RECIT FRANCEINFO. François Bayrou, l'échec d'un homme qui n'allait pas au bout de ses victoires
"Bayrou, il préfère avoir raison que gagner." Cette remarque lancée un jour par l'ancien ministre Jean-Louis Borloo, maintes fois reprise depuis, n’a pas vieilli. A 66 ans, le Béarnais, trois fois candidat à l’élection présidentielle, vient de quitter le gouvernement. Après un long passage à vide, il amorçait pourtant un retour spectaculaire. Certes, François Bayrou avait renoncé à son ambition élyséenne, mais il avait misé au bon moment sur le bon cheval : Emmanuel Macron. Et ça avait payé. Vingt ans après son passage au ministère de l’Education nationale, le maire de Pau (Pyrénées-Atlantiques) débarquait place Vendôme comme garde des Sceaux. Avec l’opportunité de mettre en place un projet qui lui est cher : la loi de moralisation de la vie publique.
Et puis, patatras ! L’affaire des assistants parlementaires du MoDem a éclaté. Le 9 juin, le parquet de Paris a ouvert une enquête préliminaire après le signalement à la justice effectué par un ex-collaborateur du MoDem, qui met en doute la réalité de son emploi comme assistant parlementaire auprès de l'ancien eurodéputé Jean-Luc Bennahmias. L’étau s'est resserré autour du patron du MoDem. Le 21 juin, quelques heures avant l’annonce du remaniement, François Bayrou a annoncé à l’AFP qu’il démissionnait. "Je vous aiderai de là où je serai", a-t-il déclaré, non sans émotion, à sa successeure, Nicole Belloubet. L’ancien ministre aura tenu 35 jours et entre dans le palmarès peu glorieux des ministres les plus éphémères de la Ve République. Ce dernier épisode est à l'image de la carrière de François Bayrou. Figure emblématique du paysage politique de ces trente dernières années, il n’a pourtant jamais réussi à aller au bout de ses victoires.
2002 : "Il a péché par cette envie permanente d'avoir un parti"
Sa mauvaise main remonte à 2002. François Bayrou a déjà un long parcours derrière lui. Ministre de l’Education nationale sous trois gouvernements de droite, député des Pyrénées-Atlantiques ou encore eurodéputé, le Béarnais est surtout président de l’UDF (Union pour la démocratie française). C’est à ce titre qu’il dépose sa première candidature à l’élection présidentielle. Mais, les débuts sont difficiles. "Pour lui, cette campagne prend l’allure d’un chemin de croix (...). La stratégie choisie par Bayrou s'est avérée inadaptée et peu lisible. Le Béarnais a fondu dans une même critique Chirac et Jospin, tout en affirmant rester ‘loyal’ envers son camp", écrit à l’époque La Dépêche.
Le candidat voit surtout (et déjà) lui échapper une partie de ses troupes. De nombreux élus UDF, emmenés par le député Philippe Douste-Blazy, affichent très tôt leur soutien à Jacques Chirac. Une affaire va pourtant relancer la candidature Bayrou et lui permettre d’obtenir 6,84% au premier tour, soit au-dessus des 5% promis par les sondages. A la mi-avril, François Bayrou se rend avec la maire UDF de Strasbourg, Fabienne Keller, dans une annexe de la mairie située dans un quartier défavorisé. Mais la visite tourne mal. Les vitres du bâtiment sont caillassées par des jeunes de la cité. Tout à coup, François Bayrou sent qu'on lui fouille les poches. C'est un garçon d'une dizaine d'années. Le candidat le gifle, sous l'œil des caméras. La lumière est de nouveau sur lui.
Pourtant, malgré un score plutôt honorable, François Bayrou ne parvient pas à retenir ses soutiens qui décident de rejoindre la toute nouvelle UMP (Union pour un mouvement populaire). Le député de Haute-Garonne et président du groupe UDF-Alliance à l’Assemblée nationale, Philippe Douste-Blazy, est à la manœuvre. "Je m’étais aperçu que Chirac devenait très européen et très décentralisateur. J’ai dit à mes amis qu’on n'arriverait pas à faire une CDU à la française seuls, raconte-t-il à franceinfo. J’ai alors vu Chirac et Juppé qui m’ont demandé : 'Peux-tu y arriver ?' Je leur ai dit : 'Bayrou n’acceptera jamais'."
Bayrou préfère être petit, mais être le patron, plutôt que de ne pas l’être.
L’UDF traverse alors une "crise importante" et vit une "période violente", juge Philippe Douste-Blazy qui "amène [avec lui] 95% des députés et des sénateurs" à l’UMP. François Bayrou négocie pourtant avec le camp Chirac et sauve 30 députés aux législatives. "Il a quand même survécu à une période très délicate pour lui", remarque Philippe Douste-Blazy, qui regrette que François Bayrou ne l’ait pas rejoint "avec Juppé". "Il a péché par cette envie permanente d’avoir un parti", glisse-t-il.
