Que risque Eric Dupond-Moretti après ses bras d'honneur à l'Assemblée nationale ?
Des gestes qui ont provoqué indignation et colère sur les bancs de l'Assemblée nationale. Lors d'une séance consacrée à l'examen d'une proposition de loi du groupe Renaissance sur l'instauration d'une peine d'inéligibilité obligatoire contre des auteurs de violences, mardi 7 mars dans la soirée, le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti, a reconnu avoir adressé deux bras d'honneur en direction d'Olivier Marleix. A la tribune, le président du groupe Les Républicains (LR) à l'Assemblée venait de rappeler l'existence de plusieurs affaires judiciaires concernant des membres du camp présidentiel, dont une visant le garde des Sceaux.
Après ces mouvements d'humeur, le ministre a présenté des excuses, reconnaissant un "geste qui n'était pas adéquat" et qui n'était "pas adressé au député [Olivier] Marleix (...) mais à la présomption d'innocence" que le parlementaire aurait, selon lui, méprisé. Une intervention qui n'a pas fait retomber les protestations parmi les députés. "Dans n'importe quelle autre démocratie, la Première ministre [Elisabeth Borne] aurait exigé" la "démission" d'Eric Dupond-Moretti, a lancé le premier secrétaire du parti socialiste Olivier Faure, sur Twitter. "C'est à la Première ministre, maintenant, de prendre ses responsabilités", a également plaidé Marine Le Pen, la présidente du groupe Rassemblement national (RN) à l'Assemblée.
L'Assemblée nationale n'a "pas le pouvoir" de sanctionner un membre du gouvernement
Concrètement, que peut-il arriver au garde des Sceaux à la suite de ces bras d'honneur ? Bien que les faits se soient déroulés au sein de l'Assemblée nationale, il ne peut pas être sanctionné par la chambre basse du Parlement. "Ce n'est pas en mon pouvoir", a fait savoir mercredi sur franceinfo Yaël Braun-Pivet, présidente de l'Assemblée. Seuls les parlementaires peuvent être sanctionnés par cette institution, à l'image de Thomas Portes (La France insoumise), exclu de l'Assemblée 15 jours pour outrage après avoir posté sur Twitter, lors du débat sur la réforme des retraites, une photo sur laquelle il posait le pied sur un ballon à l'effigie du ministre du Travail Olivier Dussopt.
En décembre 2009, le député écologiste Noël Mamère avait été privé pendant un mois d'un quart de son indemnité parlementaire, également pour un bras d'honneur, a rappelé sur Twitter l'ancien ministre de la Justice Jean-Jacques Urvoas. De manière générale, des bras d'honneur adressés à un parlementaire peuvent constituer un délai d'outrage,"puni de 7 500 euros d'amende", expose l'article 433-5 du Code Pénal.
Des faits commis dans l'exercice des fonctions de ministre
Dans le cas du garde des Sceaux, la différence se situe au niveau du statut. "Eric Dupond-Moretti est ministre, les faits ont été commis dans l'exercice de ses fonctions", souligne Benjamin Fiorini, maître de conférence en droit privé et sciences criminelles à l'Université Paris 8. En France, la seule instance pouvant juger un membre du gouvernement pour "des actes accomplis dans l'exercice de [ses] fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment où ils ont été commis" est la Cour de justice de la République (CJR), détaille l'article 68-1 de la Constitution.
Pour qu'Eric Dupond-Moretti se retrouve devant ces juges, "il y a deux possibilités", énumère Benjamin Fiorini. "La première serait que la victime, en l'occurrence Olivier Marleix, porte plainte", expose-t-il. Si aucune plainte n'est déposée, "le procureur général près la Cour de cassation peut s'autosaisir, après avoir recueilli l'avis de la commission des requêtes [de la CJR], auprès de qui les plaintes sont normalement déposées", poursuit le maître de conférence. "A ma connaissance, si cela se produisait, ce serait inédit", précise-t-il toutefois.
En clair, à moins d'une plainte d'Olivier Marleix, il y a peu de chances qu'Eric Dupond-Moretti soit sanctionné pénalement. Pourquoi, dans ce cas, les députés Olivier Faure et Marine Le Pen en appellent-ils à Elisabeth Borne ? "Des sanctions peuvent être prises par la Première ministre, mais ce seraient alors des décisions politiques", explique Benjamin Fiorini.
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