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Portrait Au cœur de la polémique sur l'"islamo-gauchisme", Frédérique Vidal fait toujours ses classes en politique

Article rédigé par Clément Parrot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
La ministre de l'Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, le 8 juillet 2020 au Sénat (Paris). (XOSE BOUZAS / HANS LUCAS / AFP)

La très controversée sortie de la ministre de l'Enseignement supérieur a placé sous le feu des projecteurs cette membre du gouvernement jusqu'ici discrète, et même accusée d'être trop peu présente pour gérer le dossier de la précarité étudiante.

"Honnêtement, on ne dort pas beaucoup en ce moment", lance un proche conseiller de Frédérique Vidal. Au ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation, la semaine a été difficile. La ministre, peu connue du grand public jusqu'à présent, a provoqué un tollé en évoquant, dimanche 14 février sur CNews, l'"islamo-gauchisme" qui "gangrène", selon elle, "la société dans son ensemble" et l'université en particulier. Elle a persisté et signé mardi devant l'Assemblée nationale, confirmant avoir demandé une enquête du CNRS pour faire "un bilan de l'ensemble des recherches qui se déroulent dans notre pays" et distinguer "ce qui relève de la recherche académique et ce qui relève du militantisme et de l’opinion".

"Police de la pensée", "chasse aux sorcières"... La sortie a provoqué des condamnations en série dans le monde universitaire. "Je ne sais pas ce qui lui a pris. L'Elysée lui a fait comprendre qu'elle était plus proche de la sortie que de l'augmentation", confie une source gouvernementale à France Télévisions, évoquant "une erreur tactique". Pour faire oublier cette déroutante séquence, la ministre compte reprendre la main en début de semaine prochaine avec des annonces visant à améliorer le quotidien des étudiants touchés par les conséquences de la crise du Covid-19.

Remarquée à la tête de l'université de Nice

Née en 1964 à Monaco, Frédérique Vidal a mené une longue carrière universitaire avant de découvrir les couloirs ministériels. "En maîtrise [l'ancêtre du master], c'était de loin la meilleure étudiante de la promo", se souvient le professeur d'immunologie Nicolas Glaichenhaus, qui a encadré à l'époque la jeune chercheuse. "C'était une étudiante un peu timide, assez discrète, pas du tout m'as-tu-vu, se remémore le chercheur Guerrino Meneguzzi, qui a cosigné plusieurs articles scientifiques avec Frédérique Vidal. Lors de ses recherches, elle participe notamment à l'identification des gènes responsables d'une grave maladie congénitale.

"Elle était fiable, prête à rendre service, et également fidèle en amitié."

Guerrino Meneguzzi, chercheur

à franceinfo

"Ce n'était pas une scientifique très créative, mais rapidement on lui a proposé un poste de maître de conférence à la faculté de sciences, et là, elle était hyper appréciée par les étudiants", poursuit le chercheur. Nommée professeur d'université en 2002, elle est propulsée en 2012 à la tête de l'université de Nice Sophia-Antipolis (renommée université Côte d'Azur en 2019). "Elle a redressé l'université de manière remarquable, à tel point que cela s'est concrétisé avec l'obtention en 2016 du programme d'investissement d'avenir Idex [initiative d'excellence]", se félicite Nicolas Glaichenhaus. 

"Avant son arrivée, c'était une république bananière, avec des personnalités incompétentes qui avaient installé du clientélisme", complète Stéphane Noselli, qui dirige à Nice l'institut de biologie Valrose et ne tarit pas d'éloges sur son ancienne collègue. Dans Libération, d'autres voix lui reprochent des "tendances managériales à l'américaine" et un mépris pour les sciences humaines. "Ces critiques m'étonnent un peu. C'est quelqu'un de très pragmatique, d'assez ouverte", répond Guerrino Meneguzzi.

Le costume et les dossiers

Ses succès à la tête de l'université de Nice ont permis à Frédérique Vidal d'attirer les regards. En mai 2017, elle est en déplacement professionnel aux Etats-Unis quand, en pleine nuit, un réceptionniste de son hôtel new-yorkais la réveille pour une communication urgente. Au bout du téléphone, Edouard Philippe lui propose d'entrer au gouvernement. "Elle en a discuté avec son mari et une heure après, elle disait oui", confie un proche. Le lendemain, la biochimiste se trouve dans un avion et, après un passage chez le coiffeur, elle est prête à affronter son premier Conseil des ministres.

Frédérique Vidal arrive à l'Elysée pour son premier Conseil des ministres, le 18 mai 2017, à Paris. (CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP)

La voilà au gouvernement, à la tête d'un ministère regroupant l'enseignement supérieur, la recherche et l'innovation, des domaines souvent cantonnés jusque-là à des secrétariats d'Etat. "Mais elle n'a rien fait pour ça", assure un membre de son cabinet qui la suit depuis le début. "On a fait du camping pendant trois mois au début. On a vécu au ministère, à dormir cinq heures dans la première chambre qu'on trouvait. On ne connaissait pas Paris et on n'avait pas d'appartement", poursuit ce proche conseiller. Vient le temps de la découverte des arcanes du pouvoir et des joutes politiques. Frédérique Vidal apprend alors que des conseillers sont payés pour lui écrire ses discours. 

"Un jour, un type lui tend un texte, et elle lui dit : 'Mais j'ai pas du tout envie de dire ça, c'est creux'." 

