: Vidéo Le terme d'"islamo-gauchisme" est "une manière de stigmatiser des courants de recherche", estime l'historien Pap Ndiaye
Pour l'historien Pap Ndiaye, la notion controversée d'"islamo-gauchisme" n'est qu'un "qualificatif infamant", un outil "sans aucune signification" utilisé par certains pour "disqualifier" "sans engager le débat".
Le terme d'"islamo-gauchisme", utilisé récemment par la ministre Frédérique Vidal et qui a suscité la polémique en l'utilisant, ne "désigne aucune réalité dans l'université, c'est plutôt une manière de stigmatiser des courants de recherche qui d'ailleurs peuvent poser un certain nombre de difficultés et de problèmes", déclare vendredi 19 février sur France Inter Pap Ndiaye, historien, professeur des universités à Sciences Po.
"Ce qui me frappe, c'est plutôt le degré de méconnaissance, dans le monde politique des recherches menées à l'Université", ajoute le futur directeur général du Palais de la Porte Dorée à Paris, qui comporte notamment un musée de l'immigration. Cette notion d'"islamo-gauchisme" n'a "plus aucune signification", estime Pap Ndiaye.
Elle sert à disqualifier sans engager le débat et sans regarder de plus près ce qui passe par exemple dans le monde universitaire qui n'a rien d'islamo gauchiste, où il y a des débats, où il y a des recherches vivantes, parfois critiquables, mais qui ne relèvent en rien de ce qualificatif infamant.
Pap Ndiayeà France Inter
Parmi les courants de recherche qui posent des difficultés, Pap Ndiaye cite l'intersectionnalité, "une manière de croiser des approches antiracistes et antisexistes par exemple, de considérer que les situations sociales sont le fruit d'entrecroisements, le fruit de discrimination diverses". Il estime que "même si il peut y avoir en effet des problèmes avec des formes de crispations identitaires, avec des formes de sectarisme parfois", ces recherches restent importantes et irriguent la recherche internationale. "Il serait évidemment catastrophique de les mettre à l'index", insiste l'historien.
Pap Ndiaye rappelle que la notion d'"islamo-gauchisme" a été lancée par un sociologue, Pierre-André Taguieff, au début des années 2000, "pour signaler des formes de dérives d'une gauche très pro-palestinienne vers l'antisémitisme".
Cette notion s'est élargie et a été reprise par l'extrême droite pour au fond qualifier tous les mouvements antiracistes, tous ceux qui s'occupaient de discrimination.
Pap Ndiayeà France Inter
Jacques Toubon et Emmanuel Macron ont notamment été accusé d'être des "islamogauchistes", rappelle l'historien. Il estime que ce terme, tout comme l'expression "racisme anti-blanc" font partie d'un "vocabulaire d'extrême droite qui s'est répandu bien au-delà de l'extrême droite, et il est en partie validée par un monde beaucoup plus central dans la vie politique et sociale française". Pour lui, il est important "de déconstruire" ce vocabulaire pour "bien nommer". Pap Ndiaye, qui a notamment travaillé sur les populations noires en France, ne se sent pas directement visé par les récents propos de la ministre de l'Enseignement supérieur Frédérique Vidal qui, pointant notamment "l'islamo-gauchisme", a réclamé "un bilan de l'ensemble des recherches" en France. "Je suis visé de façon générale" mais "je ne me sens pas attaqué dans ma vie académique", dit-il.
"Ce qui me frappe, c'est plutôt le degré de méconnaissance, dans le monde politique en général, des recherches qui sont menées à l'Université en sciences sociales et en sciences humaines", ajoute l'historien. "Au fond, les femmes et les hommes politiques ont fait des études souvent en dehors de l'université, ils n'ont qu'une idée extrêmement vague de ce qu'on appelle la recherche universitaire et donc ils se représentent cette recherche d'une manière souvent très caricaturale", regrette le futur directeur général du Palais de la Porte Dorée à Paris.
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