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Christiane Taubira, la ministre que l'opposition adore détester

Pour ne pas avoir chanté "La Marseillaise" lors d'une commémoration, la ministre de la Justice est depuis quelques jours la cible privilégiée de la droite. Ce n'est pas la première fois...

Article rédigé par Vincent Daniel
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
La ministre de la Justice, Christiane Taubira, à la sortie du Conseil des ministres, à l'Elysée (Paris), le 16 avril 2014. (PATRICK KOVARIK / AFP)

"Taubira est une cible parfaite. On va bien se marrer...", prévenait un député UMP en mai 2012, quelques jours après l'élection de François Hollande, et la nomination de sa ministre de la Justice. Deux ans après, la prédiction semble toujours d'actualité. Pour ne pas avoir chanté La Marseillaise lors d'une commémoration, samedi 10 mai, et s'être défendue dimanche en disant avoir voulu écouter la soliste plutôt que de se prêter à un "karaoké d'estrade", la garde des Sceaux est une nouvelle fois la cible privilégiée de la droite, à quelques semaines du débat sur la réforme pénale à l'Assemblée.

"Originaire de Guyane, ayant adhéré dans sa jeunesse aux thèses indépendantistes, profondément de gauche", rappelle Le Monde, la ministre a "tôt constitué une cible évidente""La tête de Taubira a été demandée partout et en toutes circonstances", écrit L'Express.fr : après l'évasion de Redoine Faïd, au moment de l'affaire Cahuzac, lors de son affrontement avec Manuel Valls, alors ministre de l'Intérieur, au sujet de la réforme pénale... Difficile de recenser ici l'ensemble des polémiques suscitées par Christiane Taubira ou liées à la garde des Sceaux depuis son entrée au gouvernement. En voici une sélection, qui témoigne du déchaînement que les positions, actions, ou décisions de la ministre peuvent provoquer. 

Des critiques sur un supposé laxisme dès son arrivée

Les polémiques. Dès sa nomination à la tête de la Chancellerie, les polémiques s'emballent et le procès de Christiane Taubira commence. Six jours après sa prise de fonction place Vendôme, la ministre de la Justice fait sa première sortie publique : elle assiste à un tournoi de basket opposant des détenus à des gardiens de prison. Un détenu de la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne) en profite alors pour s'évader. "Première sortie de Mme Taubira : première évasion réussie", écrit alors un député UMP"François Hollande à peine élu, les délinquants profitent de l'angélisme et du laxisme de la gauche lors de la première visite" de la nouvelle garde des Sceaux, "consacrée aux prisonniers", poursuit-il. 

La réponse de Christiane Taubira. Soutenue par la gauche et le gouvernement, la ministre se contente d'une réponse sobre : "C'est mon action et mes résultats qui parleront pour moi. Je dis simplement que ça en dit davantage sur eux [ses détracteurs] que sur moi."

L'intox autour de drapeaux français brûlés

La polémique. Au cours de la même période, une phrase attribuée à la ministre de la Justice circule sur le web : "Brûler des drapeaux français, c'est un geste de liesse pardonnable." Ces propos polémiques, relayés sur Twitter, sur des blogs et par certains élus UMP, comme Lionnel Luca et Eric Ciotti, font référence à des drapeaux français qui auraient été brûlés le soir de la victoire de François Hollande. Problème : non seulement aucun drapeau n'a été brûlé le 6 mai, mais la garde des Sceaux n'a jamais tenu ces propos. 

La réponse de Christiane Taubira. La ministre ne réagit pas à la propagation de cette rumeur, se contentant de laisser les médias vérifier l'exactitude des faits.

Passe d'armes sur la politique pénale de la droite

La polémique. Au début du mois d'août 2012, une interview de la ministre de la Justice à Libération fait sortir l'UMP de ses gonds. Elle y pilonne la politique pénale menée par la droite et veut enterrer l'ère Sarkozy. Pour Christiane Taubira, la surpopulation carcérale "est directement lié[e] à la politique pénale menée ces dix dernières années par la droite". "La droite a fait croire à l'opinion publique qu'en enfermant de plus en plus, n'importe comment et pour n'importe quoi, on assurait sa sécurité", dit-elle aussi.

Le député UMP des Alpes-Maritimes Eric Ciotti dénonce alors une vision "passéiste et naïve de la justice", et redoute l'instauration d'une "impunité légale". De son coté, le FN perçoit "une sorte de fascination envers le délinquant et le criminel" chez Christiane Taubira.

La réponse de Christiane Taubira. La garde des Sceaux laisse d'abord passer la tempête avant de répondre, une semaine plus tard sur son blog. Sa plume est acerbe : "Ainsi, comme il était à prévoir, le bruit et la fureur se sont tassés. Jusqu’à la prochaine ? La prochaine quoi, au fait ? Leur prochaine panique", écrit la ministre. "Chaque fois qu’un acte mettra en lumière, de façon rigoureuse, l’impasse de leur politique passée, ils feront diversion par des cris et anathèmes. Ils ne supportent pas l’idée de notre efficacité", ajoute la ministre. 

