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François Delapierre (FG) : "c'est plutôt à droite que Hollande trouvera des ralliements individuels"

Directeur de campagne de Jean-Luc Mélenchon dont il est proche de longue date, François Delapierre a participé à un "chat" sur Francetv2012, jeudi 19 avril. Face aux internautes, il a répondu aux ultimes questions sur la stratégie du Front de gauche.
Article rédigé par Catherine Rougerie
France Télévisions
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François Delapierre est candidat aux législatives sur la 10ème circonscription de l'Essonne. (AFP - Miguel Medina)

Directeur de campagne de Jean-Luc Mélenchon dont il est proche de longue date, François Delapierre a participé à un "chat" sur Francetv2012, jeudi 19 avril. Face aux internautes, il a répondu aux ultimes questions sur la stratégie du Front de gauche.

Nestor : La question de la crédibilité de M. Mélenchon se pose effectivement. Ne propose-t-il pas une politique qui a fait la preuve de son inefficacité entre 1981 et 1983 avec François Mitterrand ?

François Delapierre. Les politiques inefficaces sont celles qui se mènent sous nos yeux. Pas besoin de remonter si loin pour voir un pays en butte à des difficultés économiques : regardez la Grèce et l'état dans lequel elle se trouve après que les bons docteurs du FMI et de l'Union européenne lui ont administré leurs potions libérales.

Le Front de gauche a par ailleurs tiré les leçons des limites de la stratégie de la gauche en 1981. Nous avons notamment élaboré une batterie de mesures qui nous permettront de résister à la finance. La France a les moyens de rétablir sa souveraineté budgétaire et de faire plier les marchés.

Coline : Sans langue de bois, pouvez-vous citer une seule mesure crédible et réalisable du programme de Jean-Luc Mélenchon ?

Si nos mesures n'étaient pas réalisables, nous ne les proposerions pas.

Rigueur : Comment peut-on être crédibilité quand on est associé à une force politique, le Parti communiste, qui a été balayée de toute l'Europe depuis plus de 20 ans ?

Le Front de gauche est une alliance politique nouvelle. Elle tire les leçons des échecs du passé, ceux du communisme d'Etat, mais aussi ceux de la social-démocratie partout en déroute. Nous sommes les seuls à nous être ainsi remis en cause et ce sont nos concurrents et adversaires qui s'accrochent à des modèles dépassés.

Lapeur : Jean-Luc Mélenchon se réclame de quel genre de régime ? Plutôt Cuba ou plutôt la Corée du nord ?

Ce ne sont pas des modèles pour lui. Il ne se reconnaît pas dans ce type d'organisation de la société. Son projet pour la France est une VIe République démocratique qui n'a rien à voir avec ce qui se pratique dans ces pays.

Contrarié : Dans la 6e République, le chef de l'État ne sera plus élu au suffrage universel, n'est-ce pas. Quelle est donc la logique de la candidature de Jean-Luc Mélenchon ?

Jean-Luc Mélenchon propose d'être le dernier président de la Ve République. S'il est élu, il convoquera une assemblée constituante pour écrire le texte d'une nouvelle Constitution.

Ce n'est pas une méthode nouvelle. Dans notre pays, ce sont les plus souvent des assemblées élues à cet effet qui ont rédigé nos Constitutions, parfois adoptées ensuite par référendum. Par exemple la première Constitution ou celle adoptée à la Libération. C'est un grand débat qui permettra de refonder notre République. Ce sera alors aux citoyens de décider l'organisation précise des pouvoirs pour rétablir leur souveraineté.

Pour notre part, nous défendrons un régime dans lequel le Parlement aura la prééminence. Il faut en finir avec cette aberration démocratique qui voit le président de la République concentrer des pouvoirs exorbitants. Plusieurs pays ont un président élu au suffrage universel sans grand pouvoir : le Portugal ou Israël, par exemple. Dans d'autres, il est élu par le Parlement. Ce sera à la Constituante d'en décider.

Sylvain : Pourquoi cette haine récurrente de l'argent dans tous les discours de M. Mélenchon ? Rêvez-vous d'une société uniforme ?

Pour le Front de gauche, l'enrichissement sans limite ne doit pas être la norme morale de nos sociétés. Nous ne voulons pas une société uniforme, mais une société où chacun puisse vivre dignement et où les modèles donnés en exemple sont compatibles avec le bonheur de tous.

Les ultrariches sont un problème pour la société. Ils alimentent des circuits financiers qui déstabilisent nos pays. Ils véhiculent une morale du "profite et tais-toi" qui disloque notre République. Ils valorisent des modes de vie qui détruisent l'environnement. Pas de haine dans notre point de vue, mais la recherche, en toutes circonstances, de l'intérêt de tous.

Russkof : Sans les structures et l'appareil militant du PC, que serait Jean-Luc Mélenchon ?

Je ne sais pas, le Front de gauche est une construction qui dépend de tous. Le PCF y joue un rôle essentiel. Je me réjouis de son implication, comme de celle de tous ces citoyens qui trouvent pour la première fois un outil politique à leur main.

