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Chat avec Clémentine Autain : "sortir de la Vè République par les urnes "

Elle est porte-parole de Jean-Luc Mélenchon dans la campagne présidentielle. Elle est aussi engagée dans les combats féministes. Clémentine Autain a répondu aux questions des internautes lors d'un chat mercredi 11 avril sur Francetv2012.
Article rédigé par Olivier Biffaud - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 14min
Clémentine Autain, porte-parole de Jean-Luc Mélenchon (KENZO TRIBOUILLARD / AFP)

Elle est porte-parole de Jean-Luc Mélenchon dans la campagne présidentielle. Elle est aussi engagée dans les combats féministes. Clémentine Autain a répondu aux questions des internautes lors d'un chat mercredi 11 avril sur Francetv2012.

Rosa L.
N'est-ce pas paradoxal de se présenter à l'élection présidentielle alors que c'est une institution que vous dénoncez ?

Clémentine Autain : En effet, nous voulons sortir de la Ve République et du présidentialisme. Pour y parvenir, il nous faut dégager une majorité politique. C'est pourquoi nous nous inscrivons dans le cadre de l'élection présidentielle telle qu'elle existe aujourd'hui.Le chemin des urnes nous semble opportun pour transformer l'ordre des choses existant, même si le débat d'idées et la confrontation sociale sont également déterminants. Quelle autre méthode, sinon ? Les armes ? Le grand soir ? Il nous semble que le travail de conviction et le bulletin de vote dans le cadre de la présidentielle sont aujourd'hui des vecteurs de la révolution citoyenne que nous appelons de nos voeux.


Léon
Comment imaginez-vous la 6e République ?

J'imagine d'abord ce processus constituant comme un moment de mobilisation populaire intense pour inventer les nouvelles règles démocratiques. Nous avons besoin d'un nouveau souffle. Dans cette nouvelle République, on en aura fini avec tous ces pouvoirs à un seul homme, le président, pour donner davantage de poids au Parlement. Nous nous doterons de nouveaux outils pour impliquer le plus grand nombre dans l'ensemble des décisions publiques. La proportionnelle sera favorisée, le non-cumul des mandats en nombre et dans le temps sera instauré, le statut de l'élu-e sera réalité, les assemblées participatives seront développées, le fonctionnement de la justice et des médias gagnera en indépendance, etc. Cette VIe République, c'est aussi l'occasion d'élargir le socle des droits. Jean-Luc Mélenchon, dans son discours à la Bastille le 18 mars dernier, a dessiné les contours d'une nouvelle Constitution qui permettrait de faire avancer l'émancipation humaine.

Max
Vous parlez de "nouveaux outils pour impliquer le plus grand nombre dans l'ensemble des décisions publiques". Pouvez-vous préciser ?

Je pense d'abord aux pouvoirs des salariés dans l'entreprise. Ils doivent augmenter substantiellement ! Par exemple, une entreprise ne devrait pas pouvoir délocaliser sans l'avis de ses salariés. Associer ceux et celles qui produisent les richesses au devenir de l'entreprise est un impératif. Cela suppose de combattre le pouvoir du capital, c'est-à-dire de rendre supérieur le poids des salariés sur celui des actionnaires. Les expériences de l'économie sociale et solidaire, comme les SCOP, sont des aiguillons utiles pour penser la démocratie dans l'entreprise. Je pense également au nécessaire développement des assemblées locales ou thématiques pour accompagner la décision publique. Ce sont, par exemple, les conseils de quartier, les conseils de la jeunesse... Les corps intermédiaires, si décriés par Nicolas Sarkozy, doivent pouvoir être davantage entendus, car la démocratie a besoin de ces échelons d'élaboration de critiques et propositions.


Ileana
Pouvez-vous expliquer simplement cet aspect central du programme du Front de Gauche : la planification écologique ?

L'idée, c'est que pour répondre au défi de la préservation de l'écosystème, nous devons anticiper un changement de modèle de développement. Sortir du productivisme et du consumérisme suppose de mettre le paquet sur le développement de la recherche, notamment en matière énergétique, et sur une réorientation de notre modèle industriel. Nos comportements sont également en jeu, ce qui suppose un grand travail d'éducation populaire pour modifier nos habitudes et nos pratiques. Ce basculement vers une société sobre et qui préserve l'environnement suppose des ruptures qui doivent être pensées dans le temps. D'où l'idée de planifier ces changements nécessaires pour que la planète survive et que nous vivions mieux.

Mush
Afin d'éviter le cumul des mandats dans le temps, ne faut-il pas permettre aux élus de se reconvertir ? Que proposez-vous pour cela ?

