, je trouve que c'est le plus sincère. Mais il va peut-être en être victime, non ? Les plus sincères ne sont pas élus en général".
Le vote utile ? "On ne peut pas s'empêcher d'y penser"
Tous ici se disent de gauche. La plupart sont en accord avec le programme de Benoît Hamon. Mais difficile, dans cette queue, de trouver un soutien persuadé que le candidat socialiste peut l'emporter. Etes-vous sûr de voter pour Benoît Hamon ? "A l'heure qu'il est, oui ! A 90%, oui", sourient quelques retraités. Ils sont militants socialistes, encartés, ont même parfois été élus dans des conseils municipaux, mais ne se font guère d'illusions sur le score de leur candidat. "Ce qui est en cause, ce n'est pas la présence au second tour, explique tranquillement Yvon, patron de la fédération socialiste du Rhône dans les années 1980. Ce qui va se jouer, c’est les législatives, et sur quelles valeurs on reconstruit le PS après."
A ses côtés, Jacqueline regrette le choix de certains socialistes d'être partis à En marche ! – dans la région lyonnaise, ils sont particulièrement nombreux, peut-être influencés par le maire Gérard Collomb, soutien de la première heure d'Emmanuel Macron. "Cela déstabilise beaucoup les gens, cette fracture est intolérable." Dans ces conditions, sont-ils parfois tentés par le "vote utile" ? "On ne peut pas s’empêcher d’y penser, dit Yvon. Mais un vote utile à quoi ? Pour qui ? Pour Macron ou Mélenchon ? En 2002 déjà, cela a été dur de voter Chirac. Voter Fillon, cela me semble impossible."
A l'intérieur de l'Astroballe, Mustafa s'interroge lui aussi. Militant socialiste dans la commune voisine de Vaulx-en-Velin, il votera pour Hamon, par "discipline de parti". Tout en soulignant, à regret, que "les luttes dans le PS ont été terribles. Regardez au meeting, les militants sont là, pas les grosses pointures". Mais en tant que citoyen "d'origine arabe", Mustafa pense aussi au "combat à mener contre le FN". Le vote utile ? "Bien sûr que ça me travaille", reconnaît-il, tout en évoquant la campagne de Jean-Luc Mélenchon, "intéressante, poétique, généreuse, humaniste. Au PS, on nous a trop abreuvés de calculs froids, de logique, de tactique". Mustafa n'a d'ailleurs aucun espoir sur l'avenir de son candidat.
Dans 15 jours, Benoît Hamon, il est mort ! Tous ceux qui se reconnaissent dans sa candidature vont être aspirés par Mélenchon.
Mustafa, militant socialisteà franceinfo
Magali, elle, a déjà été "aspirée". A 39 ans, cette indépendante qui travaille dans le commerce est venue "faire un tour" au meeting de Hamon, pour qui elle a voté à la primaire. "Il a un logiciel neuf et aborde des sujets très concrets, il propose une version plus horizontale des choses. Mais il n’a pas su transformer sa campagne de primaire, ça s’est essoufflé." La prestation de Mélenchon dans les débats et lors de l'émission de Laurent Ruquier, dit-elle, l'ont convaincue de choisir le leader de la France insoumise. "Mélenchon n'a même pas eu besoin de siphonner les voix de Hamon, ça s'est fait tout seul, assure-t-elle. Hamon est très sympa, mais il est encore jeune. Il faut qu'il fasse le ménage au PS ! Forcément, il est en porte-à-faux dans sa famille. Il aurait dû créer un parti, il n'a pas fait les choix au bon moment, contrairement à Mélenchon qui a tranché."
Celui qui incarne le mieux la gauche, c’est Mélenchon. En plus c’est un vieux briscard… Il fait une très bonne campagne, il a mis de l’eau dans son vin, il est moins impétueux, plus consensuel.
Magali, électrice de gaucheà franceinfo
A 20 ans, Chloé va voter pour la première fois à une élection présidentielle. Etudiante en sociologie et en communication, elle écoute le discours de Benoît Hamon tout en surfant sur son téléphone. A la primaire, elle a voté pour lui : c'était "le seul, à ce moment-là, à incarner des idées de gauche progressistes et modernes, notamment sur l’écologie." Mais aujourd'hui, elle aussi a rallié Mélenchon, dont elle consulte régulièrement la chaîne YouTube. "Ce que dit Hamon me plaît, mais je n’arrive pas à mettre du concret derrière. C’est super, mais je n’y crois pas, par exemple sur le revenu universel. En plus, je trouve qu’il ne s’incarne pas dans la fonction présidentielle, je ne le vois pas en chef des armées par exemple."
"Hamon va devoir faire des concessions à son parti"
A deux kilomètres de là, une autre ambiance règne dans la salle des conférences du palais du travail de Villeurbanne, juste en face de l'imposante mairie. Une trentaine de personnes débattent de façon studieuse des traités européens et de la "sortie concertée de l'Union européenne", le fameux "plan B" de Mélenchon. Certains viennent pour la première fois à un événement de la France insoumise. C'est le cas de Nicolas, jeune chercheur en écologie actuellement au chômage, qui s'est décidé à voter pour Mélenchon il y a quelques semaines. Il avait pourtant été séduit par la candidature de Benoît Hamon, qu'il a découvert dans les débats de la primaire de la gauche. Il le trouve même "plus convaincant sur les questions liées à l'environnement", sujet majeur pour lui. Mais pour Nicolas, le problème c'est le PS. "J'imagine que Hamon va devoir faire des concessions à son parti. Valls ne le soutient plus, mais il est toujours encarté au PS."
Il reconnaît que la dynamique actuelle du leader de la France insoumise dans les sondages a aussi pu jouer dans sa décision. "Si cela avait été l'inverse, j'aurais peut-être conservé mon vote à Hamon. Idéalement, j'aurais voulu une alliance, j'en ai même rêvé le soir du débat entre Valls et Hamon !" Vincent, lui, hésite encore. Européen convaincu, il aimerait comprendre les "axes de négociation du plan A" de Jean-Luc Mélenchon. "Historiquement, je suis un électeur de gauche. Moi je vois plutôt l'Europe comme un vecteur d'échange, de partage, de richesse. Le seul européen dans la campagne, c'est Macron, c'est quand même un problème !"
Car le jeune homme, chef de projet dans une société informatique, goûte très peu la "libéralisation à outrance du marché du travail" que propose selon lui le candidat d'En marche ! Il est venu participer à cette réunion sur les conseils d'un ami "insoumis", mais en ressort sans avoir trouvé de réponse. Pense-t-il à voter pour Hamon ? "Le fait qu'il ait tout lâché sur le revenu universel, ça me déçoit énormément ! Il ne porte pas ses convictions, il met trop d'eau dans son vin. Il a du mal à être libre dans son programme. La perte d'ambition du PS, c'est ce qui m'embête le plus", conclut-il dans un sourire désabusé. Quant au vote utile… "C'est trop tôt, les choses sont tellement ouvertes, je ne saurais même pas où voter utile aujourd'hui."
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