Liber : Selon plusieurs sondages, les jeunes préfèrent Marine Le Pen à Jean-Luc Mélenchon. Comment expliquez-vous ce choix ? Ne vous inquiète-t-il pas ?

Vous faites référence à une "une" du journal "Le Monde" qui est un pur bidonnage. Même la très timide Commission nationale des sondages s'en est émue et a obligé ce vénérable quotidien à un humiliant démenti.

Ladite enquête était en effet un récolement de plusieurs sondages publiés sur un mois. L'effectif concerné se monte à 200 jeunes ! C'est une honte de présenter cela comme une information et de le mettre à la "une" du journal. Dommage que le démenti n'ait pas figuré à cette même place.

Odile : Vous dites, par avance, que vous n'irez pas dans un gouvernement que ne dirigerait pas Jean-Luc Mélenchon. Est-ce ça la crédibilité ?

Oui. Quelle serait notre crédibilité si nous expliquions après le premier tour que nous nous sommes finalement accordés avec François Hollande en mélangeant nos deux programmes ? Sortir des traités européens ou les respecter. Augmenter le smic ou rassurer les marchés. Il faut choisir. Nous n'avons pas fait les mêmes choix, et dans un gouvernement, il faut de la cohérence.

Fusible : Vous sentez-vous plus proche de la gauche de François Hollande ou de celle du couple Arthaud-Poutou ?

C'est une bonne question...

Nous partageons avec Poutou et Arthaud la conviction que le capitalisme est une impasse. Je vous avoue que la méthode qu'ils proposent pour en sortir reste mystérieuse à mes yeux.

Nous partageons avec François Hollande la volonté de construire une majorité par les urnes, mais ce ne serait clairement pas pour faire la même politique !

Notre stratégie est celle d'une révolution par les urnes. Nous sommes prêts à gouverner pour sortir de ce système, comme cela se fait en Amérique latine par exemple, avec les pays de la révolution citoyenne.

Cécile J : Comment pouvez-vous affirmer que "personne" au Front de gauche n'ira dans un gouvernement de gauche de M. Hollande alors que les dirigeants du PC n'ont que ça en tête, comme en 1981 ?

Ce que vous dites des dirigeants PCF n'est pas vrai. Ils ont clairement exclu de participer à un gouvernement qui irait contre leurs convictions. Nous ne sommes pas en 1981. A l'époque, il y avait des différences de degré entre les programmes du PCF et du PS. Et même un programme commun, souvenez-vous-en. Aujourd'hui, hélas, les divergences sont d'une autre ampleur.

Marion : Existe-t-il quelques mesures du programme de M. Hollande qui trouvent grâce aux yeux de M. Mélenchon ?

La création de 60.000 postes dans l'éducation nationale. En revanche, l'idée qu'on pourrait les compenser par des coupes dans les autres services publics me paraît folle.

Jérémy : Faut-il maintenir la compétence des régions en matière de formation professionnelle ? Et comment mieux organiser ce secteur pour répondre aux besoins de qualification ?

Il faut aller vers un service public de la formation professionnelle. D'abord parce qu'il faut accompagner la mutation de notre économie vers un modèle écologiquement soutenable. Cela représente des métiers nouveaux, mais aussi la prise en compte des exigences environnementales dans tous les secteurs de la production et des services.

Seul un appareil de formation puissant, cohérent, donc piloté nationalement peut le faire. Ensuite, il faut aussi assurer l'égalité d'accès de tous à la formation professionnelle, qui doit être un droit effectif. Pour l'instant, seule une minorité, la plus diplômée, en bénéficie.

Cela n'est pas contradictoire avec un rôle des régions, mais les objectifs et les moyens doivent être définis et garantis nationalement.

Lisa : Si Jean-Luc Mélenchon est élu, et que les taux auxquels la France emprunte augmentent, que fera le Front de gauche pour payer notamment les fonctionnaires ?

Si la Banque centrale continue de refuser de prêter aux Etats au taux qu'elle accorde actuellement aux banques (1 %), nous obligerons les banques opérant en France à détenir une certaine proportion de titres de dette française. C'est ce qu'on appelle un emprunt forcé. Les banques se retourneront ensuite vers la BCE pour se refinancer.

Nous ne sommes pas sans armes face au système bancaire. Sans avoir besoin de leur rappeler que c'est l'Etat qui garantit les comptes des banques.

Louise : Que proposez-vous pour remédier à la désertification médicale?

Il faut définir la carte de santé par rapport aux besoins sanitaires, et non plus aux logiques d'économies qui dominent actuellement. Chaque bassin de population disposera de services médicaux garantis. Et chaque habitant pourra accéder en un temps minimum défini aux équipements d'urgence.

Cette nouvelle carte sanitaire conduira à annuler les fermetures d'établissements et de services. La tarification à l'activité sera abrogée, ainsi que la loi Bachelot, pour garantir l'équilibre financier de tous les établissements, même lorsque leur volume d'activité sera plus faible.