Le statut de l'élu-e ! Il faut permettre les allers-retours, et donc sécuriser les parcours, y compris des politiques. Pour avoir moi-même été élue sept ans à la Ville de Paris et fait le choix d'en partir - entre autres raisons pour ne pas passer ma vie entière à être élue -, je sais la difficulté à se reconvertir, même si nous sommes souvent loin des situations les plus précaires et préoccupantes ! Cette sécurité est nécessaire pour faire en sorte que nos représentants politiques ne soient pas si majoritairement recrutés parmi les fonctionnaires et les professions libérales. Mais c'est dans les têtes que cela doit changer aussi. L'idée du mandat à vie est dépassée. On peut être engagé toute sa vie, mais les formes de cet engagement peuvent varier.


Dejanire
Comment comptez-vous agir face à la pénurie de logements, notamment en Ile-de-France ?

Vous tombez bien, c'est l'un de nos sujets préférés... En effet, le logement est devenu un poids considérable dans le budget des Français. Il faut desserrer l'étau. Nous proposons de lutter contre la spéculation sur le foncier, d'encadrer les loyers pour qu'ils baissent et de produire 200 000 logements sociaux chaque année. La question du logement doit être une priorité si l'on veut lutter contre les inégalités sociales. Puisque vous parlez de l'Ile-de-France, j'ajoute que notre projet est le seul à porter l'idée d'un droit à la ville, c'est-à-dire de considérer la question du développement des territoires comme fondamentale. Nicolas Sarkozy aime les mégalopoles, qui concentrent les richesses au coeur de l'agglomération au détriment des périphéries, qui voient les services publics, l'offre de logement ou l'emploi partir.Nous, nous voulons un développement solidaire des territoires qui permette à toutes et tous d'accéder aux richesses qu'offre la ville.


Réjane
A partir de quel revenu individuel fait-on partie de la classe moyenne ?

A vrai dire, je ne sais pas très bien ce qu'est la classe moyenne... En outre, le revenu individuel doit être rapporté à ce que l'on possède éventuellement en héritage, au coût de son logement, aux dépenses pour les enfants s'il y en a. Le terme "classe" ne me paraît pas approprié... On fait partie du plus grand nombre quand on gagne, en gros, moins de 2 000 euros par mois. Ce que j'entends par classe moyenne, c'est l'idée qu'une grande partie de la population qui se sent incluse et qui gagne plus du smic a le sentiment d'être déclassée et non reconnue à sa juste place pendant que d'autres s'en mettent plein les poches. Ne séparons pas, en tout cas, le sort de ce grand nombre de celui de la masse des travailleurs pauvres et des précaires. Nous avons besoin de l'unité du peuple. C'est la condition de la transformation sociale. Or, trop souvent - et la droite en premier -, on voudrait opposer ceux qui ont un peu à ceux qui n'ont rien au lieu de regarder là où sont vraiment les richesses pour les rendre à ceux qui les produisent.

Nestor
Comment pouvez-vous penser que la résorption de la dette du pays n'est pas un problème prioritaire ? Merci pour l'explication.

Parce que la dette n'est pas en soi un problème. Tout dépend de ce à quoi elle sert et de là où elle vient. En l'occurrence, notre dette a servi à engraisser les plus riches et les marchés financiers, et non à relancer l'activité. Nous nous sommes mis dans les mains des marchés financiers. Regardez la Grèce : les plans de rigueur ont été imposés par la troïka (FMI, BCE, UE) au nom de la résorption de la dette, et le résultat, c'est le chaos.Les inégalités se sont creusées, le chômage a explosé, la récession est en marche... et la dette est passée de 120 % du PIB en 2009 à 170 % du PIB aujourd'hui ! Donc la réduction des dépenses publiques au nom de la résorption de la dette est l'arnaque du siècle. Ce qui importe, c'est que les banques centrales prêtent aux Etats au lieu de prêter aux banques privées à des taux défiant toute concurrence (1 %) pour qu'elles prêtent aux Etats à des taux très élevés. Ainsi, les marchés financiers s'engraissent sur le dos des peuples. Nous sommes les seuls à dire qu'il y a une vie en dehors de l'austérité. Or la rigueur fabrique la récession et le déficit. Nous sommes donc les meilleurs défenseurs des comptes publics ! Notre proposition, c'est de relancer l'activité par le partage des richesses et la transition écologique.


Louis-Rolland
Pour affronter le capital, pourquoi le Front de gauche envisage-t-il aussi peu de nationalisations ?

