A l'ouverture de son procès, le ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti dénonce "une infamie"
"Ce procès, à mes yeux, est d'abord un procès en illégitimité." Dès le premier jour d'audience, lundi 6 novembre, Eric Dupond-Moretti a dénoncé son renvoi devant la Cour de justice de la République (CJR). L'actuel garde des Sceaux, ancien ténor du barreau, est jugé pendant dix jours pour prise illégale d'intérêts. Il est soupçonné d'avoir usé de sa fonction de ministre de la Justice pour régler ses comptes avec quatre magistrats qu'il avait publiquement critiqués lorsqu'il était avocat.
"Pour moi et pour mes proches, ce procès est une infamie", a déclaré Eric Dupond-Moretti devant la Cour de justice de la République, composée de trois magistrats professionnels, six sénateurs et six députés de tous bords. Ces mots, tenus lors de son propos liminaire, ont résonné sous les ors et les riches ornements de la majestueuse salle d'audience de la cour d'appel de Paris. "Au procès en illégitimité, s'est ajouté le procès d'intention", a poursuivi le ministre de la Justice, qui estime avoir été ciblé dès sa "nomination" au gouvernement en juillet 2020.
"On a piétiné la présomption d'innocence. (...) On m'a déclaré la guerre."
Eric Dupond-Moretti, garde des Sceauxdevant la Cour de justice de la République
"J'ai été avocat pendant 36 ans, certains avocats m'ont reproché de ne plus l'être, certains magistrats de l'avoir été", a avancé Eric Dupond-Moretti, qui dit avoir été victime de "contre-vérités" et avoir reçu "des injures". Mais le garde des Sceaux a affirmé être prêt à en découdre avec ses détracteurs : "C'est bien sûr une épreuve, mais c'est aussi un grand soulagement, parce que je suis venu me défendre." Ainsi, il a annoncé son intention de se défendre "dignement", "complètement" et "fermement".
Marmonnements et grommellements
Dès son arrivée, en début d'après-midi, Eric Dupond-Moretti a adopté une mine grave, comme pour souligner le caractère historique et inédit du moment : pour la première fois, un ministre en exercice, qui plus est de la Justice, se retrouve jugé. Vêtu d'un costume sombre, un dossier volumineux sous le bras, il a déposé la liasse de documents, recouverte d'une pochette bleue, sur une table ornée d'une nappe de la même couleur, devant laquelle une chaise était positionnée. Conscient de tous les regards braqués sur lui, avant que l'audience ne commence, il est resté debout pendant de longues minutes, échangeant quelques mots avec ses trois avocats.
Habitué des prétoires, mais pas à la place du prévenu, l'ancien avocat a dû se déplacer à la barre pour venir décliner son identité. "Dupond-Moretti, né le 20 avril 1961", a-t-il marmonné. Puis il est retourné s'asseoir, pendant que le président de la cour, Dominique Pauthe, procédait à l'appel des témoins. Ces derniers ne sont pas moins de 23 et seront entendus dès mardi et jusqu'au 14 novembre. Parmi eux, le procureur François Molins, désormais retraité, l'ex-ministre Nicole Belloubet, présente dans la salle en ce premier jour d'audience, ou encore Jean Castex, l'ancien chef du gouvernement.
Après l'appel des témoins, Dominique Pauthe a procédé à la lecture du rapport sur les faits de prise illégale d'intérêts reprochés au garde des Sceaux. Au cours de ce long énoncé, Eric Dupond-Moretti, assis, a écouté et écrit de temps à autre sur un bloc-notes, son dossier ouvert sur la table. Tantôt les bras croisés, tantôt le nez dans ses notes, le ministre prévenu a hoché la tête et grommelé par moments.
Des magistrats juges et parties
Cette attitude, Eric Dupond-Moretti l'a conservée lorsque Rémy Heitz, procureur général près la Cour de cassation, représentant du ministère public à l'audience, a pris la parole pour exposer les "difficultés" posées par ce procès. Des "difficultés" pour les magistrats appelés à témoigner, "membres pour certains du ministère public dont la carrière dépend de celui-là même que vous devez juger". Mais aussi pour les "juges-parlementaires", qui sont amenés "à échanger régulièrement avec le garde des Sceaux".
"Nous devrons nous élever avec le souci permanent de la neutralité, de l'objectivité, en un mot de l'impartialité."
Rémy Heitz, procureurdevant la Cour de justice de la République
"Cette affaire est à la fois simple et complexe, elle est avant tout grave", a souligné Rémy Heitz, qui a rappelé que le ministre encourrait une peine de cinq années d'emprisonnement. "Il ne devra y avoir à l'issue qu'une victoire : celle de la vérité et celle de la justice", a-t-il souhaité, refusant que "ce procès ne soit transformé, au gré des prises de parole, en celui de la justice".
Une "mise en garde inutile", lui a répondu, d'un ton sec, Jacqueline Laffont, l'avocate d'Eric Dupond-Moretti. "Nous souhaitons que la justice qui sera rendue se fonde sur les faits et sur le droit", a-t-elle martelé avant la suspension de l'audience. "Il faut se prononcer sur des faits, mais avec des personnes que vous connaissez personnellement et intimement", a ajouté Jacqueline Laffont. L'avocate a dénoncé une "sorte de pré-réquisitoire" à la veille de l'interrogatoire de son client, prévu mardi dès 9 heures et très attendu. "Je répondrai à toutes les questions", a promis Eric Dupond-Moretti.
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