Gérard : Comment améliorer l'accès aux soins, la prise en charge des malades notamment dans tous les services d'urgence des hôpitaux de France ?

Les services d'urgence sont désavantagés par le système de la tarification à l'activité. C'est une conséquence de la concurrence qui règne entre établissements publics et privés. Les établissements privés trustent les actes rentables et le public, notamment dans les urgences, prend en charge ce qui ne l'est pas. Les urgences souffrent donc de sous-financement, d'insuffisance de personnel et de moyens en général.

Par ailleurs, elles accueillent tous ceux qui ne trouvent pas de médecin conventionné près de chez eux. Il faut aussi les désengorger en augmentant le nombre de médecins et en supprimant progressivement les dépassements d'honoraires.

Marie : Comment interrompre l'effondrement des filières industrielles et comment les relancer ?

Ce sera l'un des objectifs de la planification écologique. Celle-ci comporte notamment un volet de relocalisation des activités pour limiter les déplacements de marchandises, producteurs de gaz à effet de serre. Filière par filière, nous réimplanterons des activités qui ont été délocalisées sous la pression des actionnaires.

Bien sûr, cela implique que la finance ne fasse plus la loi dans les entreprises. C'est ce que permettront notamment le droit de veto des salariés sur les décisions stratégiques, le droit de reprise en coopérative des entreprises cédées, voire la réquisition dans les secteurs stratégiques. Ensuite, des visas écologiques et sociaux aux frontières en finiront avec ce libre-échange destructeur.

Enfin, un pôle financier public mobilisera des crédits aux services des projets d'investissements créateurs d'emplois et écologiquement soutenables. La sauvegarde et le développement de notre industrie dépendent d'abord de notre capacité à définanciariser l'économie.

Marc : Quel score vise le Front de gauche ? Pensez-vous réellement pouvoir être au second tour ? N'est-ce pas un peu de la méthode Coué et une manière d'entretenir la mobilisation ?

Depuis le début, nous voulons être majoritaires. A 3 %, cela faisait sourire ; à 17 %, nous sommes devenus la terreur de Mme Parisot. Vous devriez prendre au sérieux cette panique qui saisit les puissants. Elle vaut bien des sondages. Eux, comme nous, sentent que le moment est exceptionnel. Le capital est dans une crise historique. Partout dans le monde, les évidences sont en train de craquer.

Nous sommes convaincus que notre heure viendra rapidement. Cette élection présidentielle montre bien que nous ne sommes pas dans une phase tranquille de notre histoire. 120 000 personnes à la Bastille à un mois d'une élection, cela ne s'est jamais vu sous la Ve République. C'est au-delà d'un fait électoral, le surgissement du peuple qui réclame de se mêler de ses affaires. C'est cela qui nous donne notre confiance.

Sandrine : Les communistes sont historiquement pro-nucléaires. Pas ceux du parti de gauche. La proposition d'un référendum apparait donc vraiment comme un cache misère. Sur un domaine aussi crucial, n'êtes-vous pas capable d'affirmer une perspective claire ?

Ne réduisez pas cette question à des histoires entre partis. Elle est trop sérieuse pour cela.

Le choix de sortir ou non du nucléaire engage notre pays pour plusieurs générations. Il doit tenir compte des risques considérables liés à la technologie nucléaire et de la place tout aussi considérable qu'elle occupe dans notre mix énergétique. Qui mieux que le peuple peut prendre une telle décision ?

Il faut retirer le nucléaire des mains des marchands et des technocrates. C'est d'ailleurs ce que défendait Eva Joly avec beaucoup d'éloquence dans une tribune dont je vous recommande la lecture.

Lolo : Quels sont les points de désaccord avec le Parti socialiste à ce jour qui vous empêchent d'envisager un contrat de gouvernement ?

François Hollande nous dit qu'il faut rassurer les marchés avant toute chose. Il croit possible de mener deux années de rigueur suivies de trois années de relance.

Notre stratégie est inverse. Nous voulons sortir de la crise en relançant l'activité, ce qui implique d'affronter la finance. Pour lui, c'est la finance d'abord ; pour nous, le peuple d'abord. Cette divergence fondamentale de stratégie se retrouve à plusieurs niveaux de nos programmes.

Il est pour respecter les traités européens, pas nous. Il pense que le moment ne permet pas d'augmenter significativement les salaires, nous avons la conviction inverse.

Valérie : Sommes-nous sûrs aujourd'hui qu'aucun membre du Front de gauche n'irait au gouvernement "Hollande", si, par malheur, il passait quand même ?

Je ne vois vraiment pas qui, au Front de gauche, prendrait une telle décision. C'est plutôt à droite que François Hollande trouvera des ralliements individuels, d'après ce que j'observe.

Présidentielle 2012. Ce chat avec François Delapierre est maintenant terminé. Merci de l'avoir suivi et d'y avoir participé. Rendez-vous pour un prochain chat dans l'entre deux tours.

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