: Récit Quand Marine Le Pen menait sa toute première campagne à l'âge de 24 ans
Respectant la tradition familiale des Le Pen, la candidate du Front national a commencé sa carrière politique très jeune. Franceinfo revient sur la toute première bataille électorale, en 1993, de celle qui brigue aujourd'hui l'Elysée.
Marine Le Pen n'a pas toujours été une professionnelle de la politique. Comme pour toute carrière, il a bien fallu commencer quelque part. Celle de la candidate du Front national à l'Elysée a débuté discrètement, en 1993, avec une première campagne électorale peu convaincante à l'occasion des élections législatives.
La fille de Jean-Marie Le Pen brigue alors la 16e circonscription de Paris, détenue par un poids lourd du RPR, Bernard Pons, et qui regroupe les beaux quartiers du 17e arrondissement de la capitale.
En mission commandée par son père
En mars 1993, Marine Le Pen n'a que 24 ans. Inscrite au barreau de Paris, la jeune avocate a prêté serment un an plus tôt. Elle se tient écartée du militantisme politique et n'a pas vraiment d'expérience politique. "Objectivement, 24 ans, c'est une vie assez courte", reconnaît-elle d'ailleurs dans un reportage de France 3 qui lui est consacré, avant d'ajouter que les épreuves liées au fait de s'appeler Le Pen ont forgé son caractère.
Peu importe l'inexpérience. Le parti de Jean-Marie Le Pen a du mal, à l'époque, à recruter des candidats et la benjamine de la famille entre dans l'arène poussée par son père. "Pour le FN, ce n'était pas facile de trouver des volontaires avec un certain bagage intellectuel. Les gens avaient peur de mettre leur nom sur des affiches Front national", se souvient pour franceinfo Richard Haddad, qui dirige alors le Cercle national des étudiants de Paris, un syndicat proche du FN. Cet ancien militant frontiste a participé à quelques réunions de cette campagne législative.
En 1993, Jean-Marie Le Pen utilise aussi la candidature de sa fille comme une arme politique. La présence du nom Le Pen dans une élection peut gêner les candidats de la droite républicaine qui s'obstinent à refuser une alliance avec le FN. "Je crois savoir que Jean-Marie Le Pen lui a demandé de s'engager pour régler des comptes avec Bernard Pons qui avait dû tenir des propos déplaisants à son encontre", confie à franceinfo Lorrain de Saint-Affrique, proche historique du président d'honneur du FN. Une version qui n'étonne pas l'ancien ministre Bernard Pons, contacté par franceinfo : "En tant que président du groupe RPR à l'Assemblée, j'ai sans doute tenu des propos qui ne lui ont pas fait plaisir."
Il s'agissait d'envoyer à Bernard Pons un signal, un avertissement.
Lorrain de Saint-Affrique, proche de Jean-Marie Le Penà franceinfo
Marine Le Pen part donc en mission commandée dans le bastion de Bernard Pons, député classé à la droite du RPR et élu dans le 17e arrondissement depuis 1981. Mais son père n'a pas de mal à la convaincre, assure Lorrain de Saint-Affrique. "Certes, elle n'avait pas forcément prévu de faire de la politique à ce moment-là, mais elle a toujours assumé son rôle. Elle était présente aux défilés, aux émissions de télé..." Et puis sa sœur aînée, Marie-Caroline, elle, est déjà candidate dans la circonscription de Nicolas Sarkozy. "Marine était très proche de sa sœur à l'époque", rappelle ce proche de Jean-Marie Le Pen.
Amateurisme et appendicite
La troisième fille Le Pen se lance donc dans la campagne avec une certaine modération. Mais elle reçoit du renfort sur le terrain. Son père vient soutenir la candidature de son "petit soldat", comme il la surnomme. Dans l'ouvrage La Politique malgré elle. La Jeunesse cachée de Marine Le Pen (éd. La Tengo, 2017), Jean-Luc Gonnaud, le candidat PS de l'époque, raconte ainsi avoir croisé un jour le "Menhir" sur le marché Poncelet. Devant son étonnement, le président du FN lui lance : "Ne faites pas cette tête-là, voyons. Nous sommes en République. Je vous présente ma fille : Marine."
En dépit des efforts de papa, la campagne ne prend pas. D'autant qu'elle se retrouve entravée par un petit problème de santé : la candidate reste clouée sur un lit d'hôpital pendant une semaine en raison d'une appendicite aiguë, selon le reportage que France 3 lui consacre le 15 mars 1993.