Je n'ai pas le sentiment qu'il y en a peu. Nous parlons de nationalisation des banques. Nous proposons la création de nombreux pôles publics, comme en matière de finance ou d'énergie.


Corentin
Chez Europe écologie-Les Verts, on parle de la légalisation et de vente contrôlée de cannabis, qu'en pensez-vous ?

C'est une question complexe. A titre personnel, je suis favorable à la dépénalisation du cannabis, mais pas à sa légalisation.


Alexandre Cariou
Dès 2001, vous vous affirmiez rouge et verte et refusiez de vous encarter au PC. Le mouvement que catalyse Jean-Luc Mélenchon est celui dont vous rêviez depuis 10 ans. Avez vous un pincement au cœur en pensant que vous pourriez être à sa place comme vous le souhaitiez en 2007 ?

En réalité, cela fait même plus de quinze ans que je me bats pour l'unité de la gauche de transformation sociale et écologique. Alors oui, j'ai une émotion immense quand je vois le Front de gauche grandir, séduire, enthousiasmer, compter. Nous sommes en route pour transformer la société. Si Jean-Luc Mélenchon fait une si belle campagne, c'est évidemment grâce à ses qualités intellectuelles et politiques, mais c'est aussi parce que nous avons travaillé depuis longtemps les convergences à même de faire advenir l'unité d'aujourd'hui.Je me sens très à l'aise à la place où je suis, et je trouve que nous avons un très bon candidat. La vie est longue...

Sugo
Que pensez-vous du concept de "vote utile" utilisé par le PS et l'UMP pour accentuer la bipolarisation de la campagne ?

Comme nous l'avons écrit en "une" du mensuel que je dirige, "Regards", le vote utile nous casse les urnes. Notre percée dans les intentions de vote qui nous place au coude-à-coude avec le FN, et sans doute devant lui, tord le cou à la peur d'un nouveau 21-avril. Il faut voter avec ses convictions pour battre la droite dans la durée. C'est ce que propose le Front de gauche avec son programme à même de modifier les conditions de vie du plus grand nombre. Voter Mélenchon, c'est donc très utile, car c'est une garantie pour que la gauche réussisse et que nous ne nous satisfaisions pas d'une molle alternance propice à la désespérance et au retour d'une droite qui pourrait être plus dure encore. La bipolarisation enferme la vie politique. Le Front de gauche, en s'invitant dans cette campagne, porte un enthousiasme et une espérance dont la gauche et notre pays ont tant besoin pour se projeter dans l'avenir.

Victor
Jean-Luc Mélenchon dit qu'il n'ira pas dans un gouvernement qu'il ne dirigerait pas lui-même. Et vous, vous accepteriez un ministère ? Soit d'ouverture, soit dans un gouvernement socialiste ?


Sophie
Si on vous proposait d'être ministre, vous souhaiteriez quel ministère ?

Je serais ravie d'être ministre d'un gouvernement dirigé par Jean-Luc Mélenchon. Nous n'avons pas encore discuté du portefeuille ministériel qui serait le mien, mais c'est promis, je lui en parle dès que je le vois...Pour le reste, la question n'est en rien personnelle, elle est politique. Pour que je sois ministre d'un gouvernement à majorité socialiste, il faudrait qu'un accord ait pu être scellé entre le Front de gauche et le Parti socialiste. Vous aurez remarqué que nous n'y sommes pas... Quand j'entends Jérôme Cahuzac nous expliquer que le programme de François Hollande est à prendre ou à laisser, voyez combien nous ne sommes pas rendus... Mais si un gouvernement de gauche augmente le smic, protège le droit à la retraite à 60 ans, titularise les 850 000 précaires des trois fonctions publiques, taxe le capital à la même hauteur que le travail, crée 14 tranches d'impôt sur le revenu pour mener à bien la révolution fiscale, régularise les travailleurs sans papiers, abroge Hadopi et toutes les Loppsi, ouvre le mariage et l'adoption aux couples de même sexe, je serais très fière d'en faire partie !

Patrick
En dehors de tout accord entre formations politiques, comment envisagez-vous personnellement votre avenir politique ?

Avec enthousiasme et détermination.

Sonia
Mélenchon cite volontiers Hugo. Et vous, quel est votre auteur favori ?

Je suis incapable de dire mon favori... Je cite souvent Gramsci, Jaurès, Rosa Luxembourg et André Gortz, mais en ce moment, je termine mes interventions en meeting par cette jolie phrase d'Oscar Wilde : "La sagesse, c'est d'avoir des rêves suffisamment grands pour ne pas les perdre de vue en les poursuivant".

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