: Récit franceinfo "Personne ne sait rien, à part le grand mufti" : à l'heure d'un hypothétique remaniement, la macronie "nage dans les rumeurs"
"J'ai mis 20 euros sur la table." Devant son assiette de fruits rouges, ce ministre, dont beaucoup prédisent le départ, raconte avoir parié avec ses collaborateurs "qu'il n'y aurait pas de remaniement et que Borne resterait". A un mois des 100 jours fixés par Emmanuel Macron pour sortir de la crise des retraites, et après la dernière motion de censure sur le sujet rejetée, la majorité est en pleine ébullition. "Depuis une semaine, ça s'accélère, on nage dans les rumeurs, c'est classique", s'amuse un conseiller ministériel qui veut croire que son ministre n'est pas menacé. A l'écouter, ses collègues ne sont pas tous sereins. "Ça flippe entre conseillers ministériels. Tout le monde se demande s'il a des infos."
"La période est dure. C'est déstabilisant", lâche un ministre. "On a lancé des projets et on veut les voir aboutir", se lamente un autre. Ce dernier anticiperait presque la fin de son aventure au gouvernement : "Que ce soit avec moi ou sans moi, ce n'est pas très grave. J'ai eu une vie avant, j'en aurai une après."
Chez Renaissance, on piaffe aussi d'impatience. "Il n'y a rien qui bouge, c'est l'enfer. Tout est en stand-by", soupire une cheville ouvrière du parti présidentiel. Si toutes les hypothèses sont à l'heure actuelle sur la table, tant pour le casting que le calendrier, les soutiens du chef de l'Etat en conviennent tous : c'est lui qui a les cartes en main. Et il décidera seul.
"Il déteste les remaniements"
"La vérité, c'est que personne ne sait à part le grand mufti", confirme un des proches du président de la République. "Bien malin celui qui pense être dans la tête de Macron", rebondit une autre interlocutrice du chef de l'Etat. "Nous sommes tous des consultés, pas des conseillers. Personne ne le conseille. Il interroge, pioche et fait ensuite son alchimie mentale tout seul", renchérit un intime.
Certains tentent de mettre à distance les rumeurs... tout en discutant abondamment du sujet. "L'année dernière, on m'a envoyé quatre listes WhatsApp du nouveau gouvernement et aucune n'était la bonne", raconte un ponte de la majorité. Le locataire de l'Elysée n'aurait, selon lui, pas encore tranché la question du remaniement même s'"il est dans une période de consultations". De plus, rappelle-t-il, "le président a une capacité à étirer le temps, pour le meilleur comme pour le pire".
Ils sont nombreux à rappeler le côté procrastinateur d'Emmanuel Macron quand il s'agit de casting politique. "Il déteste les remaniements. Il a fonctionné sans ministre de l'Intérieur pendant quinze jours après le départ de Gérard Collomb, il a mis trois semaines à changer Jean Castex ou même trois mois à se séparer d'Edouard Philippe", énumère un ancien conseiller du pouvoir.
"Plus on en parle dans les médias, moins le président voudra faire un remaniement. Il n'a pas changé depuis 2017."
Un ex-conseiller du pouvoirà franceinfo
Résultat : les hypothèses émises sur le timing du remaniement sont très variées. Du "c'est imminent" à "pas avant les sénatoriales", prévues fin septembre, ou même après les européennes de 2024. D'autres n'y croient même pas. "Pourquoi voulez-vous à tout prix d'un remaniement ? Je n'y crois pas ! Puis est-ce que Borne a démérité ? Non, elle a fait la réforme des retraites et elle tient les 100 jours à présent", martèle un poids lourd de la majorité.
"Il faut un électrochoc"
La cheffe du gouvernement a des partisans au sein du gouvernement. "Changer de Premier ministre, c'est griller une cartouche. Surtout que le système n'est pas paralysé, on a passé 20 textes", vante un ministre en poste à Bercy. Et celui-ci de tresser des louanges à l'ancienne patronne de la RATP : "Je la trouve très forte. Elle est solide et respectée dans le collectif". Plus sobrement, un autre ministre assure qu'"il n'y a pas de problème Borne".
Plusieurs parlementaires vont dans le même sens. "Rien ne justifie aujourd'hui que l'on change de Premier ministre", appuie un cadre.
"J'ai beau chercher dans tous les recoins, je ne vois pas le mouton à 5 pattes."
Un cadre de la majorité parlementaireà franceinfo
Elisabeth Borne a détaillé, dans une interview au Figaro publiée mercredi, sa feuille de route pour les mois à venir comme pour conjurer les rumeurs de remaniement. "Ce n'est certainement pas dans mon ADN de baisser les bras", a-t-elle déclaré.
