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Marine Le Pen est-elle vraiment "prête à gouverner" ?

Article rédigé par Bastien Hugues
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
La présidente du Front national, Marine Le Pen, lors d'un meeting à Brachay (Haute-Marne), le 30 août 2014. (MAXPPP)

La présidente du FN, qui réclame une dissolution de l'Assemblée nationale, se dit "prête à gouverner". Mais est-ce vraiment le cas ? 

Le contexte politique la pousse à accélérer. Face à l'impopularité record de François Hollande – jamais les Français n'avaient fait aussi peu confiance à un président de la République, selon l'institut TNS Sofres –, la présidente du Front national, Marine Le Pen, réclame la dissolution de l'Assemblée nationale, et claironne qu'elle et son parti sont désormais "prêts à gouverner". Mais est-ce vraiment le cas ?

Recruter des cadres : lentement mais sûrement

Depuis son accession à la tête du Front national, en janvier 2011, Marine Le Pen a décidé de tout faire, on le sait, pour "dédiaboliser" son parti. A ses yeux, cette entreprise nécessite d'abord de s'entourer des bonnes personnes. Après avoir éloigné plusieurs cadres historiques, jugés trop sulfureux ou trop gênants, la patronne du parti a lancé une opération de recrutement assez atypique pour le FN.

Alors que Le Pen père n'a eu de cesse de dénoncer, tout au long de sa carrière, les élites intellectuelles et politiques, Le Pen fille s'est mise à embaucher des énarques, des universitaires, des hauts fonctionnaires… "Pourquoi ? Parce qu'il faut bien renforcer la crédibilité pour exercer de futures fonctions gouvernementales", explique sans détour l'ex-député européen Paul-Marie Coûteaux, proche de Marine Le Pen tombé en disgrâce il y a quelques mois, et lui-même énarque.

Le vice-président et la présidente du FN, Florian Philippot et Marine Le Pen, quittent l'Elysée après un entretien avec François Hollande, le 15 mai 2014.  (MAXPPP)

Florian Philippot, diplômé de l'Ecole nationale d'administration en 2009, est devenu le numéro deux du FN. Philippe Martel, sorti de l'ENA en 1982 et ex-collaborateur d'Alain Juppé, a été nommé chef de cabinet. Aymeric Chauprade, géopolitologue diplômé d'un doctorat en sciences politiques, a été promu conseiller en charge de l'international. Ingénieur centralien et diplômé de HEC, Thibaut de la Tocnaye est devenu conseiller à la réindustrialisation. Bruno Lemaire, diplômé d'Harvard et professeur de management à HEC, a été chargé des questions budgétaires. Proche de Jacques Sapir, l'économiste Philippe Murer s'est vu confier les dossiers économiques…

Un "comité de gestion et de suivi des administrations", censé dénicher des cadres territoriaux prêts à agir dans les collectivités locales ravies par le FN, a été mis en place. Regroupés dans un "collectif Racine", des enseignants et des universitaires ont, eux, été chargés de recruter de futurs cadres dans le milieu enseignant. Idem chez les étudiants, où le "collectif Marianne" s'est fixé pour objectif de rassembler des sympathisants issus des universités et des grandes écoles, et ayant la capacité, à terme, d'assumer des responsabilités. 

"Pour Marine Le Pen, tout l'enjeu est de mettre en avant ces gens-là sur le plan médiatique. Mais numériquement, ces recrues restent très marginales. La réalité, c'est que la pénétration du FN dans la haute administration publique est extrêmement faible", relativise toutefois le chercheur Joël Gombin, spécialiste de l'extrême droite. Son confrère Nicolas Lebourg, historien à l'université de Perpignan, souligne à ce propos que le nombre déclaré d'universitaires ou de hauts fonctionnaires au FN était plus important avant la scission mégrétiste de 1998. Or, "pour gouverner, il ne faut pas uniquement des ministres. Il faut des directeurs de cabinet, des préfets, des ambassadeurs, des diplomates… Et puis on ne gouverne pas sans la fonction publique, c'est ainsi. Pour l'instant, le FN est très loin de remplir ces critères", abonde le souverainiste Paul-Marie Coûteaux.

Gagner en crédibilité à l'échelon local : pas gagné

Pour Marine Le Pen, l'opération de conquête du pouvoir passe aussi par une réussite de l'exercice du pouvoir à l'échelon local. En mars, le Front national a gagné onze mairies. Les dirigeants du parti le savent : pendant six ans, ces villes seront, plus que toutes les autres, examinées à la loupe par les journalistes, et aucun dérapage ne sera toléré. Dans les années 90, les expériences de Vitrolles, Marignane, Orange et Toulon avaient viré au fiasco, mettant durablement en doute la capacité du Front national à exercer le pouvoir.