La bataille du mariage pour tous

La polémique. Alors qu'elle porte le texte ouvrant le mariage et l'adoption aux couples homosexuels, Christiane Taubira cristallise la colère de l'opposition. Le 30 janvier 2013, après la publication par Le Figaro d'une circulaire signée par la ministre qui recommande d'accorder la nationalité française aux enfants nés "par procréation ou gestation pour le compte d'autrui" à l’étranger, l'UMP réclame, une nouvelle fois, la démission de Christiane Taubira.

Tout au long du débat, les échanges restent tendus entre une ministre déterminée et grandiloquente, et une opposition vent debout. L'emploi des expressions "triangle rose" et "triangle noir" [symboles utilisés par le régime nazi] par un député UMP provoque la colère de la ministre. Il est "inqualifiable de faire un mot d'esprit sur une expression pareille", juge Christiane Taubira, s'attirant applaudissements à gauche et protestations à droite. Le chef de file des députés UMP, Christian Jacob, lui lance : "Vous êtes indigne des responsabilités que vous exercez !"

La réponse de Christiane Taubira. La garde des Sceaux balaie fermement les accusations liées à la gestation pour autrui (GPA). "Ce gouvernement s'est déjà prononcé et confirme qu'il est absolument opposé à la GPA et qu'il ne l'ouvrira pas", martèle la ministre. En ne lâchant rien face à une opposition acharnée, Christiane Taubira a galvanisé son camp et fédéré les pro-mariage pour tous, faisant passer un texte de loi dont elle reste l'icône

Des accusations de népotisme

La polémique. L'affaire éclate en février 2014. Le Canard enchaîné affirme que Christiane Taubira a tenté "de virer le procureur général de Paris", François Falletti, réputé de droite. Dans une réponse adressée à la ministre de la Justice, le magistrat déplore d'ailleurs une "tentative d'éviction". Or, "la garde des Sceaux avait fait de l'indépendance de la justice l'axe central de sa politique", rappelle le Nouvel Obs pour qui Taubira est prise "la main dans le sac". 

"Cela s'appelle un scandale d'Etat", réagit Jean-François Copé. "Les masques sont en train de tomber. Madame Taubira apparaît sous son vrai jour, sectaire, politisée et manœuvrière", estime pour sa part le chef des files des députés UMP, Christian Jacob. "Si tout cela est confirmé, impossible que le président et le Premier ministre puissent garder la ministre de la Justice au gouvernement", dit-il.

La réponse de Christiane TaubiraLa Chancellerie a confirmé l'entrevue avec le procureur général de Paris. D'après le ministère, le poste de premier avocat général à la Cour de cassation étant vacant, il lui a été proposé. Face au refus du magistrat, la Chancellerie affirme qu'il restera procureur général et réfute toute intention de "le limoger ou de le contraindre à démissionner"

Interrogée à l'Assemblée à ce sujet, Christiane Taubira se défend d'avoir voulu muter pour des raisons politiques le procureur général de Paris, assurant qu'il avait été invité à un entretien "tout à fait classique" à la Chancellerie. Et elle charge l'opposition : "S'il y a une question sur les méthodes, ce ne sont certainement pas sur les miennes." 

Le cafouillage sur les écoutes de Sarkozy 

La polémique. C'est le scandale qui met Christiane Taubira dans l'œil du cyclone. En mars 2014, l'affaire des écoutes judiciaires visant Nicolas Sarkozy vire au cauchemar pour le gouvernement. Alors que la ministre de la Justice affirme à deux reprises avoir appris l'existence de ces enregistrements dans la presse, le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, reconnaît que la garde des Sceaux et lui-même en étaient informés depuis le 26 février.

Aussitôt, l'UMP s'engouffre dans la brèche et réclame la démission de la ministre de la Justice. "La garde des Sceaux a menti. Dans ce contexte, il n'est pas possible qu'elle reste en fonction. Sa démission face à ce mensonge est inéluctable", explique Jean-François Copé. 

La réponse de Christiane Taubira. Après avoir affirmé qu'elle n'était pas au courant des écoutes de l'ancien président de la République par la justice, Christiane Taubira reconnaît un "malentendu" sur la date. Pour appuyer son argumentaire, la ministre donne une conférence de presse le 12 mars. Brandissant des documents, elle assure : "Je n'ai pas et je n'ai toujours pas d'information concernant la date, la durée et le contenu des écoutes." Problème : les documents montrés par Christiane Taubira aux caméras la contredisent...

Finalement, le 17 mars  i-Télé et Le Nouvel Obs donnent raison à la ministre. Si la directrice de cabinet de la ministre de la Justice a bien été informée dès le 28 février, ce n'est pas le cas de Christiane Taubira. Cette dernière n'a été mise au courant que lors d'une réunion de crise au ministère quatre jours après la publication de l'article du Monde sur cette enquête visant l'ancien chef de l'Etat. 

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