"Il ne fait que de la com et ça tend tout le monde" : Bruno Retailleau, la "jambe droite" de Michel Barnier qui donne des crampes aux macronistes

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Bruno Retailleau, ministre de l'Intérieur, devant les journalistes à l'Assemblée nationale, le 8 octobre 2024, à Paris. (ISA HARSIN / SIPA)
Avec ses déclarations et propositions chocs, le nouveau ministre de l'Intérieur, très présent dans les médias, donne des gages au Rassemblement national, tout en exaspérant les centristes de la fragile coalition du "socle commun".

Une nuée de micros et de caméras fond sur Bruno Retailleau, mardi 8 octobre, à l'Assemblée nationale. Le ministre de l'Intérieur n'a pourtant qu'une simple déclaration à faire au sujet des loyers impayés de la gendarmerie nationale. Mais c'est ainsi depuis trois semaines et son arrivée au ministère de l'Intérieur : l'ancien patron des sénateurs Les Républicains attire la lumière. Et les critiques, jusque dans les rangs du gouvernement de Michel Barnier.

"Il est dans le ministère le plus exposé par l'actualité, ce qui l'oblige sans cesse à parler", fait valoir son entourage, assurant que "pour une interview qu'il accepte, il en refuse cent."  JT de TF1, interview dans Le Figaro, plateau d'une heure sur LCI, échange avec Le JDD, entretien sur l'immigration dans Le Parisien… Le numéro 4 du gouvernement occupe l'espace. Selon le dernier baromètre Elabe pour Les Echos, cela lui a d'ailleurs permis de gagner en notoriété et en opinions positives (+6 points, à 21%).

"Le ministre le plus proactif médiatiquement"

"C'est presque une caractéristique des ministres de l'Intérieur. Nicolas Sarkozy, Manuel Valls, Gérald Darmanin ont fait la même chose, rappelle à franceinfo le sénateur LR Roger Karoutchi. Et puis, il n'y a pas beaucoup de vedettes dans ce gouvernement, forcément, les trois-quatre un peu plus visibles sont invités dans les médias." "Il a été pour l'instant le ministre le plus proactif médiatiquement", concède une ministre issue de Renaissance, avant d'ajouter que la situation ne va pas durer.

"Il a profité de la séquence 'avant-budget' pour imprimer sa marque, mais après la présentation du budget, je pense que plus grand-chose ne va exister."

Une ministre du gouvernement Barnier

à franceinfo

En réunissant son équipe à Matignon le 23 septembre, le Premier ministre, Michel Barnier, avait demandé aux membres de son gouvernement de "l'humilité" et d'"agir avant de communiquer". Bruno Retailleau a interprété cette consigne de manière toute personnelle. Sur les réseaux sociaux, il n'hésite pas à documenter ses visites aux gendarmes, sa participation aux cérémonies d'hommage ou encore ses réunions européennes. "Le ministre de l'Intérieur, c'est toute l'année qu'il doit communiquer, défend son entourage. Il doit impulser un état d'esprit : l'absence de fatalité, la volonté de faire, cela fait partie de l'action politique."

Cet ancien proche de Philippe de Villiers, connu pour ses positions très conservatrices, prend de la place et multiplie les sorties sur le terrain de l'immigration. Après avoir dit vouloir réformer l'Aide médicale d'Etat, l'omniprésent ministre a aussi déclaré que l'Etat de droit n'était "pas intangible, ni sacré" ou encore que l'immigration n'était "pas une chance". Dernier épisode en date : dans son interview au Parisien, il plaide pour une nouvelle loi immigration et dit vouloir revenir sur la circulaire Valls pour durcir les conditions de régularisation des sans-papiers.

"On aimerait juste qu'il respecte les consignes"

Chaque intervention du ministre est vécue comme une provocation par une partie des troupes du "socle commun", cette fragile coalition constituée de LR et des partis du camp présidentiel. "C'est la goutte d'eau. C'est insupportable !", s'emporte un député Ensemble pour la République (EPR, ex-Renaissance) au sujet des derniers propos de Bruno Retailleau dans Le Parisien. "On est quelques-uns à se demander si on va être capables de soutenir encore longtemps ce gouvernement…"

"On n'est pas là pour faire la course au RN."

Un député EPR

à franceinfo

"On peut parler immigration sans dénigrer les Français qui en sont issus", avait réagi Prisca Thevenot, fin septembre, sur X. L'ancienne porte-parole du gouvernement Attal accuse le ministre de l'Intérieur de faire "le lit du RN", en ne distinguant pas l'immigration illégale et légale. "On aimerait juste qu'il respecte les consignes du Premier ministre : 'Moins de communication et plus de travail'. Là, il ne fait que de la com et ça tend tout le monde", s'agace encore un député EPR. "Il a la même attitude que ses prédécesseurs en sortant les muscles et en faisant des effets d'annonce, ajoute un proche d'Emmanuel Macron. Il ferait mieux de s'atteler à la tâche, plutôt que de faire des déclarations tous les jours."

