Boîte mail dédiée, petits déjeuners… Comment l'exécutif et la majorité tentent d'éviter les divisions en interne sur la bioéthique
Depuis plusieurs mois, membres du gouvernement et parlementaires de La République en marche martèlent leur souhait de voir un débat "serein" sur le projet de loi de bioéthique. L'objectif est aussi d'éviter toute division au sein de la majorité.
Le texte fait son entrée dans l'Hémicycle, après plus de 100 heures d'auditions et de discussions en commission spéciale. Mardi 24 septembre, les députés français débutent l'examen très attendu du projet de loi relatif à la bioéthique – dont la promesse phare est l'ouverture de la PMA à toutes les femmes. Une réforme sociétale d'ampleur, vue comme "l'épreuve de feu du président", selon les mots de Gilles Le Gendre, président du groupe La République en marche à l'Assemblée nationale, sur RTL.
Alors que s'ouvrent les débats, exécutif comme majorité réitèrent leur volonté d'assister à des échanges "apaisés" et "sereins". Car le sujet, promesse non tenue par François Hollande, est particulièrement sensible. Et les souvenirs des débats agités autour du mariage pour tous sont encore vifs. "Ce débat est fondamental" et il doit faire "l'honneur de notre Assemblée", a insisté Gilles Le Gendre avant l'été. Comment garantir cette sérénité et éviter les clivages vécus il y a six ans, notamment dans la majorité LREM ? Pendant deux ans, gouvernement et parlementaires ont tenté de préparer le terrain.
Pour le gouvernement, du temps et du dialogue
Depuis 2017, le spectre de l'opposition au mariage pour tous en tête, l'exécutif prend volontairement son temps sur la PMA. L'ouverture de l'assistance médicale à la procréation à toutes les femmes était une promesse de campagne d'Emmanuel Macron. Mais le candidat l'a d'emblée annoncé : il attendrait l'aval du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) pour garantir un débat "pacifié et argumenté", et "construire un consensus le plus large possible" autour de cette réforme.
Le fait que la PMA ne soit pas ouverte aux couples de femmes et aux femmes seules est une discrimination intolérable. #CausettePrésidente
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) February 16, 2017
Très vite, le CCNE rend un avis positif sur la question. La réforme se profile avec la révision de la loi de bioéthique, prévue en 2018. Mais Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé, appelle à la prudence : mieux vaut attendre l'issue des Etats généraux de la bioéthique, tenus au printemps. Un projet de loi est promis avant la fin de l'année 2018, puis reporté à 2019. Vient ensuite, en début d'année, une mission d'information parlementaire sur le sujet. Finalement, le projet de loi n'est présenté que le 24 juillet.
Jean-Louis Touraine, député LREM et rapporteur du projet de loi de bioéthique, est témoin de ces tâtonnements de l'exécutif. "J'ai échangé des messages avec le président de la République. Ni lui ni le Premier ministre ne voulaient que cela se fasse dans la précipitation, relate-t-il. Il y a eu des délais avec les 'gilets jaunes'… Il fallait un climat serein."
Le président ne garde pas un très bon souvenir de l'aspect idéologique du climat dans lequel le mariage pour tous a été adopté. Et évidemment, il ne veut pas créer de clivages au sein de la majorité.
Jean-Louis Touraine, rapporteur du projet de loi de bioéthiqueà franceinfo
Dans cette logique, Edouard Philippe annonce aux présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat la tenue de "séminaires" sur le sujet avec tous les parlementaires, "en présence des ministres" concernés, détaille Le Monde. Dans son courrier aux présidents des deux chambres, le chef de l'exécutif insiste sur l'objectif de ces réunions : éviter à tout prix un débat houleux, "sans pour autant faire taire les divergences de vue".
Quatre séminaires sont organisés, chacun sur un thème bien précis du projet de loi. Ces réunions rassemblent une poignée de parlementaires – seulement 19 lors du premier séminaire, d'après Le Journal du dimanche. Mais il s'agit d'une première, uniquement organisée pour cette réforme, précise à franceinfo le ministère de la Santé. "Les ministères nous dressaient l'état de la science dans ces différents domaines, et les parlementaires posaient leurs questions", décrit le député LREM Thomas Mesnier. Et, comme le précise Jean-Louis Touraine, "il s'agissait aussi d'informer les ministères sur les points qui entraîneraient le plus de discussions, qui seraient les plus difficiles à faire voter".
Discussions à la buvette
Ces points de division sont repérés assez tôt à l'Assemblée. Dès l'été 2018, le député LREM Guillaume Chiche évoque, dans un entretien au JDD, une proposition de loi ouvrant la PMA à toutes les femmes. Au sein de son groupe, Agnès Thill dénonce la méthode employée et s'offusque que le député évoque des "militants obscurantistes" pour qualifier des opposants au projet. "Il n'y avait eu aucune discussion avec lui", regrette l'élue, depuis exclue du groupe pour des propos offensants sur la réforme. La députée de l'Oise avait parlé d'un "lobby LGBT à l'Assemblée nationale" et comparé des femmes seules souhaitant avoir accès à la PMA à des "droguées".
Je ne veux pas que l'on soit d'accord avec moi, mais je veux pouvoir le dire. Nous n'avons pas le droit de dire nos points de vue. Tout de suite, nous sommes des obscurantistes.