Un proche de Frédérique Vidal

à franceinfo

Cette universitaire chevronnée apprend un nouveau métier. "Quand on vient de la société civile, on ne connaît pas bien le costume de ministre, note ce même conseiller. Mais d'un autre côté, elle connaissait parfaitement les dossiers, ce qui lui a permis de gagner un temps considérable au début." 

Des réformes, mais un manque de concertation 

Les médias ne savent pas encore s'il faut classer cette ministre à droite ou à gauche ("elle vient plutôt de la gauche", confie un proche), mais c'est la première fois que le portefeuille de l'enseignement supérieur est confié à un pur produit de l'université. Frédérique Vidal ne va pas tarder à lancer les réformes, avec notamment la loi ORE (relative à l'orientation et à la réussite des étudiants) qui met notamment fin au service APB (le portail admission post-bac) pour lancer la plateforme Parcoursup. "Le style Vidal, c'est de faire de la politique sous le radar. On n'est pas là pour faire de la politique politicienne", assure un conseiller. La ministre a également fait passer un peu plus tard la loi de programmation de la recherche, critiquée par une partie de la communauté scientifique, qui craint notamment une hausse de la précarité avec l'arrivée de nouveaux contrats.

Son cabinet met aussi en avant la suppression de la Sécurité sociale étudiante (remplacée par un système simplifié sous le régime général) ou encore la réforme de l'accueil des étudiants étrangers. "Elle a fait beaucoup, mais il y a peu de choses qui restent imprimées", note un proche. "Il n'y a pas forcément de politique Vidal, ce n'est pas une politique de rupture, on est dans une logique de continuité de libéralisation des universités, depuis la LRU en 2007", constate de son côté Mathias Bernard, président de l'université Clermont-Auvergne. 

La personnalité de Frédérique Vidal est parfois remise en question. Le cabinet de la ministre a beau évoquer les "300 heures de dialogue social" passées à élaborer la loi ORE, certains syndicats se disent au bord de la rupture. "On a une ministre qui ne défend pas ses personnels et qui ne prend pas le temps de dialoguer avec les organisations syndicales", fulmine Anne Roger, cosecrétaire générale du Snesup-FSU.

"Il y a parfois du mépris dans sa façon de répondre dès qu'on n'est pas sur la même longueur d'ondes."

Anne Roger, cosecrétaire générale du Snesup-FSU

à franceinfo

La ministre sait ce qu'elle veut. "Elle a les défauts de ses qualités : très énergique, déterminée, une fonceuse, observe aussi Mathias Bernard. Ce qui peut être discuté ou négocié est assez marginal, elle ne donne pas l'impression d'impliquer les acteurs dans une coconstruction." 

"Elle a enfin réglé son problème de notoriété"

Depuis plusieurs semaines, le monde étudiant, durement touché par la crise, reprochait ses absences à la ministre. Après le mot-dièse #Etudiantsfantômes utilisé sur Twitter pour exprimer la détresse de cette jeunesse précarisée, les réseaux sociaux n'hésitaient pas à la qualifier de "ministre fantôme". Difficile de se faire entendre face à la puissance des témoignages"L'angle médiatique, c'est la souffrance des étudiants. Ce n'est pas de dire que la ministre fait tout ce qu'elle peut pour les étudiants", juge le cabinet de la ministre. Frédérique Vidal a parfois tenté de se faire entendre directement. "Je sais les sacrifices que cette crise a pu représenter pour vous", lance-t-elle ainsi dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux fin janvier.

"Mais c'est un discours infantilisant, ce n'est pas ce qu'on attend, tance Mélanie Luce, la présidente de l'Unef. On a relégué les étudiants au second plan. Si elle n'obtient pas les arbitrages qui vont dans le bon sens, c'est aussi de sa responsabilité." La sortie de Frédérique Vidal sur l'"islamo-gauchisme" a donc surpris, venant d'une ministre peu habituée à faire des vagues. "Au moins, en ce moment, elle est présente. Ça change de ces derniers mois", pique une source gouvernementale. "Frédérique Vidal a enfin réglé son problème de notoriété", se moque-t-on ces derniers jours dans les boucles LREM, comme le relève Politico.

Si certaines sources évoquent une ministre sur la sellette, le cabinet de Frédérique Vidal assure qu'elle fêtera bien ses quatre ans à la tête de son ministère, et ira au bout du quinquennat. Matignon confirme, sans plus de commentaires, que la ministre dispose toujours de la confiance du chef du gouvernement. Les propos sur l'"islamo-gauchisme" avaient-ils pour objectif de mettre un peu de lumière sur la ministre ou font-ils partie d'une stratégie concertée de l'exécutif ? "C'est quelqu'un qui n'aime pas se mettre en avant sur les plateaux de télévision, mais je sais qu'il y a des consignes de l'exécutif pour demander aux ministres d'aller au charbon", glisse un proche.

"Je pense qu'il y a la volonté de contrer Marine Le Pen, dans le sillage du courant Blanquer-Schiappa-Darmanin."

un proche de Frédérique Vidal

à franceinfo

En tout cas, la ministre n'a pas fait marche arrière et son cabinet confirme qu'un "travail scientifique, plus qu'une enquête", va s'attacher à faire un bilan de la recherche en France. "Est-ce une maladresse ou une stratégie politique ? En tout cas, on est dans le contexte de la loi 'séparatisme' et dans le prolongement du débat Darmanin-Le Pen, note l'historien Mathias Bernard. Il y a un constat depuis les européennes de l'évolution de l'électorat macroniste, avec un glissement au centre droit et donc une forte tentation à labourer un terrain droitier." 

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