Terrorisme : la déchéance de nationalité élargie à tous les Français ?
Jusqu'à présent, l'exécutif a exclu d'étendre la mesure à tous les Français, invoquant les principes du droit international. Mais le discours, au sein de la majorité, semble évoluer.
Déjà deux semaines que la déchéance de nationalité déchire les rangs de la gauche. Pour tenter de trouver un compromis, certains responsables socialistes ont évoqué, lundi 4 janvier, une possible extension du projet de réforme constitutionnelle à tous les Français.
Pourquoi cette proposition de certains ténors du PS ?
Une telle extension permettrait de faire taire les critiques des nombreux socialistes qui s'offusquent de l'inscription dans la Constitution d'une "rupture d'égalité" entre les binationaux – quelque 5% des Français – et le reste de la population.
Invité de l'émission "Territoires d’Infos" sur Public Sénat et Sud Radio, Bruno Le Roux a suggéré que la déchéance de nationalité puisse concerner tous les "Français qui tournent leurs armes contre l'Etat (...) qu'ils soient binationaux ou pas". Pour le secrétaire d'Etat au Parlement, Jean-Marie Le Guen, cette mesure reste "un élément qui est dans le débat".
"Il faut travailler dans l'esprit du président de la République, ce qui ne veut pas dire obligatoirement dans la lettre", a de son côté affirmé le premier secrétaire du PS Jean-Christophe Cambadélis. Sortant de son mutisme, le patron des socialistes a affirmé qu'il était possible de "continuer sur la déchéance de nationalité (...) mais, à ce moment-là, il faut qu'elle soit ouverte à l'ensemble des Français".
Quels problèmes juridiques pose-t-elle ?
Etendre la déchéance de nationalité à tous les Français, et pas seulement aux binationaux, risquerait de rendre apatrides les condamnés qui ne disposeraient pas d'une autre nationalité. Manuel Valls lui-même le rappelait sur sa page Facebook le 28 décembre : les "principes du droit international (...) interdisent de créer des situations d'apatridie."
La mesure, drastique, est-elle pour autant inapplicable ? "Cela reviendrait sur nos principes fondamentaux", commente Fabienne Jault-Seseke, professeure de droit privé à l'université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines. "La lutte contre l'apatridie motive une grande partie des articles du code civil", souligne-t-elle, contactée par francetv info.
La proposition ne convainc pas davantage Paul Lagarde, professeur émérite de l'université Paris I Panthéon-Sorbonne. "Créer des apatrides est proscrit par une règle de droit international – ou du moins une coutûme – qui prime sur le droit interne", explique-t-il à francetv info.
Une convention onusienne de 1961, signée par la France sans la ratifier, affirme en effet que "les Etats contractants ne priveront de leur nationalité aucun individu si cette privation doit le rendre apatride". Paul Lagarde reconnaît toutefois que si une telle extension de la déchéance de la nationalité venait à être inscrite dans la Constitution, ni les tribunaux ni même le Conseil constitutionnel ne pourraient invalider cette disposition.
En revanche, la France pourrait s'exposer à une condamnation devant la Cour européenne des droits de l'homme, dans le cas où un citoyen devenu apatride par déchéance de nationalité la saisissait. Enfin, la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) pourrait également avoir à se pencher sur la question, car un Français qui perd sa nationalité perd du même coup sa citoyenneté européenne.
Comment trouver une issue au débat ?
Etendre la déchéance de nationalité à tous les Français, y compris mononationaux, comporte donc de nombreux obstacles juridiques. Fabienne Jault-Seseke, créer une peine d'indignité nationale (qui ne porte pas atteinte au droit de la nationalité) permettrait de "sortir de ce débat la tête haute".
D'un point de vue purement juridique, Paul Lagarde remarque que si François Hollande tient à son projet initial (étendre la déchéance de nationalité aux binationaux nés français), la révision de la Constitution n'est pas nécessaire. Il suffirait par exemple d'élargir le champ d'application de l'article 23-7 du code civil, qui porte sur la notion – très proche – de perte de la nationalité. Cet article prévoit que "le Français qui se comporte en fait comme le national d'un pays étranger peut, s'il a la nationalité de ce pays, être déclaré, par décret après avis conforme du Conseil d'Etat, avoir perdu la qualité de Français". Sans faire de distinction entre les binationaux nés français et ceux ayant été naturalisés. Peut-être de quoi dépassionner le débat ?
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