Déplacement d'Emmanuel Macron en Serbie : "La France est dans une course-poursuite pour ne pas laisser la main aux Chinois"
Le géopoliticien Alexis Troude, spécialiste des Balkans, s'est exprimé lundi sur franceinfo à l'occasion du déplacement du président de la République en Serbie.
"La France a tout intérêt à investir en Serbie", estime Alexis Troude, un géopoliticien spécialiste des Balkans, lundi 15 juillet sur franceinfo, alors que le président de la République, Emmanuel Macron se rend en Serbie pour "renouer des relations distendues" entre les deux pays.
franceinfo : Les relations entre la France et la Serbie sont-elles compliquées aujourd'hui ?
Alexis Troude : Oui. On se souvient des commémorations du 11 novembre, où le président Macron avait invité 72 chefs d'État. Le président de la Serbie avait été placé au troisième rang, alors que le président de l'État autoproclamé du Kosovo était à côté de lui. En Serbie, cela avait été très mal vu par le peuple, qui est pourtant très francophile. Ce peuple se souvient des liens noués à l'époque de François Mitterrand. Et donc la population serbe attendait beaucoup de cette histoire très forte entre la France et la Serbie.
Ça veut dire quoi "renouer des liens distendus" ? Par quoi ça peut passer, hormis cette visite ?
Ça peut passer déjà par des liens culturels, qui ont toujours été très forts au XXe siècle. Ce soir, le président Macron va honorer un monument qui est unique au monde, un monument au cœur de Belgrade, sur lequel il y a la déclaration d'amour d'un peuple envers un autre : "Nous, Serbes, nous aimons la France comme elle nous a aimés", c'est-à-dire pendant la Première Guerre mondiale. La Serbie est un pays très francophile. Ce bâtiment a été abîmé quelques heures en décembre dernier et une journée au moment des débordements de 1999. Et tout de suite, les associations des anciens combattants ont dit que les relations franco-serbes étaient beaucoup trop fortes et beaucoup plus durables que ces péripéties. Cette amitié se voit tous les jours, dans la vie quotidienne, dans les lieux culturels, dans les pièces de théâtre en français à Belgrade. Il y a une véritable francophilie sur laquelle les autorités françaises peuvent surfer.
Emmanuel Macron va débarquer à Belgrade avec plusieurs représentants de grandes sociétés françaises. La France est dans une course-poursuite (...) pour ne pas laisser la main aux Chinois, en Serbie
Alexis Troudeà Franceinfo
Pourtant, on n'a pas l'impression que la France soit favorable à l'intégration de la Serbie dans l'Union européenne.
La Serbie officielle porte beaucoup d'espoir dans son intégration dans l'Union européenne, qui est à chaque fois reportée. Désormais, la date fixée est à 2028, pas avant. Le pays mène des négociations très fortes, pas à pas, sur des chapitres très techniques. Mais aucun dirigeant serbe ne pourra accepter à la fin des négociations la perte de sa province méridionale du Kosovo qui est prévue dans les négociations. Il y a donc un exercice d'équilibriste de la part de la Serbie, qui veut à la fois rentrer dans l'Union européenne mais également garder sa province méridionale.
Qu'est-ce qui bloque côté européen ?
Pour moi, les Européens ont une analyse dépassée, qui date des années 90, très droit-de-l'hommiste, qui est de vouloir absolument dire qu'il faut protéger les minorités albanaises du Kosovo. Or, ce que l'Union européenne ne voit pas, c'est qu'à force de reculer l'échéance, la Russie, la Chine, la Turquie ont fait un come-back saisissant et sont très présents à Belgrade. Si l'Union européenne, et notamment l'un de ses plus grands représentants, la France, ne met pas les bouchées doubles, la Serbie pourrait vraiment être happée par l'Est. Lorsque je disais cela il y a encore quelques années, tout le monde me riait au nez. Aujourd'hui, les autoroutes, les principales voies d'accès pour la mer Méditerranée en Serbie sont le fait des Chinois. Du point de vue de l'investissement, l'Europe est encore très bien placée. Et donc la France a très bien compris que si elle ne met pas les bouchées doubles, elle perdra la main. La Serbie est encore un petit pays de huit millions d'habitants qui n'a pas encore retrouvé son niveau économique d'avant les guerres, en 1989. Les Français ont alors tout intérêt à investir encore plus dans ce pays dans lequel ils sont déjà présents.
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