La ministre de la Santé, la centriste Geneviève Darrieussecq, n'est pas en reste. "Il n'est pas question de toucher à l'Aide médicale d'Etat", a-t-elle lâché, ajoutant : "Je veux que tout le monde soit rassuré sur ce point-là." "On avait besoin d'un temps de rodage", plaide auprès de franceinfo Maud Bregeon, porte-parole du gouvernement. "Mais il faut qu'on accepte nos divergences et qu'on trouve des chemins de compromis. Personne n'a le luxe de l'hégémonie."

"Il n'a pas été choisi par hasard"

Bruno Retailleau semble tout de même bénéficier d'une position particulière au sein de l'équipe gouvernementale. Quand Pierre Cazeneuve, député EPR, monte mardi à la tribune de l'Assemblée pour rejeter la motion de censure déposée par la gauche, il n'hésite pas à souligner que le gouvernement comporte certains membres qu'il apprécie "un peu moins" que les autres. Sur le banc des ministres, Michel Barnier et Bruno Retailleau échangent un regard et un sourire complice. Interpellé sur le terrain par le député et ancien macroniste Sacha Houlié, le chef du gouvernement a d'ailleurs réaffirmé jeudi sa confiance en son ministre : "Tout ce qu'il fait, tout ce qu'il fera sera concerté dans cette équipe."

Le Premier ministre, Michel Barnier, et le ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau, le 2 octobre 2024, au Sénat, à Paris. (ISA HARSIN / SIPA)

L'entourage du Vendéen n'hésite pas à rappeler que toutes les interviews sont validées par Matignon. "J'ai entendu qu'il était extrêmement proche du Premier ministre, et qu'il avait une grosse propension à gagner ses arbitrages", glisse un conseiller ministériel. "Il n'a pas été choisi par hasard. Il est là pour mettre en œuvre la volonté du Premier ministre. Il est un peu la jambe droite de Michel Barnier", confirme le député LR Olivier Marleix. "Les Français nous ont demandé de prendre en compte leurs aspirations et 11 millions d'entre eux ont voté pour le RN aux législatives, pour moins d'immigration", assume l'entourage du ministre.

Les positions très droitières du sénateur ne sont pas dénuées d'intérêt pour un gouvernement en sursis permanent. "En mettant Bruno Retailleau à Beauvau, Michel Barnier rend la tâche plus difficile pour une censure du RN", observe un proche du ministre. Avec une coalition de seulement 211 députés, le "socle commun" est très loin de la majorité absolue à l'Assemblée et s'en remet à l'indulgence du Rassemblement national pour survivre. "Ils sont persuadés au gouvernement que la seule alternative, c'est que le RN s'abstienne, mais ils se trompent ! On est nombreux dans le groupe à garder des valeurs", prévient néanmoins un député EPR de l'aile gauche.

"On peut faire toutes les lois immigration qu'on veut, ça n'empêchera pas Marine Le Pen de voter la censure le jour où elle le voudra."

Une ministre de Michel Barnier

à franceinfo

Les responsables du RN ont en tout cas pour l'instant un regard bienveillant sur le nouveau ministre. "Quand on écoute Bruno Retailleau, on a l'impression que c'est un porte-parole du RN", commente sur BFMTV la députée lepéniste Laure Lavalette. Mais le parti d'extrême droite met le ministre au défi d'obtenir des résultats, sans vraiment y croire. "Je ne serais pas très étonnée qu'assez rapidement, il se dégage de ce fardeau, dont il fait semblant de dire qu'il l'a espéré toute son existence", glisse Marine Le Pen au Point, évoquant une possible démission de Bruno Retailleau.

Pour durer, le locataire de la place Beauvau va donc devoir obtenir assez vite des résultats, notamment en matière de sécurité. "Tout ne va pas se faire d'un coup de baguette magique", avait prévenu le ministre lors de la passation de pouvoirs avec Gérald Darmanin, tout en promettant de "rétablir l'ordre". La feuille de route de Bruno Retailleau est ambitieuse. Le projet de budget 2025 prévoit une hausse de près de 600 millions d'euros des crédits dédiés à la sécurité, mais une pause sur les effectifs, ce qui inquiète les syndicats de police. Si les actes du ministre ne suivent pas ses promesses, il pourrait vite se trouver fragilisé.

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