Appels au boycott des produits français : "La situation est très délétère, le passif commence à être très lourd", estime un chercheur
David Rigoulet-Roze, rédacteur en chef de la revue "Orients stratégiques" est revenu sur le bras de fer entre la France et la Turquie depuis quelques jours.
Le président turc Recep Tayyip Erdogan s'en est de nouveau pris dimanche 25 octobre à Emmanuel Macron, dont des récents propos sur l'islam, notamment les caricatures de Charlie Hebdo, ont suscité des critiques, des manifestations et même des appels au boycott des produits français dans le monde musulman. La France a appelé dimanche soir les gouvernements des pays concernés à faire "cesser" les appels au boycott de produits français. "La situation est très délétère, le passif commence à être très lourd", a expliqué lundi 26 octobre sur franceinfo David Rigoulet-Roze, rédacteur en chef de la revue Orients stratégiques, chercheur à l’Institut français d’analyse stratégique (IFAS) et chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS).
franceinfo : Est-ce qu'il y a une instrumentalisation de la part de la Turquie ?
David Rigoulet-Roze : C'est vraisemblable, d'ailleurs le Quai d'Orsay a évoqué une propagande haineuse contre la France en laissant entendre d'une certaine manière qu'il y avait une campagne orchestrée par les réseaux sociaux et un certain nombre de trolls [troller sur Internet, c’est agir ou tenir des propos dans le seul but de provoquer les autres] qui se sont développés et qui alimentent, enflamment la toile sur le sujet en question. Ce n'est pas tout à fait un hasard. Concernant les appels au boycott plus ou moins explicites puisqu'il y a un hashtag qui fait référence à boycottfranceproducts, il faut mentionner que cela concerne un petit nombre de pays, mais rien ne dit que cela ne peut pas prendre de l'ampleur. Cela renvoie à une obédience, une ligne politique qui renvoie à l'islam politique turque que le président Erdogan promeut. En l'occurrence, le cas du Qatar est significatif puisque c'est un allié très étroit d'Ankara sur cette ligne d'islam politique. Donc, ce n'est pas un hasard si le Qatar est en première ligne sur ces appels au boycott, même s'il faut noter que ce ne sont pas les Etats qui ont fait cet appel, c'est dans le cadre des réseaux sociaux.
Cela peut-il avoir un impact économique ?
Pour l'instant, l'impact est relativement limité puisque cela concerne un petit nombre de pays sur l'ensemble de la soixantaine de pays musulmans dans le monde. On peut noter que des pays comme l'Arabie saoudite ou les Emirats n'ont pas connu cette effervescence sur le réseau parce qu'ils sont en désaccord profond sur la question de l'islam politique avec Erdogan. Ils sont en situation de rivalité, de compétition avec lui. Derrière tout ça, il y a un problème sur le leadership, sur l'islam sunnite, qui dépasse très largement la simple question turque en l'occurrence.
Recep Tayyip Erdogan veut-il se poser en chef de file ?
Oui, il y a une forme d'opportunisme géopolitique de sa part. Il est confronté à des difficultés intérieures qui sont avérées aujourd'hui, notamment économiques, donc il y a une mobilisation à caractère islamo-nationaliste notamment à travers les communautés musulmanes en Europe, particulièrement en France. Il y a un enjeu sécuritaire pour la France, on le voit avec la perspective de la loi sur les séparatismes qu'il a stigmatisée parce que cela touche au noyau dur de cette question de l'islam politique dont il veut apparaître comme le porte-parole.
Le dialogue est-il rompu entre la France et la Turquie ?
On n'en est pas là, mais la situation est quand même très délétère, le passif commence à être très lourd. Fin 2019, il y a eu les critiques sur l'intervention turque dans le nord de la Syrie, l'ingérence turque en Libye, les tensions en Méditerranée orientale. Il y a une succession de dossiers qui s'accumulent et qui prennent plus d'ampleur avec la question de la structuration de l'islam français et celle des imams détachés.
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