2007 : l'année de "sa grosse faute politique"
La présidentielle de 2002 passée, Bayrou se retrouve à la tête d’un parti profondément divisé. "Bayrou, c’est le fossoyeur de l’UDF, qui était le premier parti de France en nombre d’élus locaux et qui faisait jeu égal avec le RPR", tacle son ancien compagnon de route Hervé Morin. Mais celui que nombre d’interlocuteurs décrivent comme ayant "un ego démesuré" ne renonce pas à son destin élyséen. En 2007, François Bayrou pense que son heure est arrivée.
Dans cette campagne, Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal font figure de favoris. Mais la cote du Béarnais dans les sondages s'envole : il atteint un plafond à la mi-mars, à 23%, deux points seulement derrière la candidate socialiste. Certains instituts testent même un duel Bayrou-Sarkozy pour le second tour, comme le rappelle Le Monde, dans lequel il l'emporte sur le candidat de l'UMP. La chute n'en est que plus cruelle : le 22 avril 2007, François Bayrou est "le troisième homme", avec 18,57% des suffrages. Il ne peut plus prétendre qu'à jouer l'arbitre du second tour. Il affronte Ségolène Royal dans un débat inédit. La candidate socialiste lui propose même une alliance, mais elle trouve porte close, au sens propre et figuré : alors qu'elle vient en pleine nuit pour le rencontrer, le candidat refuse de la recevoir. Le centriste n'accepte pas la main tendue.
Ségolène Royal sourit aujourd'hui de cet épisode. Songeant au ralliement de François Bayrou à Emmanuel Macron en 2017, elle persifle : "Finalement, il a mis dix ans à réfléchir à ce que je lui avais proposé en 2007 !" Ségolène Royal était prête à lui promettre Matignon, contre l'avis des "éléphants" du PS. "Sa grosse faute politique, c'est 2007. Il est passé à côté, c'était sans doute trop innovant pour lui, il était dans les vieux codes. Et comme tous ces machos, ça devait le perturber d'être le numéro deux d'une femme."
Il a raté le coche à ce moment-là, alors qu'il aurait été en position de force à Matignon. Au moins, il aurait été Premier ministre une fois dans sa vie.
Jean-Paul Mattei, ancien suppléant aux législatives de François Bayrou, avance une explication : "Citez-moi des Premiers ministres qui sont devenus président ? Il y en a deux sous la Ve, et cela date." Une façon implicite de reconnaître la seule ambition de François Bayrou : l'Elysée. "Et puis l'alliance avec Ségolène Royal était compliquée sur le fond, le débat a montré leurs différences." L’ancien député européen UDF et nouveau député La République en marche Jean-Louis Bourlanges avance une autre explication : "Psychologiquement, François Bayrou se considérait comme quasiment élu. Il avait défié les lois de la pesanteur politique, il n'avait pas envie de se soumettre à Ségolène Royal, il était dans une logique de destin personnel." Quitte à tout perdre ? "Oui, en tout cas tous ses élus. Il était sous l'emprise d'une illusion volontariste."
François Bayrou ne donne pas de consigne de vote pour le second tour, refusant de s'arrimer à la gauche ou à la droite. Incompréhensible pour le gros de ses troupes. "Je découvre en entendant son discours d’entre-deux-tours qu’il n'appelle pas à voter Sarkozy. On était tous K.-O., souffle Hervé Morin. Les parlementaires étaient désemparés. Nous, entre Sarkozy et Royal, il n’y avait pas de doute. On est partis, mais on l’a fait dans la douleur et la peine."
Cette stratégie d'indépendance, Bayrou l'applique aussi aux législatives. C'est à ce moment-là que Jean-Louis Bourlanges, pourtant un de ses proches, rompt aussi avec lui : "C'est le message de Frédéric II, roi de Prusse, qui dit à ses troupes : 'Est-ce que vous pensez que vous êtes immortels ?' En fait, le choix de l'époque était entre une forme de suicide et le maintien d'une alliance électorale avec la droite." François Bayrou choisit la première option.
L'UDF se fracture à nouveau, la majorité des députés sortants le quittent pour le Nouveau centre d'Hervé Morin, et se font élire avec l'aide de l'UMP. Troisième homme de la présidentielle, François Bayrou ne sauve que trois sièges de députés à l'Assemblée, dont le sien : il a dilapidé son capital. Les élections intermédiaires seront toutes du même acabit. L'UDF change de nom, et devient le Mouvement démocrate (MoDem). En 2008, François Bayrou perd les municipales à Pau. En 2009, le MoDem fait moins bien que son ancêtre l'UDF aux élections européennes de 2004. Qu'à cela ne tienne : François Bayrou est à nouveau candidat à l'élection présidentielle de 2012.
