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Quatre questions pour comprendre la colère des avocats

Depuis une semaine, les robes noires sont en grève contre la réforme du financement de l’aide juridictionnelle, portée par Christiane Taubira. Ils dénoncent "une taxation de la profession d'avocat". 

Article rédigé par Camille Adaoust
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Des avocats manifestent devant le palais de justice de Paris, vendredi 16 octobre 2015, contre la réforme du financement de l'aide juridictionnelle.  (MIGUEL MEDINA / AFP)

Après la grève des policiers, c’est au tour des avocats. Les robes noires sont en grève depuis la semaine dernière et le mouvement prend de l'ampleur puisqu'il est désormais suivi par 141 des 164 barreaux de France, a annoncé, lundi 19 octobre, le Conseil national des barreaux (CNB). 

En cause, la réforme de financement de l’aide juridictionnelle, votée à l’Assemblée jeudi 15 octobre et proposée par Christiane Taubira au sein du projet de budget de l'Etat pour 2016 (PDF). La profession appelle à la grève générale.

Qu'est-ce que l'aide juridictionnelle ? 

L'aide juridictionnelle permet aux personnes à faibles ressources de bénéficier des services d'un avocat commis d'office, dans le cadre de procédures civiles ou pénales. Les conseils de l'avocat sont ainsi gratuits pour le client, le juriste étant payé par l'Etat, selon des crédits d'une demi-heure, appelés UV. Pour un cas de divorce par consentement mutuel, par exemple, Le Monde explique que, s'il n'y a pas de complication, l'avocat sera rémunéré à hauteur de 30 UV, barème minimum pour ce cas, de 22,84 euros, soit un total de 685 euros. 

Quel est le contenu de la réforme de Christiane Taubira ? 

Un "système proche de l'implosion" : c'est ainsi que le rapport d'information décrit l'aide juridictionnelle. Le ministère de la Justice souligne, en effet, une hausse des demandes. Alors que 882 607 cas étaient traités par l'aide juridictionnelle en 2011, 915 563 personnes en ont bénéficié en 2012, 919 625 en 2013 et 896 786 en 2014, selon les dernières données disponibles. Si une légère baisse est perceptible, une nouvelle hausse est désormais attendue.

La réforme, entrée en vigueur jeudi 15 octobre, a, en effet, relevé le plafond de revenu pour bénéficier d'une aide juridictionnelle, passant de 941 euros à 1 000 euros pour une prise en charge totale, et de 1 184 à 1 500 euros pour une prise en charge partielle. Ce qui devrait ouvrir le dispositif à 100 000 nouveaux justiciables. "Plus de personnes pourront accéder à l'aide juridictionnelle et de nouveaux actes juridiques vont être pris en compte", explique à francetv info  Alisa Gribe Marquis, avocate au barreau de Paris.  

Pour tenter d'équilibrer le dispositif, la réforme de la ministre de la Justice, Christiane Taubira, prévoit également un financement supplémentaire du Conseil national des barreaux de 28 millions d'euros sur un total de 406 millions d’euros en 2016 et 38 millions en 2017 provenant des amendes annoncées au pénal. La garde des Sceaux souhaite aussi mettre à contribution les Caisses des règlements pécuniaires des avocats (Carpa) - des comptes sur lesquels transitent les règlements perçus par les avocats dans le cadre de leur activité et dont les intérêts financent l'aide juridictionnelle - à hauteur de 15 millions d’euros (5 millions en 2016 puis 10 millions d’euros en 2017). 

Pourquoi les avocats sont-ils mécontents ?

"Il est hors de question qu'une profession paye pour travailler. De plus, les caisses participent déjà largement au fonctionnement de l'aide juridictionnelle, à hauteur de 17 millions par an. Elles ne peuvent pas donner davantage", conteste Pascal Eydoux, président du Conseil national des barreaux, contacté par francetv info.

Pour Maitre Eolas, avocat au barreau de Paris, ce nouveau prélèvement serait logique, s'il finançait une augmentation de la rémunération des avocats. En effet, la rémunération par UV a bel et bien augmenté, en passant à 24,20 euros, mais les barèmes minimums d'UV par type de cas ont, eux aussi, été réévalués. "Selon un document interne à la Chancellerie ayant fuité, le nouveau barème reverrait à la baisse la rémunération de 19 des 28 types d'interventions des avocats", explique Le Monde, qui utilise de nouveau un cas de divorce par consentement mutuel avec les nouveaux barèmes. L'avocat serait alors payé... 617 euros. Soit, environ, 10% de moins qu'aujourd'hui. 

"Ca fait vingt ans qu'on dit que ce système n'est pas assez rémunérateur, souligne Maitre Eolas, contacté par francetv info. Les cabinets d'avocats perdent de l'argent sur ces dossiers. Ne pas participer à l'aide juridictionnelle ou fermer boutique, nous refusons cette alternative."

En plus du fond, c'est la forme même de l'adoption de cette réforme à l'Assemblée que les avocats contestent. Un vote "en catimini", souligne Le Figaro. "Tout ceci avait été annoncé à l’ordre comme étant un projet en cours, le vendredi 9 octobre. Quand les institutions ont demandé des précisions, ils ont vu que le vote était en fait déjà programmé ! On nous a consultés, mais les arrêtés étaient déjà signés", déplore Maitre Eolas. 

Quelles actions ont-ils entamé ? 

La profession a décidé de suspendre les désignations d'avocats au titre de l'aide juridictionnelle. Ce sont ainsi 141 des 164 barreaux de France qui ont suivi le mouvement de grève lundi 19 octobre. En attendant, les dossiers, notamment des comparutions immédiates, sont remis à plus tard, comme l'explique Maitre Eolas. "Les dossiers en cours sont renvoyés. On considère qu’on n'est pas en état de plaider", explique-t-il. Le mouvement a déjà provoqué des renvois dans de nombreux tribunaux. A Arras (Pas-de-Calais), "il faut trouver, sous les yeux parfois éberlués des victimes et des prévenus, de nouvelles dates d'audience. Sauf que le calendrier est plein jusqu'au mois de mai. Dans les dossiers de 'plaider-coupable', où la présence de l'avocat est indispensable, ce sont 30 à 40 affaires par jour qui sont reportées", détaille Europe 1

Un blocage dure déjà depuis le mardi 13 octobre. "Si rien ne bouge, la deuxième étape sera d’inviter les confrères à rester dans leurs cabinets et à ne plus fréquenter les palais de justice", prévient Pascal Eydoux, le président du Conseil national des barreaux (CNB). Et si le dialogue ne reprend toujours pas, il annonce que le CNB demandera aux présidents des caisses de ne plus gérer les fonds de l’aide juridictionnelle. Lundi, Paris appelait déjà à ne plus plaider. Certains barreaux ont également décidé de voter une grève totale, notamment à Laval (Mayenne), Annecy (Haute-Savoie) ou Rouen (Seine-Maritime).

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