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Yves Jeuland, réalisateur du documentaire "Un temps de président" : "L'Elysée n'a pas eu droit de regard sur le film"

Le film sur les coulisses du palais présidentiel sera diffusé lundi 28 septembre sur France 3. Francetv info a rencontré son réalisateur.

Article rédigé par Anne Brigaudeau
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
François Hollande filmé dans le cadre du documentaire d'Yves Jeuland, "A l'Elysée, un temps de président", diffusé sur France 3 le 28 septembre. (YVES JEULAND / FRANCE 3)

Peu de baisers volés, quelques portes fermées. Pour son documentaire A l'Elysée, un temps de président, qui sera diffusé lundi 28 septembre sur France 3, Yves Jeuland a filmé, du 15 août au 6 septembre 2014, puis de novembre 2014 à janvier 2015, la vie quotidienne dans le palais présidentiel. Allées et venues des conseillers, chorégraphies des huissiers, montée ou descente des drapeaux... Tout un ballet qui s'accélère lors du remaniement aboutissant au gouvernement Valls 2, en août 2014, ou lors de la semaine sanglante des attentats parisiens, en janvier 2015.

La caméra d'Yves Jeuland surprend aussi, au passage, quelques conversations détonantes. Telle celle entre le président de la République et la toute nouvelle ministre de la Culture, Fleur Pellerin : François Hollande lui suggère d'appeler "Jack" (Lang), qui a toujours "des idées" pour le poste... Ou celle entre le secrétaire général de l'Elysée, Jean-Pierre Jouyet, et Emmanuel Macron, tout juste nommé ministre de l'Economie et de l'Industrie. Il le félicite en une envolée lyrique : "C'est quand même exaltant, à cet âge-là, d'avoir en charge l'économie, les entreprises, l'industrie (...)  le numérique, tout ce que j'aurais aimé faire !" Francetv info a interrogé le réalisateur sur les défis de ce tournage.

Francetv info. Comment avez-vous obtenu l'autorisation de filmer à l'Elysée ? 

Yves Jeuland : J'en ai discuté avec le président de la République, François Hollande, le secrétaire général de l'Elysée, Jean-Pierre Jouyet, et le conseiller en communication présidentielle, Gaspard Gantzer. Je leur ai dit que je ne les trahirais pas, qu'il n'y aurait pas d'images volées, mais que, en échange, je tenais à ma liberté. Ils n'auraient pas de droit de regard sur le résultat final. D'ailleurs, ils n'ont découvert le film qu'une fois terminé. Il a fallu trouver le bon équilibre entre la confiance nécessaire de leur part et la distance à garder, de ma part. On s'adapte. Tourner seul a été un élément important entre le filmeur (moi) et le filmé. J'ai su me faire le plus discret possible.

Etes-vous satisfait des séquences où vous filmez François Hollande, à l'Elysée, mais aussi à l'extérieur, où vous l'avez parfois suivi ?

Oui, car j'ai été servi au-delà de ce que j'espérais : il est difficile de filmer le pouvoir à ce niveau-là. Je n'ai pas essayé de faire rentrer des images dans des cadres prédéfinis. L'idée était assez large : filmer le président de la République à l'épreuve du pouvoir et le pouvoir à l'épreuve du temps. Le temps, c'est la durée, le tempo, mais aussi la météo. Cela, je ne le savais pas !

Je me suis dit : "L'important, c'est ce qui va m'échapper." Et j'ai eu des surprises ! Quand je le filme avec la garde républicaine à la caserne des Célestins, à Paris, je sais que les présidents François Mitterrand ou Jacques Chirac y sont allés avant François Hollande, qu'il va y avoir des chevaux, des scènes cinématographiques. Ce que je ne sais pas, c'est que François Hollande va y apprendre la libération de l'otage Serge Lazarevic au Sahel et que je vais le filmer à ce moment-là. Pareil lors de la visite présidentielle à Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) mardi 2 septembre 2014. J'avais évidemment en tête la mort de Zyed et Bouna [morts électrocutés sur un site EDF après avoir voulu fuir un contrôle de police]. Mais ce que je ne savais pas, c'est que le chef de l'Etat apprendrait pendant le trajet la sortie du livre de son ancienne compagne, Valérie Trierweiler, Merci pour ce moment. Et je vais filmer ce moment-là. Ses regards, ses silences. 

Votre film manque de femmes. Il y en a si peu, à l'Elysée ?

Il y a quelques femmes autour du président, et notamment Sylvie Hubac [directrice du cabinet du président de la République jusqu'au 5 janvier 2015], la conseillère économique du président Laurence Boone, la conseillère à la culture Audrey Azoulay, la directrice adjointe du cabinet du président de la République [depuis le 5 janvier 2015] Constance Rivière. Mais ce ne sont pas elles qu'on entend le plus. Comme dans Le Président, mon film sur Georges Frêche [l'ancien maire PS de Montpellier et président de la région Languedoc-Roussillon, décédé en 2010], il s'agit vraiment d'un monde d'hommes. Mon film est le reflet de la réalité. 

En dehors du président de la République, il y a deux personnalités qui sont assez présentes, le secrétaire général à l'Elysée, Jean-Pierre Jouyet, et le conseiller de François Hollande à la communication, Gaspard Gantzer. Pourquoi ce choix ? 

J'ai choisi deux proches de François Hollande très différents, et de deux générations différentes. L'un a 60 ans, l'autre est trentenaire. Jean-Pierre Jouyet apparaît plusieurs fois, quand il félicite Emmanuel Macron de sa nomination, quand il lit Paris-Match avec Valérie Trierweiler en couverture, quand il tient absolument à réécrire le discours d'hommage présidentiel à l'académicien Jean d'Ormesson. Il intervient beaucoup. Jean-Pierre Jouyet est un personnage tendre, très correctif, très affectif. Gaspard Gantzer est le principal conseiller du président et c'est un conseiller en communication. Il est filmé quand il s'entretient avec les journalistes.

Dans une des scènes du documentaire, on voit une journaliste répéter mot à mot les éléments de langage donnés par Gaspard Gantzer. C'est une dénonciation ?

Non, je ne suis pas dans la dénonciation. J'indique mon point de vue au spectateur par le cadre choisi, l'image, mais je n'aime pas que ce point de vue soit surligné à outrance. J'avais déjà filmé la place prise par les communicants dans un de mes précédents documentaires, Les Gens du Monde. J'étais alors du côté des journalistes. Dans Un temps de président, j'ai voulu retourner la caméra, filmer la scène du côté du pouvoir politique.

Cela m'a permis de montrer comment le temps médiatique accélère le temps politique. Le tweet a supplanté la dépêche AFP. Je pense que les chaînes d'information en continu ne font pas beaucoup de bien à la politique. Il n'y a qu'un seul endroit où le temps semble s'être arrêté : dans le bureau du président.

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