2012 : “Il préférait rester droit dans ses bottes”
Etre président, François Bayrou y croit dur comme fer. "Pour lui, la distance qu’il lui restait à accomplir avant d’être président était plus petite que celle qu’il avait accomplie jusque-là. Or, les dernières marches sont les plus dures à grimper", avance un ancien proche du Béarnais. Mais, celui-ci s’accroche. "Il ne raisonne qu’à travers un prisme historique, il se sent investi d’une mission. Il a un côté messianique où il est très préoccupé de lui-même", juge très sévèrement un autre ex-soutien. Lors de l'élection présidentielle de 2012, François Bayrou espère enfin dépasser son statut de troisième homme.
Mais les Français ont tourné la page. Avec 9% des voix, il n'arrive qu'en cinquième position, derrière Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. Contrairement à 2007, le patron du MoDem ne veut pas, cette fois, ne pas choisir. A la surprise générale, il fait savoir, à trois jours du second tour, qu'il votera pour François Hollande. Une décision très mal vécue à droite.
Le 6 mai 2012, François Hollande l'emporte de façon assez serrée. François Bayrou, lui, ne sera pas payé en retour.
Il n’a rien négocié avec Hollande, il ne s’en est pas soucié.
Au PS, son cas fait débat. Certains plaident pour un geste en sa faveur. Mais s'il a donné son vote à François Hollande, le centriste refuse pour autant de se situer dans sa majorité et n'entreprend aucune démarche auprès du PS pour sauver son siège lors des législatives. Le PS investit finalement une candidate face à lui, et elle l'emporte dans une triangulaire. "Il n'est pas du style à monnayer quoi que ce soit, soutient son suppléant de l'époque, Jean-Paul Mattei. Il préférait rester droit dans ses bottes. C'est quelqu'un qui a un sens moral assez hors normes. C'est vraiment son trait de caractère, et c'est parfois critiqué. Il revendique de faire de la politique sans devoir faire de compromis."
Une façon positive de voir les choses. Ses anciens compagnons de route qui ont depuis rompu avec lui ont une autre vision. "Il ne transforme pas ses victoires et petit à petit, le pays s’en rend compte", juge un ex-proche.
2017 : remonter pour mieux chuter
En 2017, François Bayrou a-t-il pris conscience que son heure était passée ? En tout cas, le maire de Pau renonce à être candidat. Mais pas à jouer un rôle sur l'échiquier politique. Le 22 février, il propose à Emmanuel Macron une alliance, immédiatement acceptée par le candidat d'En marche !, dont la campagne connaît alors une baisse de régime. Cet apport se révèle décisif : conjugué aux déboires de François Fillon, il permet de faire remonter Emmanuel Macron dans les sondages.
Le 7 mai 2017, l'ancien ministre de l'Economie est élu président. Il nomme François Bayrou ministre d'Etat, garde des Sceaux. Sa mission : porter la loi de moralisation de la vie politique, thématique dont il s'est fait le chantre depuis le début de sa carrière. Au gouvernement siège également Marielle de Sarnez, sa plus proche collaboratrice. Et à l'Assemblée, l'accord électoral négocié - non sans difficulté - avec En marche ! permet au MoDem de renaître de ses cendres. Quarante-deux députés sont élus sous l'étiquette centriste. De quoi restaurer durablement le poids politique et les finances d'un parti qui n'avait que deux députés dans la mandature précédente.
Une réussite qui s'écroule brutalement. Trente-cinq jours après avoir été nommé au gouvernement, François Bayrou est contraint de démissionner en raison des affaires des assistants parlementaires des eurodéputés du MoDem. La fidèle Marielle de Sarnez quitte, elle aussi, le gouvernement. Reste le groupe à l'Assemblée.
Que penser de cette carrière en dents de scie, ou après avoir tutoyé les sommets, François Bayrou semble systématiquement dévisser ? Son suppléant de 2012, Jean-Paul Mattei, préfère voir le verre à moitié plein. "Il faut dissocier la personne des idées qu'il défend. Certes, il a connu une longue traversée du désert avec très peu d'élus. Mais au final, aujourd'hui, ses idées triomphent : dès 2002, il prônait la fin du clivage droite-gauche. Il est un des inventeurs du centrisme efficace, qui est au pouvoir aujourd'hui."
Ses idées ont gagné dans beaucoup de domaines.
Là encore, ceux qui ont rompu avec François Bayrou contestent cette analyse. "Dans la vie publique, pour arriver au sommet, il y a plusieurs conditions : il faut le vouloir, être prêt et que le paysage s’ouvre à vous. Tout ça est arrivé trop tard pour Bayrou", juge un ancien proche. Pourra-t-il un jour revenir sur le devant de la scène ? Vendredi 23 juin, le porte-parole du gouvernement, Christophe Castaner, ne lui a pas fermé la porte. "S’il est libéré de la pression du moment, Bayrou peut avoir une place au gouvernement", a-t-il déclaré sur LCI. Mais les portes de l’Elysée semblent s’être définitivement refermées pour le Béarnais.