"Je n'étais pas au courant" : la matinée tout en esquive de Gérard Collomb lors de son audition dans l'affaire Benalla
Premier protagoniste à passer sur le gril de la commission d'enquête sur l'affaire Benalla, le ministre de l'Intérieur a livré, lundi, une prestation floue et peu consistante.
Devant l'entrée de la salle 6242, où se réunit la commission des lois, une cinquantaine de journalistes jouent des coudes. Tous espèrent pouvoir assister, lundi 23 juillet, à 9h30, dans les sous-sols de l'Assemblée nationale, à l'audition très attendue du ministre de l'Intérieur, Gérard Collomb, premier protagoniste à répondre aux questions des parlementaires sur l'affaire Benalla.
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"C'est du jamais-vu !" s'amuse un employé du Palais Bourbon, peu habitué à voir une telle affluence s'intéresser aux activités de la commission des lois, qui s'est vue doter pour une durée d'un mois des prérogatives d'une commission d'enquête parlementaire. Une rumeur circule avant l'audition du ministre : celle-ci pourrait se tenir dans la salle Lamartine, bien plus spacieuse que la salle 6242. Mais la présidente de la commission, Yaël Braun-Pivet (LREM), s'y refuse.
Résultat, avant même le début de la séance, elle doit prier les députés qui ne sont pas membres de sa commission de faire de la place aux autres élus. Faute de place, les journalistes, eux, sont relégués devant des écrans hors de la salle. Gérard Collomb arrive, à 10 heures pétantes, sous les crépitements des photographes. Le ministre de l'Intérieur, que l'on dit sur la sellette depuis le début de l'affaire Benalla, affiche un grand sourire. "Je ne vous dirai pas que cette audition est un plaisir, mais je suis heureux d'être avec vous pour faire la lumière sur les événements du 1er-Mai", déclare-t-il en introduction.
"Je ne me suis plus occupé de ce sujet"
Pendant quinze minutes, le ministre déroule sa version. D'abord le contexte social tendu qui entourait ce 1er mai 2018. "C'était une période d'extrême tension", affirme-t-il, citant l'occupation de Tolbiac, l'expulsion de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, les appels de l'ultra-gauche à faire du 1er-Mai "une journée en enfer" pour les forces de l'ordre. Après quoi, Gérard Collomb aborde enfin le cœur du sujet : quand et comment a-t-il été informé de la présence d'Alexandre Benalla sur la place de la Contrescarpe, à Paris, où il a été filmé en train de violenter deux manifestants ?
L'information lui est parvenue le lendemain en début d'après-midi, assure-t-il, lors du point de situation qu'il tient quotidiennement avec son directeur de cabinet et son chef de cabinet. Il précise que ces derniers ont, en outre, informé le cabinet de la présidence de la République. Plus tard dans la soirée, Gérard Collomb apprend que l'Elysée "considère l'action de M. Benalla comme inacceptable et qu'une sanction va être prise". Le ministre décide alors de… ne rien faire. Une attitude qu'il assume devant les députés, tout en se défaussant sur l'Elysée et la préfecture de police :
Monsieur Benalla ne faisant pas partie des effectifs placés sous mon autorité, le cabinet du président de la République et la préfecture de police disposant de toutes les informations nécessaires pour agir, j’ai considéré que les faits signalés étaient pris en compte au niveau adapté. Et donc, je ne me suis plus occupé de ce sujet.
Gérard Collombdevant les députés
De toute évidence, Gérard Collomb a prévu de s'en tenir à sa déclaration liminaire. Les nombreuses questions qui lui sont ensuite posées par les députés ne permettent pas d'y voir plus clair. Etait-il informé qu'Alexandre Benalla avait reçu l'autorisation d'assister aux opérations de maintien de l'ordre ce jour-là ? "Je n'étais pas au courant", répond-il. Connaissait-il Alexandre Benalla ? La réponse est on ne peut plus floue : "J'avais déjà rencontré Monsieur Benalla lors des services d'ordre, mais personnellement, je ne le connaissais pas."
Je croyais même que c'était quelqu'un qui faisait partie des forces de police. J'ignorais sa qualité de conseiller du président.
Gérard Collombdevant les députés
Des réponses évasives
Interrogé sur la présence d'Alexandre Benalla, le 1er mai au soir lors d'une réunion à la préfecture de police, et lors de laquelle le ministre de l'Intérieur lui aurait fait une accolade, selon certains témoins, Gérard Collomb n'est guère plus convaincant. "Il y avait peut-être une quarantaine de personnes, donc il n'était pas directement en ma présence", botte-t-il en touche.
Quant à l'accolade, j'ai sans doute salué cette personne comme j'ai salué tout le monde. Je crois avoir salué l'ensemble des quarante personnes présentes. Je ne sais pas si c'est votre habitude, mais moi j'ai coutume d'être urbain.
Gérard Collombdevant les députés
L'audition tourne en rond. Les questions se répètent et les réponses imprécises se succèdent. À la sortie de l'audition, les députés de l'opposition, à l'unisson, s'en donnent à cœur-joie. "Beaucoup de questions restent sans réponse, tacle le centriste Jean-Christophe Lagarde. Gérard Collomb dit souvent qu'il n'est pas au courant, ce qui est inquiétant pour le fonctionnement du ministère de l'Intérieur." "Il a répondu de façon très évasive. Ce n'est pas digne de la démocratie", critique également le socialiste David Habib. "On est mieux informés par vous que par le ministre de l'Intérieur !" ironise Boris Vallaud, en s'adressant aux journalistes.
Les absences du ministre interrogent. A-t-il menti par omission pour sauver sa tête ou est-il à ce point peu informé de l'affaire Benalla ? "S'il dit vrai, c'est extrêmement grave", poursuit l'élu socialiste.
Ce serait la démonstration que le premier flic de France n'est pas bien informé.
Boris Vallaud
Une seconde audition dans les prochains jours ?
La question d'une éventuelle démission n'est pourtant pas évoquée. Marine Le Pen pense déjà au coup d'après : "Le ministre de l'Intérieur n'a rien vu, rien entendu, pour une raison bien simple. C'est que tout cela relève du cabinet du président de la République !" s'exclame la patronne frontiste.
Ce n'est pas de lui que nous aurons les réponses. C'est au président Macron de répondre désormais
Danièle Obono, députée de La France insoumiseà franceinfo
Même au sein de la majorité, on reconnaît à demi-mot que cette audition n'a pas tenu toutes ses promesses. "Nécessairement, il n'a pas répondu à tout, car tout n'est pas de son ressort", tempère la présidente LREM de la commission, Yaël Braun-Pivet. La députée MoDem Laurence Vichnievsky est elle ressortie de cette audition "un peu frustrée". "Après cette audition, nous aurons beaucoup de questions à poser au préfet de police", déclare l'ancienne juge d'instruction.
Après la pause déjeuner, le préfet de police, Michel Delpuech, s'est comme prévu soumis au même exercice que Gérard Collomb. Pendant plus de 2h30, ses réponses précises et sans langue de bois ont montré à quel point la séance du matin n'avait fait que survoler le sujet. Le corapporteur de la commission, Guillaume Larrivé (Les Républicains), a déjà prévenu : "Cette première audition du ministre de l'Intérieur sera sans doute suivie d'une seconde audition, après que nous aurons entendu d'autres personnalités." Gérard Collomb, qui doit également être entendu mardi au Sénat, n'en a pas encore fini avec l'affaire Benalla.
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