Agnès Thill, députée exclue de LREMà franceinfo
Agnès Thill reconnaît que certains, au sein de la majorité, lui ont assuré respecter son opposition au texte. Peu après la proposition de Guillaume Chiche, elle affirme dans Le JDD qu'une dizaine de collègues peinent, eux aussi, à exprimer leurs réticences. Dans les couloirs du Palais Bourbon, des élus en lien avec la réforme commencent à entendre certains de ces doutes. A la buvette parlementaire, "j'entendais des gens qui y étaient très favorables, d'autres plus réservés, concède Thomas Mesnier. Il y avait un besoin de parler et de confronter les positions."
Des députés avaient la crainte d'être 'blacklistés' s'ils s'exprimaient sur leurs réserves. Ils allaient arriver en séance publique avec une boule au ventre. Il fallait dégonfler ça tout de suite.
Jean-François Mbaye, député LREMà franceinfo
Face à cette demande, Guillaume Chiche, par exemple, n'est pas avare de discussions avec ses collègues. "J'ai parlé, j'ai multiplié les interactions dans les couloirs et les réunions de groupe", raconte le coresponsable du projet de loi. Jean-Louis Touraine, lui, se rend disponible pour expliquer en détail le texte. Et – première pour un projet de loi – une adresse mail est créée pour répondre aux questions des élus. "On vous répond en 24 heures", promet Guillaume Chiche.
En parallèle, "nous avons essayé de multiplier les réunions" avec le groupe, poursuit l'autre responsable du texte, la députée des Yvelines Aurore Bergé. Il y a eu, entre autres, une soirée de débat avec les ministres, ou des petits déjeuners de travail avec les cabinets ministériels. Sans oublier trois autres rencontres matinales en juillet, visant à aider les députés LREM à mieux comprendre le projet de loi.
Oui, il y a eu des efforts spécifiques déployés autour de ce projet de loi.
Aurore Bergé, députée LREMà franceinfo
Thomas Mesnier est à l'origine de ces trois petits déjeuners, soutenus par Gilles Le Gendre. Avec trois collègues, il a animé ces rencontres où "chacun a pu vider son sac, exprimer ses réserves" sur la réforme. Entre 30 et 60 députés ont répondu présent, assure-t-il. "L'idée n'était pas de leur dire : 'Voilà la position arrêtée du groupe', affirme Jean-François Mbaye, autre organisateur. C'était de dire : 'Nous avons un texte, on a tous un regard différent, et je suis là pour vous éclairer."
Des réticences réellement entendues ?
Ces réunions ont-elles eu l'effet escompté ? "Plusieurs députés nous ont dit que cela leur avait permis de poser ce qui leur était personnel sur ces sujets, pour ensuite reprendre leur casquette de législateur dans l'Hémicycle", relate Monique Limon, vice-présidente de la commission spéciale bioéthique et coorganisatrice de ces petits déjeuners.
Plusieurs des "marcheurs" ayant exprimé leurs réserves affirment avoir été écoutés. A deux reprises, la députée Marie Tamarelle-Verhaeghe a rappelé à ses collègues l'importance d'entendre les voix dissidentes – y compris la sienne. L'élue s'interroge entre autres sur l'ouverture de la PMA aux femmes célibataires, elle qui défend un projet de parentalité "partagé entre deux personnes". "Etre dans une minorité, c'est évident que c'est moins facile. Vous avez peur de ne pas être compris, reconnaît-elle. Mais j'ai toujours été respectée dans mon positionnement. Je ne suis pas vue comme une menace."
Annie Vidal, autre députée ayant des doutes sur l'extension de la PMA aux femmes seules, dresse un constat identique.
Certes, on nous a rappelé que la philosophie du texte était l'ouverture de la PMA à toutes les femmes, mais que l'on comprenait nos positions et que l'on entendait mes réserves.
Annie Vidal, députée LREMà franceinfo
Pour les porteurs du texte, l'écoute des plus réservés s'est aussi traduite par la commission spéciale bioéthique. "L'idée était d'inclure des personnes représentant toutes les sensibilités, et c'était propre à ce sujet-là", assure Thomas Mesnier. Marie Tamarelle-Verhaeghe en était d'ailleurs membre. "Je me suis sentie bien représentée. Le groupe était attentif aux amendements que je proposais", souligne l'élue. Autre décision visant à montrer cette tolérance apparente : nommer Guillaume Chiche et Aurore Bergé coresponsables du texte. Le premier, par exemple, est favorable à la PMA post-mortem. La députée des Yvelines s'y oppose.
Aurore Bergé est plus attachée au maintien de certaines traditions, quand Guillaume Chiche est plus progressiste. A eux deux, ils sont complémentaires.
Jean-Louis Touraine, rapporteur du projet de loi de bioéthiqueà franceinfo
Fin août, le chef de file des députés LREM, Gilles Le Gendre, a promis une liberté de vote totale à son groupe. Le sera-t-elle vraiment ? "Les députés marcheurs pourront voter contre, ou contre certains articles à l'intérieur de cette réforme", a récemment assuré le président du groupe sur franceinfo. Avant d'ajouter : "Mais la liberté de vote ne doit pas faire peser le moindre doute sur le fait que cette réforme sera adoptée." Le ton est donné.
Même piqûre de rappel du côté des responsables du texte. "Nous disons aux parlementaires qu'ils font ce qu'ils veulent, mais qu'il s'agit d'une réforme sociétale majeure sur laquelle le président met du capital politique, insiste Guillaume Chiche. Si elle n'est pas adoptée, ce sera une défaite pour la majorité, pour le président et pour notre collectif." Avec de potentielles conséquences pour les dissidents ?
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.