Il y a dix ans, le 21 avril 2002, Lionel Jospin était éliminé au premier tour
Il y a dix ans, le dimanche 21 avril 2002, Lionel Jospin était éliminé au terme du premier tour de la présidentielle au profit de Jacques Chirac et Jean-Marie Le Pen. Depuis, la gauche n'a cessé de s'interroger sur cet échec qui fut un vrai séisme.
Séisme, choc, coup de tonnerre ... Les qualificatifs n'ont pas manqué, le soir du 21 avril 2002, pour qualifier la surprise créée par l'élimination de Lionel Jospin, dès le premier tour de la présidentielle.
Avec 16,18% des voix, le premier ministre socialiste était battu par le président sortant Jacques Chirac (19,88% des suffrages) et par le candidat du Front national Jean-Marie Le Pen (16,86%).
Beaucoup se sont targués, ensuite, d'avoir vu venir ce tsunami politique. Mais à l'époque, si la partie était serrée entre le chef de l'Etat et son premier ministre, le bilan Jospin semblait plutôt bon. En cinq ans (1997-2002), il avait réduit de près d'un million le nombre de demandeurs d'emplois, rappelle L'Expansion.
Les signes avant-coureurs
Premiers signes avant-coureurs, les failles qui apparaissent dans la campagne (dont la com fut confiée à l'agence EuroRSCG).
Le candidat est-il trop enfermé dans sa bulle ? Il use de qualificatifs maladroits contre l'adversaire. "Fatigué par un aller-retour entre Paris et La Réunion", selon Le Parisien, Lionel Jospin, 64 ans, décrit Jacques Chirac, 69 ans, comme "fatigué, vieilli, et victime de l'usure", au risque de choquer l'électorat senior, le plus assidu aux urnes.
Plus graves, il commet des erreurs politiques. Sur le fond, la courbe du chômage remonte depuis mai 2001. Mais Lionel Jospin tarde à mettre la barre à gauche, malgré la forte concurrence sur ce créneau (pas moins de huit candidats, dont Arlette Laguiller, Olivier Besancenot, Jean-Pierre Chevènement...)
Sur la forme, il lance cette phrase restée célèbre,"L'Etat ne peut pas tout", aux ouvriers de Michelin menacés de licenciements.
Dans cette vidéo (ci-dessous), un salarié l'interpelle: "Demain, on est viré. On attend du gouvernement qu'il fasse des choses". Lionel Jospin répond: "si à chaque fois qu'il y a un plan social, on doit nationaliser..." Une froideur apparente, désastreuse à la télé. Une impuissance affichée, désastreuse en politique.
Très axée, comme l'avait voulu Jacques Chirac, sur le thème de l'insécurité, la campagne médiatique se conclut en apothéose sur les images de Paul Voise.
Le 20 avril 2002, les images du visage tuméfié de ce retraité de 72 ans, qui aurait été agressé par deux jeunes, tournent en boucle sur TF1 et LCI, à deux jours du premier tour.Quand l'affaire se conclut en 2005 par un non-lieu, elle n'intéresse plus personne.
Seize candidats en lice, une abstention record...
Deux jours avant le premier tour, "Le Monde titre à la une : "L'extrême droite au second tour ?" alors qu'une partie des Parisiens bouclent leurs valises pour les vacances scolaires qui commencent ce soir là.
Le journal du soir a scruté sur les quinze derniers jours. Il a noté l'effritement des scores des deux favoris - Jacques Chirac et Lionel Jospin - et la montée de Jean-Marie Le Pen.
Le 18 avril 2002, Ipsos donne toutefois le tiercé de tête dans cet ordre : le président sortant à 20% des intentions de vote, son premier ministre à 18% et Jean-Marie Le Pen à 14%.
L'élection elle-même est marquante à deux titres : par son nombre record de candidats (16, dont 8 à gauche) et son abstention inédite (28,4%).
Le retrait de Jospin, les manifs anti-Le Pen
Vers 19h 30 sur France 2, David Pujadas annonce des "surprises". Elles seront de taille : Jacques Chirac recueille 19,88% des suffrages, Jean-Marie Le Pen 16,86%. Troisième, Lionel Jospin, éliminé, annonce le soir même son retrait de la vie politique.
S'ensuit une étrange campagne de second tour, sans débat, rythmée par les manifestations anti-FN. Quasiment toute la classe politique appelle à voter Chirac - sauf Lionel Jospin qui ne peut s'y résoudre. Le chef de l'Etat sortant est réélu avec 82,21% des voix.
Quelles leçons pour la gauche ?
Depuis 2002, la gauche n'a gagné ni législative, ni présidentielle, même si elle s'est largement consolée avec les élections municipales, cantonales ou régionales. Elle dirige aujourd'hui la plupart des grandes villes, une majorité de départements, la quasi-totalité des régions.
Le PS n'a cessé de s'interroger sur l'échec de cette gauche de gouvernement, qui pouvait se targuer des 35 heures, d'une baisse du chômage, d'un passage réussi à l'euro.
Mais la finance folle, le stress au travail, la montée du chômage, l'envolée des dépenses contraintes se sont jouées au tournant du millénaire, avec l'accélération des privatisations, des délocalisations et du marché unique.
2002 annonce un peuple qui vote "mal". Il recommencera en 2005, faisant triompher à 55% le "non" au traité constitutionnel européen, quand l'UMP, le PS et les élites défendaient le "oui".
Le Parti socialiste a-t-il tiré toutes les leçons de 2002, dix ans après, alors que la victoire semble à portée de main ? L'incroyable montée de Jean-Luc Mélenchon, crédité de 13 à 15% des voix à l'avant-veille du scrutin, montre une défiance persistante envers le parti dominant à gauche.
Le choc du 21 avril dans la genèse du Front de gauche
La trajectoire même du candidat du Front de gauche doit beaucoup au 21 avril 2002.
Dans le livre "Mélenchon le plébéien", ses biographes Lilian Alemagna et Stéphane Alies le décrivent, alors ministre de Lionel Jospin, totalement effondré par l'éviction de son champion.
Trois ans plus tard, contre son parti et son premier secrétaire François Hollande, il mène en ténor la campagne du non. Il quitte le PS en 2008 pour fonder le Parti de gauche.
En 2012, ralliera-t-il sur son nom les électeurs de gauche qui, dix ans, plus tôt, ont hésité à mettre dans l'urne un bulletin Lionel Jospin ?
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