Remaniement : ces affaires judiciaires portées par Eric Dupond-Moretti qui pourraient mettre le nouveau garde des Sceaux en porte-à-faux
Devenu ministre de la Justice, le célèbre avocat pourrait voir certains de ses combats judiciaires polluer son action et sa communication.
C'est la plus grosse surprise de ce remaniement. Le ténor du barreau Eric Dupond-Moretti a été nommé, lundi 6 juillet, au poste sensible de ministre de la Justice. La nomination du nouveau garde des Sceaux a reçu un accueil glacial de la part de l'USM, syndicat majoritaire dans la magistrature, qui a évoqué une "déclaration de guerre" envers ce corps maintes fois critiqué par le célèbre pénaliste.
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Ces dernières années, Eric Dupond-Moretti a d'ailleurs pris part à plusieurs affaires qui pourraient brouiller son action et sa communication au ministère de la Justice. Sa plainte dans l'affaire des écoutes, ses saillies contre le Parquet national financier, la mise en cause des policiers dans l'affaire Théo, ses prises de bec avec Jean-Luc Mélenchon ou encore sa défense du fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, sont autant de dossiers brûlants susceptibles de rejaillir à tout moment sur le nouveau ministre de la Justice.
Un avocat en guerre contre le Parquet national financier
Ses prises de position passées ne laissent guère place au doute : Eric Dupond-Moretti ne porte pas les magistrats dans son cœur, et encore moins ceux du Parquet national financier (PNF), créé fin 2013 sous l'impulsion de François Hollande après le scandale Jérôme Cahuzac... qui fut son client.
Il y a encore quelques jours, l'avocat dénonçait "une clique de juges qui s'autorise tout" à propos de la révélation, par l'hebdomadaire Le Point, d'une procédure lancée il y a six ans par le PNF pour identifier une éventuelle taupe dans l'affaire des écoutes de Nicolas Sarkozy. Pour parvenir à leurs fins, les magistrats avaient épluché la liste des appels émis et reçus (les "fadettes") de plusieurs avocats, sans succès. Comme d'autres, Eric Dupond-Moretti avait alors décidé de porter plainte contre X pour "violation de l'intimité de la vie privée et du secret des correspondances" et "abus d'autorité". Une plainte finalement retirée, a fait savoir l'Elysée quelques heures après l'annonce de sa nomination.
Il n'empêche : le PNF n'est clairement plus en odeur de sainteté. Alors avocat de Patrick Balkany lors de son procès pour fraude fiscale, Eric Dupond-Moretti s'était montré outré par les réquisitions du PNF à l'audience, trop sévères selon lui. "Nous sommes entrés dans une ère nouvelle, celle de la morale, dont vous battez la mesure", s'était-il emporté à l'audience. En tant que ministre de la Justice, il ne pourra cependant pas balayer d'un revers de main les progrès réalisés ces dernières années en matière de moralisation de la vie publique. L'association Anticor considère sa nomination comme "un très mauvais signal pour l'éthique et pour les associations anticorruption".
L'affaire du jeune Théo, en résonance avec le débat sur les violences policières ?
L'arrivée d'Eric Dupond-Moretti à la place Vendôme coïncide avec l'actualité du débat sur les violences policières racistes en France, thème dont il a eu à se saisir en tant qu'avocat du jeune Théo, grièvement blessé lors d'une interpellation à Aulnay-sous-Bois en février 2017. Une affaire extrêmement sensible, sur laquelle l'ombre du nouveau garde des Sceaux pourrait continuer à planer.
En mars 2018, le ténor cosignait avec son associé Antoine Vey une tribune dans le JDD rejetant en bloc "les excuses" exigées par la présidente du Syndicat des commissaires de police. "Au contraire, ce serait à [la police] d'en présenter", assénait-il. Comme garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti sera inévitablement amené à s'exprimer sur le sujet des violences policières, dans un contexte explosif. A lui de trouver le ton juste pour éviter toute confusion des genres, d'autant que l'affaire Théo est toujours en cours.
Le 11 juin, dans une interview sur franceinfo, Eric Dupond-Moretti estimait que "dire que la police est raciste, ce n'est pas vrai", mais que "nier qu'il y ait des policiers racistes, c'est une hérésie".
Attendu au tournant par Mélenchon, qu'il a affronté au tribunal
Depuis la perquisition houleuse réalisée au siège de La France insoumise, en octobre 2018, pour des soupçons concernant les comptes de la campagne 2017 et l'emploi d'eurodéputés LFI, Jean-Luc Mélenchon n'a de cesse de vitupérer contre "une justice aux ordres du pouvoir". Trouvera-t-il en Eric Dupond-Moretti le gage d'une justice indépendante ?
La route des deux hommes s'était justement croisée lors du procès du leader insoumis pour "rébellion et provocation" qui a valu à Jean-Luc Mélenchon une condamnation à trois mois de prison avec sursis et 8 000 euros d'amende. Eric Dupond-Moretti, alors avocat des policiers parties civiles, avait donné le ton avant l'audience en déclarant : "Je pense franchement qu'il faut qu'il aille dormir tôt, se prendre une bonne petite camomille et qu'il se calme avant son procès de la semaine prochaine." Devant les juges, les deux tribuns s'étaient écharpés en une bruyante joute verbale.
Réagissant à ce remaniement, Jean-Luc Mélenchon s'est félicité dans un tweet du départ de l'ancienne garde des Sceaux, Nicole Belloubet, appelant son successeur à "rétablir la dignité et l'honneur". Les prochaines séances de questions au gouvernement, à l'Assemblée nationale, promettent d'être animées.
Un gouvernement libéral banal. Castaner/Belloubet, hontes de l'Intérieur et de la Justice enfin démissionnés. Darmanin et Dupond-Moretti doivent rétablir la dignité et l'honneur. #RemaniementMinisteriel
— Jean-Luc Mélenchon (@JLMelenchon) July 6, 2020
La demande d'asile de Julian Assange, possible pomme de discorde avec Macron ?
Julian Assange, qui fait l'objet d'une procédure d'extradition vers les Etats-Unis examinée par la justice britannique, est défendu depuis le mois de février par une nouvelle équipe d'avocats, parmi lesquels Eric Dupond-Moretti. Lors d'une conférence de presse, le 20 février, ce dernier avait d'ailleurs annoncé le dépôt d'une demande d'asile en France pour le fondateur de WikiLeaks, actuellement détenu au Royaume-Uni.
"Nous allons demander à rencontrer le président de la République dans les jours qui viennent, pour ne pas dire dans les heures qui viennent", pour lui exposer la "situation désespérée" que traverse Julian Assange, avait-il déclaré lors de cette conférence de presse. On ignore si le chef de l'Etat a finalement donné suite.
Comme ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti pourrait en tout cas avoir à se positionner publiquement sur ce dossier qui lui tient à cœur. Avec le risque de devoir manger son chapeau si Emmanuel Macron décidait de ne pas offrir la protection de la France à Julian Assange, comme François Hollande avait déjà refusé de le faire en 2015.
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