Mais la cheffe du gouvernement a aussi ses détracteurs, ceux qui estiment qu'elle a fait son temps à Matignon. Parmi eux, on trouve notamment des parlementaires qui ont en commun d'être des interlocuteurs réguliers du chef de l'Etat. "Borne a fait le boulot mais ça devient compliqué pour elle. Elle est essorée. Il faut un électrochoc", plaide l'un. "Je vois mal comment on arrive à incarner quelque chose de nouveau sans changer de Premier ministre", argumente un autre. "Je ne veux pas être méchante avec elle mais un jour, un Premier ministre doit partir, c'est de la politique", rebondit une dernière élue.
Celle-ci évoque d'ailleurs spontanément l'épisode "Pétain". Elisabeth Borne avait déclaré, lors d'une interview à Radio J, le 28 mai, que le Rassemblement national était l'"héritier" du chef du régime de Vichy. En Conseil des ministres, deux jours plus tard, Emmanuel Macron avait taclé sa cheffe de gouvernement, assurant qu'"il faut combattre l'extrême droite, mais on ne la combat pas avec les mots des années 1990 et des arguments moraux, ça ne marche plus". Certains y ont vu un recadrage – "si l'Elysée ne voulait pas que ses propos sortent, ça ne sortait pas" – comme lorsque le président avait repris sa Première ministre sur son engagement à ne plus utiliser le 49.3 hors textes budgétaires.
Les tensions entre les deux membres de l'exécutif sont un secret de Polichinelle. "Il n'y a qu'à voir sa gestuelle avec elle. Ils ne s'aiment pas et le président lui fait subir une forme de supplice chinois", rapporte un cadre de la majorité. Autre argument plaidant pour un départ de Borne : Alexis Kohler, le secrétaire général de l'Elysée, souvent surnommé "le deuxième cerveau d'Emmanuel Macron", "ne la supporte plus, il veut la changer", glisse un très proche du président.
"Le remaniement ne relancera pas le quinquennat"
Si Elisabeth Borne est remerciée, qui pour la remplacer ? C'est là que la foire aux noms commence, avec un défi impossible à relever : trouver une personnalité qui pourrait garantir au camp présidentiel suffisamment de voix à l'Assemblée pour avoir une majorité absolue. Une fois de plus, les regards se tournent vers Les Républicains. Renaissance doit réunir le 21 juin les cadres de la majorité parlementaire pour discuter d'une éventuelle alliance avec la droite. Sans surprise, la porte a été vite refermée par certains dirigeants de LR. "Les arrangements sur un coin de table, je n'y crois pas du tout, a taclé le patron du groupe à l'Assemblée nationale jeudi sur LCI, Olivier Marleix. Ce n'est pas nous qui allons monter sur le Titanic."
La majorité ne se montre pas plus convaincue. "Il n'y aura pas d'alliance avec les LR, ils n'existent plus, arrêtons de fantasmer sur un accord de coalition", supplie un ancien conseiller du pouvoir. Surtout, aucune personnalité de droite ne peut se targuer d'embarquer suffisamment de députés avec elle.
"Politiquement, je pense que personne ne fait basculer 40 députés LR vers nous."
Un ministreà France Télévisions
Il faudrait de surcroit affronter la colère de François Bayrou. Le patron du MoDem, allié historique d'Emmanuel Macron, s'oppose fermement à toute coalition avec la droite. "Je n'ai jamais été gêné par les ouvertures. Simplement, je suis hostile à un changement du centre de gravité", fait-il savoir à franceinfo.
Alors, à défaut de coalition, des noms virevoltent, dont la crédibilité demeure incertaine. En ce moment, "la tendance", pour reprendre les mots d'un macroniste, tourne autour de quatre noms : Julien Denormandie, l'ancien ministre de l'Agriculture, Richard Ferrand, l'ex-président de l'Assemblée nationale, Sébastien Lecornu, le ministre de la Défense, et Gérald Darmanin, le ministre de l'Intérieur. Mais aucun ne garantit de régler le problème de la majorité relative.
Le mystère autour de Matignon est bien plus épais que celui qui plane sur certaines autres têtes. De nombreux ministres de ce pléthorique gouvernement sont menacés par un éventuel remaniement. Dans le viseur des parlementaires de la majorité figurent des personnalités issues de la société civile qui n'ont pas su s'imposer dans l'opinion publique : Pap Ndiaye (Education nationale), François Braun (Santé), Jean-Christophe Combe (Solidarités)... Mais des anciens élus locaux seraient aussi sur la sellette, comme Christophe Béchu (Transition écologique) ou Olivier Klein (Logement).
"On a besoin de ministres politiques visibles, qui travaillent avec les parlementaires", martèle un député Renaissance. "Cependant, je ne me fixe pas sur la perspective du remaniement, que ce soit X ou Y, ça ne change rien pour moi", nuance-t-il aussitôt. Un avis partagé par cet ancien conseiller : "Le remaniement ne relancera pas le quinquennat, Emmanuel Macron pense que lui seul le peut."
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