"Aujourd'hui, l'enjeu essentiel est de présenter un frontisme municipal à visage humain", décrypte l'universitaire Joël Gombin. "Si, en 2017, le bilan des mairies FN est mauvais, ce sera un boulet au pied de Marine Le Pen", ajoute Nicolas Lebourg. Moins de six mois après la conquête de ces onze villes, il est encore tôt pour tirer un premier bilan. Mais plusieurs décisions controversées ont déjà attiré l'attention.

Au Pontet (Vaucluse), Joris Hébrard a annoncé des coupes budgétaires drastiques, tout en tentant d'augmenter son indemnité d'élu de 44%. A Fréjus (Var), David Rachline s'est vu reprocher l'attribution de plusieurs marchés publics à des entreprises proches du Front national ou du Groupe union défense (Gud), un groupuscule d'extrême droite. A Villers-Cotterêts (Aisne), Franck Briffaut a refusé de participer aux commémorations de l'abolition de l'esclavage, un choix jugé "stupide" par la jeune députée FN Marion Maréchal-Le Pen. A Cogolin (Var), Marc-Etienne Lansade a, quant à lui, tenté de baptiser un parking du nom de l'écrivain nationaliste Maurice Barrès. A Hayange (Moselle), Fabien Engelmann est accusé par l'une de ses adjointes d'avoir truqué ses comptes de campagne, preuves à l'appui, et par plusieurs autres d'avoir pipé un vote lors du dernier conseil municipal…

Construire une majorité parlementaire : au point mort

Un autre point pourrait s'avérer plus handicapant encore pour le Front national. Dans l'hypothèse – aujourd'hui improbable – d'une élection de Marine Le Pen à l'Elysée, rien ne dit qu'elle parviendrait à avoir une majorité parlementaire, nécessaire pour gouverner le pays. 

"Marine s'appuie uniquement sur le FN, elle ne repère pas les alliés potentiels. C'est en totale contradiction avec les institutions de la Ve République", regrette le souverainiste Paul-Marie Coûteaux, favorable, lui, à un rapprochement avec certains membres de l'UMP. "Dans un scrutin à deux tours, il faut effectivement que des gens appellent à voter pour vous entre les deux tours, abonde le chercheur Nicolas Lebourg. Pour cela, il faudrait que des notables, essentiellement de droite a priori, et convaincus par les sondages, décident massivement d'appeler à voter FN. Pour bon nombre d'entre eux, cela équivaudrait à un suicide politique, et cela apparaît donc, pour le moment, tout à fait improbable."

La députée FN Marion Maréchal-Le Pen, le 7 octobre 2013, à l'Assemblée nationale. (WITT / SIPA)

Aux dernières législatives, en juin 2012, le FN a présenté des candidats dans toutes les circonscriptions métropolitaines. Il ne s'est maintenu au second tour que dans 61 d'entre elles, et n'a aujourd'hui à l'Assemblée qu'une seule élue encartée FN, Marion Maréchal-Le Pen, et un seul apparenté, Gilbert Collard. On voit dès lors mal comment, en 2017, il l'emporterait dans 290 circonscriptions – seuil de la majorité absolue !

"Pour avoir 300 députés, il faut des relais locaux, que le FN n'a pas encore", constate encore Paul-Marie Coûteaux. "Petit à petit, l'oiseau fait son nid", balaye le frontiste Louis Aliot, précisant qu'au sein des fédérations, "on discute déjà des investitures pour 2017, en analysant minutieusement les derniers résultats obtenus".

Approfondir le programme : impératif

Dernier objectif de taille pour le Front national : solidifier son programme. "Pour l'instant, il est loin d'être ficelé et d'être prêt à sa mise en œuvre", souligne le chercheur Joël Gombin, qui en veut pour preuve les prises de position contradictoires émises par des cadres frontistes sur divers sujets.

Si chacun connaît évidemment les positions du FN sur l'immigration, la laïcité ou l'Europe, que propose précisément le parti sur l'économie ? Sur l'environnement ? Sur l'enseignement ? Interrogé par Slate sur ce point, le vice-président du Front national, Florian Philippot, reconnaît qu'il y a "des sujets que l'on connaît moins". Et mise sur les collectifs thématiques de militants et de sympathisants frontistes pour aider à la construction d'un projet plus solide. Là aussi, la crédibilité du parti est en jeu, quand on sait que seuls 14% des Français adhèrent aux solutions proposées par le Front national, selon un sondage TNS Sofres publié en février 2014.

"Ceci dit, est-ce que les gens croient encore aux programmes des partis ? C'est une autre question", souligne, perplexe, le chercheur Nicolas Lebourg. Le vice-président du Front national, Louis Aliot, ne dit pas autre chose : "Notre projet est perfectible. Il doit être peaufiné, et c'est ce que l'on fait chaque jour. En attendant, notre engagement, c'est de ne pas faire comme l'UMP et le PS : c'est de le mettre en œuvre le jour où nous serons au pouvoir."

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