"A l'époque, elle ne s'intéressait pas trop à la politique. Ce n'était pas sa priorité", reprend Richard Haddad, qui a rendu sa carte du FN en 2006. "Elle faisait son apprentissage, elle n'a pas fait d'éclat particulier, estime Bernard Pons. Mon suppléant, qui l'avait alors croisée sur quelques marchés, me racontait qu'elle tâtonnait et tenait des propos assez ternes, évanescents", ajoute l'ancien ministre, dont la mémoire reste vive malgré ses 90 ans passés.
Ce n'était pas une bête politique, elle n'était pas à fond. Avant de se présenter en 1993, elle n'avait jamais milité.
Richard Haddadà franceinfo
"Elle (...) ne possédait aucune culture politique. Elle confondait croix gammée et croix celtique", confirme son beau-frère Philippe Olivier, dans l'ouvrage Marine Le Pen, un nouveau Front national ? (Favre). L'époux de Marie-Caroline Le Pen se justifie alors de son choix d'évincer Marine Le Pen du comité central du Front national, à la fin des années 1990, au moment de la scission entre mégrétistes et lepénistes.
"7 millions d'immigrés" et "500 000 séropositifs"
L'investissement tout relatif de Marine Le Pen dans cette législative explique sans doute qu'elle se tient assez éloignée du terrain. "Sa campagne se résumait à quelques réunions de travail et des conférences de presse pour médiatiser sa campagne auprès des journalistes", se souvient encore Richard Haddad. La candidate frontiste s'entoure de jeunes militants pour les images. "Ils faisaient venir de préférence des étudiants devant les caméras, parce que les autres jeunes du FNJ n'avaient pas une image très sympathique, ça ne volait pas très haut...", pique Richard Haddad.
En tant que candidate, elle ne mettait pas trop d'ardeur dans son activité, elle était sans grande motivation.
Richard Haddadfranceinfo
La jeune avocate développe quand même un programme et une stratégie. Elle souhaite faire campagne sur le thème "Voter utile, c'est voter pour vos idées" pour contrer l'argument du vote utile en faveur de la droite républicaine. Sur le plan des idées, la profession de foi de Marine Le Pen reste dans les clous de l'idéologie paternelle. Tirant d'abord un bilan cinglant du pouvoir socialiste ("4,5 millions de chômeurs, 4 millions de délits et de crimes, 7 millions d'immigrés, 500 000 sans-abri, 500 000 séropositifs"), le programme annonce ensuite ses priorités : "organiser le retour des immigrés chez eux", "accorder la priorité aux Français", "rétablir la peine de mort", "expulser les délinquants et clandestins étrangers"...
Un programme bien différent de l'actuel projet de Marine Le Pen, et qui n'est qu'un copier-coller des tracts de la plupart des candidats FN aux législatives cette année-là, à Paris comme en Corrèze ou en Charente-Maritime.
"Napoléon sous Bonaparte"
Au final, la parachutée Marine Le Pen – elle vit alors au manoir de Montretout, sur les hauteurs de Saint-Cloud (Hauts-de-Seine) – n'obtient que 11,1% des voix au premier tour, très loin des 63% de Bernard Pons. Une première expérience politique qui ne frappe pas les esprits. "Sa candidature ne m'a vraiment pas marqué. Je me souviens juste qu'elle était naturelle, que je ne la trouvais pas artificielle. Quand elle ne vous appréciait pas, on le sentait dans la seconde", confie Richard Haddad. Peu de monde imagine alors que Marine Le Pen va se lancer dans une carrière politique. "Je pensais qu'elle ferait une carrière d'avocate et qu'elle se présentait plus pour faire plaisir", se souvient l'ancien militant frontiste.
Je n'imaginais pas alors que Napoléon percerait sous Bonaparte, ça montre que la politique française s'est bien dégradée ces dernières années.
Bernard Ponsà franceinfo
Pour les militants FN, à l'époque, celle qui a succédé à Jean-Marie Le Pen reste sa fille aînée. "Pour nous, c'était Marie-Caroline qui était amenée à faire carrière, à hériter du nom Le Pen", confirme Richard Haddad. "Elle était programmée pour être l'héritière. Jean-Marie Le Pen pensait vraiment qu'elle lui succéderait, parce qu'il l'avait élevée pour ça. Il lui avait faire des études, l'avait envoyée à [l'université d'] Oxford. Elle parlait anglais, c'était la plus diplômée...", abonde Jany Le Pen, la seconde épouse du patriarche, dans le livre La Politique malgré elle.
Mais Marie-Caroline Le Pen va se brouiller définitivement avec son paternel en 1998. La fille aînée choisit de soutenir Bruno Mégret dans sa tentative de prise en main du parti, raconte Vanity Fair. Un choix décisif, qui va forger la destinée de Marine Le Pen en lui dégageant la voie pour prendre, quelques années plus tard, la tête du Front national.
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